Au-delà de Bruxelles, comment habiter la périphérie bruxelloise sans parler le flamand?
L’étude des manières d’«habiter» la périphérie de Bruxelles-Capitale s’inscrit dans une psychosociologie de l’espace (Moles, Rohmer-Moles, 1998), tant l’affectif et les imaginaires influent sur les «sentiers du quotidien» (Juan et al., 1997). Depuis plus d’un demi-siècle, des populations multiculturelles affluent de la capitale vers cette périphérie, située en territoire flamand (Degadt et al., 2012). Ces migrants, perçus comme nantis, provoquent des sentiments de minorisation chez les populations «autochtones». Aussi, depuis les années 1990, sur le territoire des dix-neuf communes limitrophes de Bruxelles-Capitale, rebaptisé le «Vlaamse Rand» [la «périphérie flamande»], les autorités régionales et communales conduisent des politiques de préservation culturelle. Elles contraignent, par exemple, les allophones, de Belgique comme de l’étranger, à apprendre la langue néerlandaise pour l’obtention d’aides sociales ou à justifier d’un lien avec la région pour accéder à la propriété.
Ce poster présente quelques données tangibles d’un travail de thèse analysant les territorialités au sein de cet espace conflictuel. Il se concentre sur l’«habiter» des francophones, minorité la plus revendicative et significative sur ce territoire. Si, sur le terrain, les entretiens qualitatifs réalisés auprès d’allophones révèlent clairement leurs stratégies d’évitement des espaces publics, il est difficile de figurer sur un poster scientifique des appropriations territoriales locales se limitant au périmètre de l'espace privé. Aussi, des photographies cherchent à rendre compte de l'impact idéel sur les allophones d'actions «autochtones» visant la sauvegarde de l’identité rurale et flamande de ces communes. Mais c’est principalement le traitement d’un questionnaire en ligne (Bonfiglioli, 2013) qui permet d’appréhender le degré d’appropriation par les francophones de leur territoire de résidence.
L’installation d’un allochtone dans une commune du Vlaamse Rand est souvent motivée par la qualité du cadre de vie et elle prend peu en considération les contraintes culturelles. Des indicateurs, telle la proportion d’enfants scolarisés à Bruxelles-Capitale à la maternelle, démontrent que ces résidents francophones sont peu impliqués dans leur environnement communal. Quelques «crypto-sociabilités» associatives francophones témoignent cependant de volonté d’ancrage local. Aussi, si les pratiques habitantes en périphérie se limitent souvent au périmètre de la résidence et si les espaces quotidiens s’inscrivent au-delà des frontières régionales, l’attraction de Bruxelles-Capitale ne peut expliquer qu’en partie ces mobilités périurbaines. La systématisation de mobilités quotidiennes détournées du territoire flamand et la quasi-absence de sociabilités intercommunautaires reflètent surtout des territorialités animées par des peurs stéréotypées du rejet et de l’incompréhension.
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Bibliographie
BONFIGLIOLI C. (2013). Usages culturels et linguistiques dans l’espace quotidien des communes flamandes voisines de Bruxelles-Capitale, Questionnaire de recherche trilingue (néerlandais, français, anglais) accessible en ligne. URL: http://enquete.univ-reims.fr/limesurvey/index.php?sid=24754&lang=fr
DEGADT J., DE METSENAERE M., DEVLIEGER M., JANSSENS R., MARES A. et VAN WYNSBERGHE C. (dir.) (2012). De internationalisering van de Vlaamse Rand rond Brussel, Bruxelles: ASP Academic & Scientific Publishers, 267 p. ISBN: 978-90-70289-57-7
JUAN S., LARGO-POIRIER A., ORAIN H., POLTORAK J.-F. (1997). Les sentiers du quotidien: rigidité, fluidité des espaces sociaux et trajets routiniers en ville, Paris: L’harmattan, Coll. «Villes et Entreprises», 204 p. ISBN: 978-2-7384-5896-4
MOLES A., ROHMER-MOLES E. (1998). Psychosociologie de l’espace. Textes rassemblés, mis en forme et présentés par Victor Schwach, Paris: L’Harmattan, Coll. «Villes et Entreprises», 158 p. ISBN: 978-2-7384-6994-6