N°116

Le futsal: un autre monde du football?

Malgré son issue sportive, l’organisation de la Coupe du monde de football 2014 sur son territoire a permis au Brésil, au-delà de constituer une répétition en vue des Jeux Olympiques de 2016, de rappeler qu’il était l’un des pays du football association [1]. Dans l’attente de ces JO, il est encore un peu hâtif de considérer le Brésil comme une puissance sportive complète, laquelle se définit notamment par rapport au nombre de compétitions internationales organisées et aux résultats sportifs obtenus (Gillon et al., 2010). Difficile néanmoins de ne pas considérer aujourd’hui ce pays comme une puissance complète au regard du football. Au plan national, le football y fait office de véritable religion (Bellos, 2003; Raspaud, 2010), ses clubs sont parmi les plus performants (Théry, 2014), et c’est l’une des nations les plus pratiquantes d’après le recensement Big Count (FIFA, 2007). Au plan international, elle est la nation la plus titrée et la plus assidue (cinq titres, aucune édition manquée) de la Coupe du monde de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), principale compétition intercontinentale. Et si cette domination tend à décroître, le Brésil n’en demeure pas moins la nation majeure des formes de football.

En effet, le Brésil a su développer avec succès une maîtrise de l’ensemble des formes de jeu de «balle au pied» codifiées. C’est ainsi le seul pays à se hisser dans les dix meilleures nations des quatre classements mondiaux de référence des pratiques, dont la FIFA à la charge (tableau 1[2]), puisque son rayon d’action ne se limite pas qu’au football, version de jeu «balle au pied» la plus anciennement organisée. L’institution mondiale est également garante de deux autres sports: le futsal et le football de plage (beach soccer), qui ne bénéficient pas à l’évidence de la même exposition médiatique et du même engouement que le football (ils ne sont pas, par exemple, sports olympiques).

Cet article souhaite s’arrêter sur le premier nommé de ces «autres» footballs, le futsal, et analyser ses conditions d’apparition, de diffusion et de répartition à l’échelle mondiale. La géographie du football a déjà fait l’objet de nombreuses recherches (Bale, 1980; Grosjean, 2003; Ravenel, 1997), mais aucun travail ne s’est encore penché sur la localisation de ces autres sports «balle au pied», et le futsal reste globalement une pratique encore peu abordée par les autres sciences (Moore et al., 2014).

Né un demi-siècle après le football, le futsal possède des caractéristiques ambivalentes à l’égard de son aîné, à la fois proches et distinctes, comme en atteste la présence conjointe, mais incommode, des deux sports au sein d’une seule et même fédération internationale [3] depuis 1989. L’impact de cette cohabitation sur la géographie du futsal en est d’autant plus intéressant à étudier.

À espace de jeu réduit, espace de diffusion réduit

Parfois présenté et connu comme une (simple) version en salle du football [4], le futsal y puise naturellement son «essence», à travers certains traits élémentaires semblables (balle jouée au pied, présence du poste spécifique de gardien de but…), d’où son qualificatif de football «réduit», d’indoor-foot-ball, et son appellation finale, contraction hispanophone de fútbol de salón, qui justifierait alors logiquement son rattachement à la FIFA.

Ce dernier ne s’est pas fait, cependant, sans les oppositions, encore tenaces, de certaines fédérations et pratiquants pour qui ce sport ne peut être sous tutelle et doit constituer une pratique – et une organisation – à part entière, clairement distincte de la FIFA. Ce fut d’ailleurs le cas à l’avènement de ce sport, matérialisé par la création d’une fédération autonome en 1971, la FIFUSA [5], devenue AMF [6] en 2002 et qui regroupe encore aujourd’hui une soixantaine d’associations nationales, elles-mêmes en concurrence avec les fédérations nationales de football dans leurs pays respectifs (concernant la prise en charge du futsal). Les partisans de ce schisme font valoir, quant à eux, les critères spécifiques du futsal (nombre de joueurs, taille du terrain, du ballon et des buts, revêtement de la surface de jeu, interdiction du tacle…), hérités du panachage sportif entrepris par son concepteur, Juan Carlos Ceriani.

Quand bien même elles ont en charge deux conceptions du futsal extrêmement proches (hormis quelques différences quant à la réglementation du jeu), l’existence de ces deux fédérations internationales complexifie le suivi de la pratique, la lecture des forces en présence et donc sa géographie. Toutefois, concernant les performances les plus récentes (depuis 1989), la seule prise en compte du futsal estampillé «FIFA» paraît méthodologiquement plus cohérente, la FIFA étant l’organe le plus légitime, le plus reconnu, et le plus fédérateur, quelle que soit la pratique considérée (football, football de plage ou futsal).

