N°113

Un grand domaine viticole au cœur du «polygone de la sécheresse»

Un des derniers endroits au monde où l’on s’attendrait à trouver une grande exploitation viticole est sans doute la partie la plus sèche du tristement célèbre «polygone de la sécheresse» dans le Nordeste du Brésil (fig. 1). Pourtant, grâce aux eaux du rio São Francisco, qui la traverse de part en part, on y a développé depuis une trentaine d’années un vaste ensemble de vergers irrigués (fig. 2), principalement consacré aux fruits (mangues, melons, raisins de table), mais aussi la seule grande région viticole du pays hors du Rio Grande do Sul (extrême sud du pays), où se concentrait jusque-là l’essentiel de sa production [1].

1. Vallée du São Francisco et le «polygone de la sécheresse»

Ce sont, d’après ses viticulteurs, les vignobles les plus proches de l’Équateur sur toute la planète, ils sont situés à 9° de latitude sud (et 40° W de longitude ouest), avec des précipitations annuelles moyennes de 500 mm, principalement concentrées en mars et avril, une température moyenne de 27ºC et 50% d’humidité relative de l’air. Le gros avantage de cette situation — dans le polygone de la sécheresse mais avec d’abondantes ressources en eau pour l’irrigation — est de donner aux viticulteurs la complète maîtrise des apports hydriques. Après la vendange, il suffit de cesser d’irriguer pour que la vigne subisse un stress qui fait tomber ses feuilles et la fait entrer en dormance, tout comme l’hiver le fait dans les régions tempérées. Mais à la différence de celles-ci, au lieu d’attendre le printemps il suffit, une quinzaine de jours plus tard, de rouvrir les vannes pour que la vigne commence un nouveau cycle végétatif, ce qui permet d’obtenir deux, voire trois récoltes par an. De plus, rien n’oblige à synchroniser toutes les parcelles, il est au contraire plus avantageux de décaler leurs dates de production, ce qui permet d’étaler tout au long de l’année les opérations d’entretien, de taille, les vendanges et la vinification. On peut donc avoir côte à côte des parcelles de ceps nus, d’autres en pleine floraison ou d’autres encore où les vendanges sont en cours.

2. La région de fruticulture  irriguée de Petrolina-Juazeiro
Cliché: Hervé Théry, 2014

Ces vignobles du São Francisco comptent environ 10 500 ha de vignes, dont 500 de vitis vinifera pour la production de vin, le reste étant destiné à la production de raisin de table. Les cépages utilisés sont le syrah, le cabernet-sauvignon et le cabernet rubis (croisement de cabernet-sauvignon et de carignan), pour les vins rouges, le chenin blanc et le muscat canelli (ou muscat blanc) pour les blancs. La région produit sept millions de litres de vin par an, 80% de vin rouge et 20% de vin blanc.

Les vignes sont présentes dans la région depuis l’installation des premiers grands périmètres irrigués, dans les années 1970. En 1984, la Maison Forestier, du Rio Grande do Sul, a commencé à tenter d’y produire du vin. En 1985, les premières bouteilles étaient mises sur le marché, à l’initiative de l’œnologue Ineldo Tedesco, descendant d’immigrants italiens qui avaient maintenu la tradition de la culture du raisin et de la production de vins dans le Rio Grande do Sul. En 2004, le vin baptisé «parallèle 8», pour bien souligner l’originalité de cette région viticole, était le premier cru brésilien cité dans le magazine Wine Spectator, publication de référence sur le sujet. En 2008, un autre vin local s’est classé parmi les dix premiers dans une dégustation à l’aveugle menée par des experts au salon Expovinis de São Paulo, plus grand salon du vin d’Amérique latine.

L’exploitation viticole Ouro Verde a été créée en 2000 par le Miolo Wine Group à Casa Nova, sur la rive bahianaise du fleuve. Le groupe en possédait déjà quatre dans d’autres régions viticoles brésiliennes: la Vinícola Miolo (Vallée des Vignes, Rio Grande do Sul), Seival Estate (Campanha, Rio Grande do Sul), Vinícola Almadén (Campanha, Rio Grande do Sul) et RAR (Campos de Cima da Serra, Rio Grande do Sul). En outre, il est associé dans de joint-ventures internationaux avec des partenaires comme Costa Pacífico (Chili), Osborne (Espagne), Los Nevados (Argentine), Podere San Cristoforo et Giovanni Rosso (Italie).

3. Localisation de la propriété

Acquise en partenariat avec la Vinícola Lovara, la Vinícola Ouro Verde dispose actuellement de 800 hectares (fig. 3), dont 200 hectares de vignobles, et représente un investissement d’environ 30 millions de Reais (10 millions d’euros). Elle a expérimenté plus de 20 variétés différentes de raisins pour tester leur capacité d’adaptation à la région. Le meilleur résultat pour les vins rouges a été obtenu par le cépage Tempranillo, et la Miolo parie également sur le succès d’une vendange tardive de cépage petit manseng (le cépage de base du jurançon, avec le gros manseng), qui donne des vins de dessert liquoreux et très sucrés, très appréciés sur le marché brésilien.

