N°115

Le conflit israélo-palestinien en représentations

Issues d’une enquête réalisée auprès de 221 étudiants de licence d’histoire et/ou de géographie de l’université Paul-Valéry de Montpellier, les deux cartes présentées ci-dessous (figure 1) donnent à voir le territoire du conflit israélo-palestinien. Cette enquête s’inscrit dans une démarche plus large qui s’articule autour de la question des représentations du conflit israélo-palestinien en France dans les années 2000, c’est-à-dire aux «systèmes d’interprétation de [cette] réalité» (Abric, 1987 cité par Séca, 2002). Le fond de carte est proposé aux étudiants avec la consigne suivante: «Voici le territoire du conflit. Complétez cette carte avec tous les éléments que vous connaissez».

1. Le territoire du conflit. Exemples de cartes complétées par les étudiants

Sur la carte n°1, la bande de Gaza traverse le territoire de part en part séparant Israël au nord, de la Palestine au sud. La carte n°2 présente un territoire relativement fragmenté, avec au sud le Sinaï — territoire annexé depuis la guerre des Six Jours —, directement au nord la Cisjordanie où se trouvent de nombreuses colonies et implantations sauvages, ce territoire est bordé à l’ouest par la bande de Gaza et à l’est, par les territoires occupés, avec au centre une zone contenant Jérusalem.

Les informations révélées par la production des cartes doivent être manipulées avec précaution, puisque les problèmes liés à leur utilisation se rapportent à la fois à la production — contraintes propres à une situation d’enquête, aptitude au dessin… — et à l’interprétation: que signifie, par exemple, l’absence d’Israël sur la carte n°2? L’utilisation des cartes permet de révéler une partie de la connaissance géographique relative au territoire du conflit israélo-palestinien en complément d’autres outils, plus traditionnels. Le questionnaire proposé aux étudiants aborde ainsi trois échelles géographiques: le monde, l’environnement régional et le territoire du conflit. Les étudiants doivent répondre le plus librement possible à une série de questions ouvertes (portant sur la localisation du conflit, les revendications, les colonies, Jérusalem…) et compléter deux fonds de carte. Sur la première carte figurent les contours de la Palestine mandataire (figure 1) et dans la seconde ceux des territoires de la bande de Gaza et de la Cisjordanie ont été ajoutés.

Le conflit s’apparente chez les étudiants à une accumulation d’évènements actuels, passés et régionaux. L’enquête s’est déroulée quelques mois après les bombardements de Gaza en janvier 2009 et la bande de Gaza est omniprésente dans les réponses des étudiants qui expliquent, par exemple, que c’est «un territoire qui n’était pas dans le mandat israélien avec l’Angleterre, mais laissé aux Palestiniens, que les Israéliens voulaient, donc ils l’ont attaqué en début d’année» ou encore «Nœud actuel du conflit: base présumée du Hezbollah souffrant de tirs nourris israéliens», un mélange avec un acteur, le Hezbollah, certes impliqué dans le conflit à l’échelle régionale, mais pas présent à Gaza. Ces discours s’apparentent alors à des collages d’images.

La bande de Gaza devient, pour près d’un tiers des étudiants l’enjeu principal du conflit: «une bande de terre revendiquée par les deux pays en conflit». Elle constitue pour certains l’unique objet de contentieux, un étudiant donnant pour seules revendications: les Palestiniens «veulent récupérer le territoire de la bande de Gaza en expulsant les juifs» et les Israéliens «veulent rester sur le territoire de la bande de Gaza». Cette zone est parfois définie comme une «zone de combat entre les deux pays», «une bande de terre revendiquée par les deux pays en conflit», ou encore «un territoire, ou une parcelle, en plein milieu du conflit israélo-palestinien». Certaines cartes produites illustrent cette vision partagée (Voir carte n°1 – figure 1). Par ailleurs, pour nombre d’étudiants, la bande de Gaza constitue le seul territoire des Palestiniens, «Territoire des Palestiniens, le seul qu'il leur reste, envié par les Israéliens». Une idée nuancée soit en termes de contrôle, «dernière bande de terre encore sous un petit contrôle palestinien», ou de présence «bande de terre où est réfugié l’ensemble des Palestiniens».