Paradoxalement, le futsal peine pourtant à tirer profit de cette tutelle, malgré le nombre conséquent de membres que compte la FIFA, traduction de sa lecture pour le moins spécifique des relations internationales (Verzeroli, 2014). Au regard de la situation du football, pratique mondialisée, en dépit de quelques territoires qui restent encore dans une marge «toute relative» (Gillon et al., 2010), détonne celle du futsal, aux marges plus importantes, et empreinte de disparités en raison des degrés d’investissement sur le plan international.

Dans certains pays, le futsal constitue, symboliquement, l’antichambre du football, un réservoir de joueurs potentiels. Le Brésil, ou plus récemment, le Portugal et l’Espagne sont souvent dépeints comme pays avant-gardistes et références en la matière, où le vivier de joueurs futsal enrichit régulièrement les sélections de football. Mais ils restent aujourd’hui des exceptions, la plupart des autres pays accordant une importance moindre à cette pratique. À titre d’exemple, l’Angleterre, doyenne des nations du football, n’a que très récemment saisi le potentiel que représente le futsal et tente désormais d’en faire un atout (Moore et Radford, 2014). Par ailleurs, pour une multitude de «petits» ou «micros états», le futsal – tout comme le beach soccer – apparaît avant tout comme un moyen d’exister sur la scène sportive internationale, en produisant des résultats difficilement accessibles en football. Un nombre important d’états asiatiques ou d’Océanie semble suivre cette voie, que ce soit en termes de pratiquants ou d’investissement de l’équipe nationale.

Une genèse sud-américaine

Impossible de présenter le développement du futsal sans évoquer l’espace au sein duquel il émerge, l’Amérique du Sud, l’autre «continent du football» (Archambault, 2014). Empreinte d’une culture du football établie plus tardivement qu’en Europe via les Britanniques (Gomez, 2014; Raspaud, 2010), l’Amérique du Sud a rapidement comblé l’écart sportif que le Vieux Continent a su creuser en sa faveur au début du XXe siècle, en raison du dynamisme avec lequel elle va institutionnaliser la pratique (Archambault, 2014).

Symbole de la réussite sportive [7] et du foisonnement du football dans cette région du monde, l’Uruguay constitue le point de départ de la diffusion de cette nouvelle forme de jeu. De 1930 à 1933, Ceriani, professeur d’éducation physique, souhaitant répondre aux besoins de la jeunesse uruguayenne «stimulée» par les résultats de la sélection nationale, la Céleste, se lance dans la constitution d’un nouveau sport permettant de jouer au football toute l’année, et ce, de manière éducative.

Pour ce faire, Ceriani, imprégné des préceptes des Young Men’s Christian Association (YMCA), dont il est l’un des relais en qualité de directeur au sein de l’Asociación Christiana de Jóvenes (AJC) de Montevideo (l’équivalent des YMCA dans les pays hispanophones), s’appuie sur les pratiques sportives préalablement développées ou encouragées par ce mouvement, comme le volley-ball ou le basket-ball. Ce dernier, inventé au Springfield College (dont Ceriani sera lui-même diplômé), et introduit en Uruguay par des membres des YMCA dès 1894 (Archambault et Artiaga, 2010), est l’idéal type du sport que souhaite développer Ceriani. James Naismith, à l’origine du basket-ball, puis William Morgan quelques années plus tard avec le volley-ball, avaient la volonté de développer des sports praticables lorsque les conditions empêchaient les activités athlétiques en extérieur (Archambault et Artiaga, 2010; Darbon, 2008). C’est avec une même ambition (créer un jeu «intemporel», moins «violent», plus «éducatif») que Ceriani s’attache à bonifier le football tel qu’il souhaite le voir joué. Ainsi, il utilise les bases praxiques et réglementaires du basket-ball, qu’il complète avec celles du handball et du water-polo, autre sport étroitement lié aux YMCA (Hines, 2012), et que Ceriani maîtrise déjà, puisqu’il est également entraîneur de la fédération nationale.

