N°115

Close the camps: une cartographie participative contre l'enfermement des étrangers

Avant-propos

Depuis une dizaine d’années, les centres de rétention pour migrants se multiplient au sein de l’Union européenne et dans les pays limitrophes. Ce dispositif, qui n’était au départ qu’une réponse administrative improvisée, s'est progressivement affirmé comme un élément majeur de la politique migratoire européenne. On estime aujourd'hui qu'environ 600 000 étrangers seraient maintenus en rétention.

Face à ce constat, le réseau Migreurop (voir encadré) a lancé en juillet 2013 le projet  «Cartographie dynamique de l’enfermement des étrangers» visant à établir une cartographie  participative de l'enfermement des étrangers en Europe et dans les pays voisins. Ce site web intitulé «close the camps» comme un appel militant pour la suppression de ces «camps» [1] pour migrants, poursuit trois objectifs principaux:
- documenter les lieux, les formes et les conditions de l'enfermement des étrangers ainsi que leurs conséquences humaines (mineurs isolés, grèves de la faim, suicides…);
- faciliter l'accès aux informations concernant les lieux de détention d'étrangers et le contact avec les personnes détenues;
- mobiliser à l’échelle européenne et au-delà, toutes celles et ceux qui s'opposent aux mécanismes d'enfermement et d'éloignement des migrants pour défendre leurs droits fondamentaux.

Un outil cartographique au service de revendications politiques

Le site close the camps est un outil cartographique militant au service d’une cause clairement énoncée: la lutte contre l’enfermement des migrants. Ce site, disponible en 3 langues (français, anglais, espagnol), prolongement direct de la désormais célèbre «carte des camps» dont le réseau Migreurop a fait son étendard, est un point d’appui aux actions et revendications portées par le réseau [2]. Outil simple et pratique s’adressant aux proches des migrants détenus et aux organisations de soutien, mais aussi outil d’information et de sensibilisation qui vient en support aux diverses mobilisations contre l’enfermement des étrangers, ce site va plus loin qu’une simple description de l’état des choses. Il sert de point d’appui à une revendication politique contestataire.

La carte des «camps»

L'élément central du site – sa page d'accueil – est une carte de localisation des centres de rétention en Europe et dans les pays voisins. Cette carte est une version numérique de la «carte des camps» produite et mise à jour régulièrement par le réseau Migreurop. Basée sur Open Street Map (pour le fond de carte), Mapserver (pour la génération des cartes) et Open layers (pour la navigation), cette carte emblématique passe ainsi du statique à l'interactif en mettant à disposition de l'utilisateur les fonctionnalités classiques offertes par ce type de technologies: déplacement, zoom… L'utilisateur peut également choisir entre deux fonds de carte et basculer au besoin sur la couche «OSM humanitaire» qui a l'avantage de permettre une visualisation précise des noms de rue dès lors que l'affichage est à grande échelle. Bien sûr, l'élément important de cette carte est la représentation en rouge par des symboles ponctuels des centres de rétentions.

1. Page d'accueil: carte de localisation des camps d'étrangers de Migreurop

Dans le but de sensibiliser l'utilisateur sur ce qui se passe autour de lui, l'interface permet de sélectionner en un clic le centre de rétention pour migrants le plus proche. Lorsque cette fonction est activée, un cercle de 30 kilomètres de rayon est tracé et le centre le plus proche est mis en exergue. Si la carte, telle qu'elle s'affiche à l'ouverture du site, donne une vision synoptique permettant de visualiser simplement la géographie de l'enfermement en Europe et voir, du même coup, que l'enfermement des migrants déborde largement sur les pays limitrophes de l'Union européenne [3], cette fonctionnalité de localisation place de fait l'utilisateur à une plus grande échelle, dans le but de lui donner à voir les situations concrètes autour de chez lui. En somme, cette fonctionnalité est pensée comme un appel à aller voir directement sur le terrain.

2. Géolocalisation interactive du centre de rétention le plus proche

Dès lors qu'un centre de rétention est sélectionné, soit par un simple clic de souris, soit par l'activation de cette fonctionnalité de localisation, soit par sélection dans une liste déroulante (sous la carte), une infobulle apparaît sur la partie droite de l'écran, avec, si elle est disponible, une photographie du bâtiment. Un lien «consultez la fiche de ce camp» donne alors accès à une fiche d'information.

3. Localisation d'un camps et son infobulle

Sur cette fiche, l'utilisateur peut visualiser différentes informations comme les coordonnées de l'ONG à contacter, la capacité du lieu (nombre de places) ainsi que la durée maximale d'enfermement prévue par la loi. Ces données sont mises à disposition sous forme graphique pour montrer leur évolution depuis 1980. Si des informations ne sont pas encore disponibles, un appel à contribution est lancé pour les compléter. Il est alors possible pour l'utilisateur de contribuer en laissant simplement un commentaire ou, de façon plus élaborée, de partager des photographies ou des informations plus complexes. Nous y reviendrons.

La carte des pays

En plus des informations sur les centres de rétention, le site propose également de mettre à disposition des informations à l'échelle des pays (informations juridiques, statistiques nationales…). On y accède en cliquant sur une carte ou bien via une liste ordonnée de pays. Ensuite, la consultation se fait sur le même principe que précédemment: des graphiques montrent les données disponibles depuis 1980 (par exemple le nombre de personnes enfermées, le nombre de personnes expulsées, etc.).