L’enquête permet également de soulever un des points essentiels dans l’appréhension du conflit: il s’agit de la dissociation entre la «Palestine», la «bande de Gaza» et la «Cisjordanie», celle-ci apparaît sur près de la moitié de cartes produites. La Cisjordanie apparaît alors souvent comme un pays voisin accueillant des réfugiés palestiniens. La relation entre ce territoire et le conflit se trouve souvent limitée à cet aspect ou, au mieux, la Cisjordanie devient un pays adhérant à la cause palestinienne: «Allié du Hamas», «Aide non officiellement la Palestine. Ouvertement anti-israélienne». La formulation de l'un d'entre eux pourrait résumer la vision de l'ensemble des étudiants: «Pays voisin accueillant des réfugiés et se mettant en conflit avec l’État d’Israël – même si je ne sais pas très bien son rôle – ce pays revient souvent dans le conflit israélo-palestinien».

Si les représentations mises à jour montrent une connaissance géographique «fragmentée, déformée et incomplète» (Tversky, 1993), il ressort malgré tout une image partagée du conflit aux caractéristiques relativement simples: un conflit entre Israël et la Palestine qui s’explique par des revendications communes sur la bande de Gaza ou Jérusalem.

Le questionnement développé dans ce travail de recherche interroge d’abord le rapport à la distance en géographie, plus précisément la façon d’appréhender le rapport au réel dans un contexte de distance à l’objet. En France, l’expérience de ce réel est fournie notamment par des informations relayées par les médias, informations de plus en plus présentes, accessibles et actualisées en permanence. Ce réel participe également des territoires de l’Ailleurs et interroge le rapport à l’altérité. Ces différents éléments interviennent dans la construction des discours sur l’objet et participent ensemble à de multiples déformations. La méthodologie développée s’appuie sur l’analyse des différents discours qui construisent une image du conflit en France et cherche à en présenter un système cohérent. Elle se décline en deux axes principaux: une analyse du discours des médias – intermédiaires essentiels dans la construction des représentations – à travers notamment le traitement par la presse écrite de la conférence d’Annapolis [1] (novembre 2007) et l’enquête par questionnaires menée auprès des étudiants.

Ainsi, ce travail de recherche examine la construction des images du conflit par les médias, la manière dont les individus l’appréhendent et propose une réflexion sur les représentations de ce conflit en France. Les représentations sont donc abordées dans leur dimension de processus, de produit et à travers leur rôle de construction de la réalité. Cette recherche s’inscrit dans une démarche exploratoire, puisqu’il s’agit de cerner les contours d’une représentation du conflit afin de mieux comprendre ce réel.

En confrontant différents discours sur le conflit, cette étude met ainsi en évidence la façon dont les individus appréhendent un territoire, objet d’une médiatisation importante, de représentations contradictoires, soumis ainsi à de multiples déformations. Les résultats soulignent le décalage entre une information de plus en plus importante, actualisée en permanence et accessible, et la compréhension des évènements par la population. Ce travail pose ainsi la question de l’efficacité des discours. Cette approche du conflit israélo-palestinien, par le biais des représentations, constitue une échelle d’analyse originale dans l’appréhension de la construction des rapports de l’individu au monde.

Bibliographie 

SECA J.-M. (2010, 1ère éd. 2002). Les représentations sociales. Paris: Armand Colin, Coll. «Cursus», 224 p. ISBN: 978-2-200-24916-8

TVERSKY B. (1993). «Cognitive maps, cognitive collages and spatial mental models». In FRANK A. U. et CAMPARI I. (dir.) Spatial Information Theory: A Theoretical Basis for GIS, Berlin: Springer, p. 15-24. ISBN: 3-540-57207-4

Référence de la thèse

YVROUX C. (2012). Le conflit israélo-palestinien en représentations. Montpellier: université Paul-Valéry Montpellier 3, thèse de doctorat de géographie, 372 p.

22 titres de la presse écrite française ont été analysés au cours du mois de novembre 2007, le corpus étudié comprend 170 articles.