Comme l’avance Fabien Archambault (2014), le rôle de la religion et de ses relais par l’intermédiaire des ACJ, apparaît manifeste dans le processus d’arrivée et de construction de certaines pratiques sportives. Ce rôle semble ainsi prédominant dans la diffusion géographique du football et du futsal dans la région. La publication des règles, en 1933, permet à Ceriani de lancer le processus de diffusion. À l’instar du basket-ball, où les représentants des diverses sections des YMCA ont servi comme autant de «missionnaires» sportifs (Darbon, 2008), le futsal va lui aussi pouvoir compter sur l’engagement de ces acteurs pour s’expatrier. Le réseau que Ceriani met en place s’organise autour de la même logique de diffusion, par proximité géographique, que le football en son temps (Gillon et al., 2010) avec une première phase tournée vers les pays frontaliers, puis l’ensemble de l’Amérique latine. Ceriani va ainsi transmettre les premières règles à d’autres professeurs et membres des ACJ brésiliens, argentins, chiliens, péruviens et vénézuéliens, qui feront office de passeurs en assurant la transplantation de la pratique sur le reste du continent.

En raison de sa proximité directe et de son activisme religieux, le Brésil va être, dès 1933, le premier pays «touché» (primer término) par la diffusion de la pratique, dont il reste aujourd’hui le principal ambassadeur. Si, à cette date, le pays n’est pas la puissance du football qu’il est aujourd’hui, le réseau des Associação Cristã de Moços (équivalentes aux YMCA dans les pays lusophones) de São Paulo et de Rio de Janeiro joue un rôle déterminant dans l’enracinement de la pratique au Brésil. La place que le Brésil occupe dans le paysage du futsal contemporain est en grande partie la résultante de l’influence qu’il exerce sur la pratique durant les années 1950: c’est au Brésil que vont être parachevées les règles originelles de Ceriani (Cachón-Zagalaz et al., 2012) et mis en place les premiers tournois (Moreau, 2010). Une fois cette transmission continentale achevée, le travail des premiers clubs formés va s’avérer déterminant pour se joindre à celui des relais des YMCA, par l’intermédiaire de matchs d’exhibition sur les autres continents, comme cela fut le cas pour le basket-ball (Archambault et Artiaga, 2010).

Ainsi en Amérique du Nord et en Europe, où des formes de jeux similaires existaient (Cachón-Zagalaz et al., 2012; Moreau, 2010), l’arrivée de ce jeu plus structuré va permettre le développement d’une pratique formelle. C’est le cas, par exemple, de l’Espagne, où le futsal apparaît à Madrid au début des années 1970, à nouveau par l’intermédiaire des YMCA, ou par les tournées entreprises par le Penarol Montevideo à cette même période, qui vont permettre d’introduire le futsal dans d’autres pays européens comme la Belgique ou la Tchécoslovaquie. Quant à la France, le futsal y arrive à la fin des années 1970, importé du Brésil par une équipe cannoise, suite à un tournoi organisé dans la ville de Belo Horizonte. De l’aveu même de Ceriani, au-delà du continent américain, l’Espagne, le Portugal, Israël et l’Australie vont s’avérer être des pays relais déterminants pour la pratique.

À l’issue de cette phase d’expansion, une quarantaine de pays sont concernés par la diffusion du futsal, entraînant la création de fédérations nationales et bientôt de la fédération internationale (FIFUSA), en 1971 dont le profil des membres fondateurs [8] témoigne alors de l’hégémonie sud-américaine sur la pratique, qui au-delà de sa conception, se traduira également dans les premières compétitions. La composition du premier Championnat du monde de futsal FIFUSA en 1982, organisé et remporté par le Brésil est à ce titre révélateur: y sont invités quatre nations fondatrices de la FIFUSA (l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay), deux nations rapidement touchées par la diffusion du futsal (la Colombie et le Costa Rica), trois pays européens dans lesquels la pratique est arrivée quelques années plus tard (l’Italie, les Pays-Bas et la Tchécoslovaquie) et un représentant asiatique (le Japon).

En cela, cette composition se distingue de celle de la première édition de la Coupe du monde de football, où la localisation du pays hôte et la volonté de réduire «l’européocentrisme» de la FIFA (Dietschy, 2010, p. 165), ont exercé une influence sur la provenance des participants, au détriment d’un aspect plus historique: la première édition de 1930, en Uruguay, ne compte ainsi que quatre nations européennes alors que ces dernières sont à l’origine de cette organisation, et qu’elles constituent le foyer de diffusion de la pratique. Cette anomalie sera corrigée dans des proportions inverses, quatre ans plus tard, en Italie, où 12 des 16 nations participantes sont issues du continent européen.