La capacité de production de la vinícola Ouro Verde est d’un million de litres par an, les vignes étant irriguées par un système de goutte à goutte grâce à l’eau du São Francisco, tout proche. Elle produit les mousseux Terranova Brut, Terranova Demi-Sec et Moscatel, les vins Reserva Cabernet-Sauvignon/Shiraz, Shiraz, Dry Muscat et un vin de dessert Late Harvest (Vendanges Tardives). Les vins mousseux brut et demi-sec sont produits par le procédé Charmat (seconde fermentation en cuve close) dans des autoclaves à température contrôlée. Ce sont des vins jeunes, produits et embouteillés immédiatement afin de préserver les caractéristiques naturelles du produit.

Sont également produits un mousseux de marque Oveja Negra, pour la joint-venture Via Sul avec le Via Wines Group chilienne et du brandy Osborne. Celui-ci est le fruit de l’alliance passée avec Osborne, le plus grand fournisseur de brandy d’Espagne, pour en élaborer au Brésil et commercialiser ses vins produits en Espagne. Le partenaire se charge de la technologie et de la supervision de la production, une opération qui a exigé des investissements de cinq millions de dollars en nouveaux vignobles, distilleries et infrastructures. Aujourd’hui, la production d’Ouro Verde est égale à celle d’Osborne en Espagne.

Le processus de fabrication, à partir du cépage Muscat, comporte deux étapes distinctes, une distillation continue dans laquelle 4 litres de vin donnent environ 1 litre d’un produit léger fruité (qui représente environ 70% du volume final) et une distillation discontinue, menée avec du matériel importé de Cognac qui fournit une «essence de cognac» représentant environ 30% du volume final. À la fin est ajouté un extrait spécifique qui est envoyé d’Europe par Osborne. Le vieillissement est mené dans des fûts de chêne, importé des États-Unis ou de France, qui ont auparavant été utilisés dans l’élaboration des vins rouges pendant cinq ans. Le fait de pouvoir étaler les vendanges tout au long de l'année permet une optimisation du processus de production et de maximiser l’utilisation de l’équipement de distillation.

4. Panneau mural du centre d’accueil des visiteurs à Ouro Verde
Cliché: Hervé Théry, 2014

Ouro Verde n’est pas la seule exploitation viticole de la région. ViniBrasil est le résultat d’une joint-venture entre la maison Expand et l’entreprise portugaise Dão Sul, qui produit des vins dans les principales régions viticoles du Portugal. Elle a ses vignes à Lagoa Grande, à 60 km de Petrolina, 2 000 hectares, dont 200 sont en pleine production, une superficie qui devrait être portée à 500 hectares dans les années à venir, en cépages cabernet-sauvignon, merlot et syrah, ainsi que des cépages portugais.

La plupart de ces exploitations viticoles ont en commun de s’être ouvertes aux visiteurs amateurs d’«œnotourisme», ViniBrasil et Garziera reçoivent également les visiteurs. Ouro Verde a ouvert en octobre 2008 une boutique de vente de ses vins et de produits dérivés, et propose visites guidées et dégustations accompagnées par un œnologue. Elle reçoit plus de 20 000 touristes par an, un nombre encore faible par rapport au potentiel touristique de la région, mais nettement en hausse par rapport aux 7 937 personnes qui avaient visité le site en 2009 et aux 10 224 de 2010.

Grâce à cette politique de développement de l’œnotourisme les groupes viticoles font un peu de vente directe et surtout font connaître leurs nouvelles zones de production, tout en dotant la région d’une nouvelle attraction touristique, comme en témoigne le panneau d’accueil des visiteurs à Ouro Verde (fig. 4): il associe dans une même image vignobles et barriques de chêne aux bateaux de promenade sur le São Francisco et aux carrancas, les figures de proues qui ornaient naguère les barques traditionnelles.

À titre de comparaison, les exploitations viticoles de la Serra Gaucha, dans le Rio Grande do Sul, reçoivent chaque année environ 130 000 touristes. La vallée du São Francisco ne représente pour le moment que 15% de la production nationale, le Rio Grande do Sul concentrant la majeure partie de la production de vin, 4,6 millions d'hectolitres en 2011. Au total le vignoble brésilien s’étend sur près de 92 000 ha, soit 1,3% de la surface mondiale des vignobles. Il est encore loin des superficies cultivées en Espagne (1,2 million d’hectares), en France (900 000 hectares), en Italie (850 000 hectares). Mais il se rapproche de celles pays voisins, Argentine (208 000 hectares) et Chili (168 000 hectares), et il a enregistré une croissance de 20% sur les dix dernières années, en grande partie grâce à cette nouvelle région viticole.

Références

Viticulture régionale: http://www.viticultura.org.br/materias/index.php?id=59Vale du São Francisco
Miolo: http://www.miolo.com.br/controller.php
Vinícola Ouro Verde: http://www.youtube.com/watch?v=xGpdoOWb_IE

Une première version de ce texte, plus longue et plus illustrée, a été publiée dans le carnet de recherche Braises, consacré aux «dynamiques d'un grand pays émergent, le Brésil».