N°115

Les mal relogés du barrage. Myitsone, Nord Myanmar

Comment vivre dans un camp de déplacés au nord du Myanmar?

Pour un millier de Kachins [1], déplacés de force de Tang Hpre [2] au village «modèle» d’Aung Myin Thar et ayant perdu nombre de repères territoriaux et culturels, «Habiter la terre» – thème du Festival International de la Géographie de 2014 – signifie s’approprier un nouvel espace de vie et de travail.

Dès 2007, le gouvernement birman et une entreprise chinoise ont envisagé de construire le barrage de Myitsone [3], au nord du Myanmar, afin d’alimenter en électricité la province chinoise voisine, le Yunnan. Après une forte mobilisation de la population locale et de la diaspora birmane, la construction a été suspendue. Comme les habitants des villages, qui risquaient d’être engloutis par le lac du barrage, avaient d’ores et déjà été déplacés, ils n’ont pas eu le droit de rentrer chez eux. D’ailleurs, lors de notre enquête de terrain, menée en juillet 2014 dans le camp «modèle» d’Aung Myin Thar, le pasteur et de jeunes habitants ont souligné que leur déplacement avait été imposé dans un contexte politique tendu.

Les villageois ont également évoqué la mauvaise qualité des logements reçus en compensation de la perte de leur terre d’origine. Ces maisons en béton et tôle pourraient apparaître comme une amélioration par rapport aux habitations traditionnelles en bambou. Cependant, les villageois préfèrent les toits végétaux et les cloisons tressées traditionnels, qui permettent d’aérer plus facilement en période de mousson.

Leur lieu de travail est lui aussi à reconstruire. Les jeunes villageois considèrent le rapprochement avec la ville de Myitkyina de façon positive: ils vont désormais plus facilement y faire leurs études. A contrario, les plus âgés, agriculteurs pour la plupart, déplorent tant la mauvaise qualité des nouvelles terres que leur éloignement. Les commerçants, qui ont eu l’autorisation de rester à Tang Hpre, ont bien du mal à survivre: la reprise des échauffourées entre le gouvernement et les indépendantistes Kachins a été très préjudiciable au tourisme de la région, pourtant symbolique pour l’ensemble du pays.

De plus, les Kachins souffrent des effets d'une forte volonté d’assimilation de la part de l’ethnie majoritaire au pouvoir. Ainsi, si les villageois sont en majorité chrétiens, c’est une pagode flambant neuve qui surplombera le camp, voire les camps, car les défrichements alentour laissent présager de nouveaux déplacements forcés.

Vivre dans le camp d’Aung Myin Thar c’est exister en suspens: la reprise des travaux du barrage est tributaire du choix que fera le prochain président, qui sera élu en novembre 2015. L’actuel chef d’État voulait en effet montrer une nouvelle facette du pays à l’Occident: plus respectueuse de son environnement et à l’écoute de sa population. Son successeur sera-t-il capable de résister plus longtemps au géant chinois dont la demande en électricité est croissante?

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L’État Kachin est situé au nord du Myanmar et dans lequel les velléités indépendantistes ont repris en 2011.
Tang Hpre est un village situé à 1 230 km au nord de Rangoun, l’ancienne capitale du Myanmar, et à 10 km au nord d’Aung Myin Thar.
À environ 40 km au nord de Myitkyina, capitale administrative de l’État Kachin et à 4 km au sud de la zone de confluence de la Mali et de la N’Mai – site de naissance du fleuve Irrawaddy.