Le Championnat du monde de futsal, organisé par la FIFUSA, a fait assez tôt le jeu de l’universalité. L’édition de 1985, élargie à 12 sélections, voit ainsi un rééquilibrage géographique par diminution du nombre de nations sud-américaines (quatre contre cinq en 1982) et par intégration à la compétition de l’Espagne, pays hôte, du Portugal (la pratique devient alors mûre dans la Péninsule ibérique) ainsi que du Canada et de l’Australie, dont Ceriani a souligné l’importance dans la diffusion de la pratique et qui accueillera le Championnat du monde de futsal trois ans plus tard. Cette organisation est toutefois tributaire des nations membres, et comme le rappelle Pierre Moreau (2010), en 1985, en Europe, seules les fédérations issues de l’Italie, de l’Espagne, de la Tchécoslovaquie et du Portugal ont adhéré à la FIFUSA, ce qui limite de facto le champ des possibilités. L’édition de 1988, dernière avant l’intronisation du futsal par la FIFA, accueille 16 nations et voit la Hongrie, l’Angleterre (qui remplace le Mexique), la Nouvelle-Zélande et les États-Unis s’immiscer dans la course au titre et renforcer un peu plus la diffusion du futsal, même si cette dernière, sous l’action de la FIFUSA, peut présenter une perspective quelque peu trompeuse.

Une histoire par la FIFUSA-AMF, une visibilité par la FIFA

Pour rendre compte de la situation actuelle du futsal mondial, il est nécessaire de basculer dans une deuxième grille de lecture, relative à l’intégration du futsal au sein de la FIFA. L’attrait et le développement du futsal dans les années 1980 par-delà le continent américain ayant en effet tout particulièrement suscité l’intérêt voire l’inquiétude de la FIFA quant à son produit phare, le football.

Ce ralliement offre alors au futsal un terrain d’expression a priori plus grand, la FIFUSA ne comptant à cette période qu’une cinquantaine de membres (trois fois moins que la FIFA), qui ont profité des premiers mondiaux de la FIFUSA pour s’installer dans la hiérarchie du futsal. Pourtant, la diffusion de la pratique dans le reste des pays affiliés à la FIFA va s’avérer pour le moins très prudente (figure 1), ce qui en définitive est plutôt logique: l’intérêt pour le futsal dans ces pays fut assez confidentiel pour ne pas entraîner la création d’une fédération affiliée à la FIFUSA (même si des pressions de la part des fédérations nationales de football peuvent localement l’expliquer).

1. La diffusion du futsal dans le monde


Quel indicateur retenir alors pour concilier ce passage entre les deux ères du futsal sans perte d’information? Une lecture par dates de créations des fédérations nationales pose évidemment problème. En effet, l’intégration du futsal au sein des fédérations nationales affiliées à la FIFA s’est toujours faite après celle de ces dernières au sein des différentes confédérations et de la fédération internationale. Par ailleurs, ne retenir que la date de création de la fédération affiliée à la FIFUSA-AMF n’est objectivement pas pertinent: cette fédération internationale est en perte de vitesse et ne saurait être représentative du futsal dans son ensemble.

À première vue, l’indicateur le plus judicieux est sans doute celui de la date d’entrée du futsal au sein des fédérations nationales affiliées à la FIFA. Mais de quelle manière la définir avec précision? Cette date d’entrée est en effet très fluctuante entre les premières discussions entreprises par la fédération de football et l’intégration du futsal dans ses statuts. Tout cela est dépendant de critères plus juridiques que sportifs, et varie selon le degré d’organisation et de structuration de la politique sportive des différents pays.

Dès lors, le premier match de futsal joué sous réglementation «FIFA» nous apparaît comme un critère plus aisé et neutre pour présenter la maturité des différentes nations. Au-delà du vécu de la pratique dans un pays (le futsal joué dans les fédérations FIFUSA), qui s’en trouve légèrement affecté, force est de constater que le futsal est aujourd’hui pratiqué sous bannière FIFA, et cet indicateur permet alors de faire ressortir les places fortes de ce sport tout en conservant même une certaine ancienneté (figure 1). En effet, on constate que les membres fondateurs de la FIFUSA ont rapidement répondu à l’appel de la FIFA, et ce avant 1989, année de la première Coupe du monde de futsal de la FIFA à laquelle ils furent – logiquement – conviés (11 des 16 participants à cette compétition avaient déjà pris part à un championnat du monde de futsal FIFUSA): seuls l’Uruguay, en 1991, et la Bolivie, en 2000, ont tardé à jouer leur premier match futsal sous la bannière de la FIFA. Plus généralement, des nations ayant participé à l’un des trois premiers mondiaux de la FIFUSA, seules la Colombie, longtemps réfractaire au futsal administré par la FIFA (Moreau, 2010) et l’Angleterre, plus par désintérêt de la pratique, se sont peu senties concernées par cette opportunité. À l’inverse, deux nations absentes des compétitions FIFUSA (en raison de la forte concurrence de leurs confédérations) l’ont rapidement investie: le Chili et le Pérou, deux pays «centraux» du futsal FIFUSA.