4. Exemple d'évolution de la durée d'enfermement dans un pays (2000-2013) : la France

Méthodologie

Sur le site, une large place est faite aux questions méthodologiques. En effet, (1) le terme même de « camps » étant discuté dans la communauté scientifique et (2) les situations d'enfermement des migrants variant énormément d'un pays à l'autre, il est important de savoir de quoi on parle. Ainsi, une définition précise des objets représentés sur la carte est énoncée: « Si le réseau a toujours proposé une typologie relativement large de la notion de «camps», seuls les lieux fermés sont à ce jour pris en compte dans la base de données mise en place par Migreurop, qui sert de support pour la plupart des cartographies offertes sur ce site. Par camps fermés, nous entendons l’ensemble des lieux où la privation de liberté des personnes étrangères est totale, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas sortir de l’établissement dans lequel elles sont maintenues, à l’exception de certains déplacements vers les tribunaux ou l’hôpital qui s’opèrent sous escorte policière». Avec le même esprit de transparence, les sources privilégiées sont clairement énoncées.

Derrière le site

Le site «close the camps» est un outil en construction. C'est la partie émergée d'une plateforme collaborative de stockage d'informations cohérentes sur ces lieux de rétention. La base de données ainsi en chantier a pour objectif de stocker deux types d'objets géographiques (les camps, les pays) sur lesquels trois types d'informations sont recueillies.

Au final, cette base de données est composée de 32 tables et 260 champs (champs de métadonnées inclus). Même si toutes ces informations ne sont pas encore disponibles sur le site web, celles-ci sont listées de façon très précise dans le guide de saisie téléchargeable en ligne.

Une cartographie participative?

Au-delà des membres du «groupe cartographie», l'alimentation de cette base de données s'appuie également sur plusieurs personnes qui contribuent activement à la collecte d'informations.

Demain

Si le site est déjà opérationnel en l’état, le réseau Migreurop poursuit le travail en 2015. Pour cela, différentes actions sont d’ores et déjà planifiées:

Cartographie radicale

Où situer le site close the camps dans l’univers de la cartographie et de la géomatique? Site engagé, polémique, voici ce qui le caractérise.

  1. Le site développe une (contre-)vision, une contre-géographie de la politique migratoire européenne, une géographie contestataire.
  2. Les cartes du site ont vocation à être confrontées à d’autres visions usuelles des migrations (flux, frontières…). En ce sens, le but visé est la conflictualisation et le débat.
  3. Même si le réseau compte en son sein de nombreux chercheurs et ingénieurs en sciences humaines, ce site est conçu en dehors du milieu académique, dans le monde associatif.
  4. Même si cela est encore peu développé en l’état, le site vise à impliquer le citoyen par des processus participatifs et ainsi dessiner les contours d’une cartographie populaire ancrée dans la société civile.
  5. La cartographie de ce site n’est pas une fin en soi, mais un outil, un point d’appui, au service de revendications et d’actions politiques concrètes.

Pour ces cinq raisons, l’ADN du site close the camps le situe plus que jamais dans le champ de la cartographie dite radicale.

Pour en savoir plus

(2014) La face cachée des camps d’étrangers en Europe.
(2014) De l’usage contestataire des cartes à la cartographie radicale, GRANIT ADESS, déc. 2014
(2013) Note Migreurop-enfermement [accès au PDF]
(2013) Philippe Rekacewicz, Cartographie radicale.
http://www.monde-diplomatique.fr/2013/02/REKACEWICZ/48734
(2012) Atlas des migrants en Europe: géographie critique des politiques migratoires. Paris: Armand Colin, 144 p. ISBN: 978-2-200-24966-3
(2010) Les camps d'étrangers : symbole d'une politique, Visions cartographiques (Les blogs du Diplo)

Ont contribué à ce projet

Le projet «CloseTheCamps» est mené par le «groupe cartographie» du réseau Migreurop. Au 15 juin 2014, font partie de ce groupe: Agathe Étienne (Migreurop), Alessandra Capodanno (Migreurop), David Lagarde (cartographe, doctorant, LISST-CIEU, Migreurop), Elsa Tyszler (sociologue, Paris 8, Migreurop), Émilie Dubuisson (KISA, Migreurop), Laurence Pillant (géographe, Telemme), Léa Lemaire (Sciences Po Aix, CHERPA), Louise Tassin (sociologue, Urmis, Migreurop), Lydie Arbogast (Migreurop), Morgane Dujmovic (géographe, Telemme), Nicolas Braun (La Cimade, Migreurop), Nicolas Lambert (cartographe, CNRS/RIATE, Migreurop), Nicolas Pernet (La Cimade, Migreurop), Olivier Clochard (géographe, Migrinter, Migreurop), Ronan Ysebaert (CNRS/RIATE), Thomas Honoré (cartographe, Pôle Carto et InCittà).

Les États européens utilisent parfois des euphémismes pour parler de lieux de détention de migrants : «centres de prise en charge publique» en Roumanie, «maison d’hôtes pour étrangers» en Turquie, «unités d’habitation» au Portugal… Dans son approche engagée, le réseau Migreuro préfère quant à lui utiliser le terme «camps».
La première publication de la carte des camps par le réseau Migreurop date de novembre 2003.
Le terme «externalisation» définit cette politique d’enfermement au-delà des frontières de l’espace Schengen.
Lancée en 2011 par les réseaux Migreurop et Alternatives Européennes, la campagne Open Access Now a pour objectif la fermeture de tous les camps d’étranger-e-s en Europe et au-delà et, en attendant, d’exiger et de renforcer la visibilité et la transparence sur les réalités de la détention des migrant-e-s.
Un laboratoire de la Nasa: http://sedac.ciesin.columbia.edu/data/collection/gpw-v3
Cf. la page de son site présentant la méthode: http://www.viewsoftheworld.net/?p=832