Ainsi, la figure 1 fait ressortir une diffusion du futsal établie selon un modèle de transplantation, propre aux activités sportives (Augustin, 1995), et en particulier aux sports britanniques, dont le football (Ravenel, 1997). Dans le cas du futsal, le continent sud-américain se substitue au Royaume-Uni en tant que foyer émetteur, même si le rôle primordial de l’Uruguay est ici atténué.

Au-delà de la date du premier match «FIFA», le nombre de rencontres disputées offre un regard complémentaire, davantage axé sur la performance des sélections et permet de pondérer certaines interprétations. Si le Zimbabwe, le Danemark, l’Algérie, l’Arabie Saoudite ou le Canada font partie des nations «historiques» du futsal, elles le doivent exclusivement à leur présence sur invitation à la Coupe de monde de futsal de la FIFA de 1989. Depuis, leur investissement dans la pratique est illusoire avec respectivement 10, 16, 30, 30 et 43 matchs disputés, soit autant, cumulés, que l’Ouzbékistan ou la France, qui n’ont pourtant engagé une sélection qu’une dizaine d’années après elles.

En termes de performances, Pascal Gillon et Loïc Ravenel (2006), ont exposé la domination des deux continents historiques du football et de leurs confédérations respectives. Le futsal est également l’apanage des nations européennes et sud-américaines (figure 2). Mais, comme pour le football, le faible nombre de places octroyées aux nations asiatiques, océaniennes ou africaines rend d’autant plus difficile un bouleversement de cette hiérarchie dominée par les nations issues des foyers de création de ces deux pratiques: le Brésil, l’Espagne et l’Italie se sont accaparé 16 des 21 places possibles de podium des Coupes du monde futsal de la FIFA.

Pourtant, l’arrivée du futsal au sein de la FIFA a matérialisé son ouverture à ces continents quelque peu «oubliés» par les premières années du schéma de diffusion de la FIFUSA. Si les championnats du monde de 1982, 1985 et 1988 ont progressivement élargi la participation à d’autres pays que sud-américains, la qualité du réseau et du tissu mis en place par la FIFUSA n’a pas suffi à faire du futsal un sport ancré sur tous les continents. À l’inverse, la FIFA, par son emprise territoriale, a su faire respecter dès la première édition de sa compétition internationale de 1989, à défaut d’équilibre, une certaine équité territoriale: l’Amérique du Sud, pourtant centre de diffusion de la pratique voit son nombre de places encore diminuer, avec seulement trois représentants, presque autant que l’Asie ou l’Afrique (deux représentants chacun), dont c’est la première invitation à une compétition de futsal. Quant à l’Europe, elle sort épargnée, voire gagnante avec cette nouvelle «carte» puisqu’elle conserve un nombre identique de représentants, lui permettant de rivaliser plus efficacement avec les nations sud-américaines.

2. La Coupe du monde de futsal de la FIFA

«Un deuxième siècle» du futsal?

Malgré cette répartition géographique des chances de succès, le titre de champion du monde de futsal peut toutefois paraître encore quelque peu galvaudé (il en va d’ailleurs de même pour nombre de titres sportifs «mondiaux»). Car, si 142 nations ont à ce jour disputé un match officiel (figure 1), ce chiffre est à nuancer: une trentaine de nations n’ont pas effectué plus de dix matchs internationaux. Le futsal, même développé par la FIFA, n’est donc pratiqué assidûment que par une centaine de pays, ce qui permet de saisir l’écart entre le futsal et le football: lors des deux dernières Coupes du monde FIFA respectives, 108 pays ont pris part aux qualifications pour l’édition 2012 de futsal, contre 203 pour l’édition 2014 de football, quand bien même l’édition brésilienne constituait la 20e édition de la Coupe du monde de football, le futsal en étant à sa 7e édition.

Mais cette nouvelle donne géographique a largement contribué au renouvellement des nations, puisque 43 d’entre elles ont participé au moins une fois à la Coupe du monde de futsal de la FIFA. Si les invitations octroyées lors des premières éditions expliquent pour partie cette diversité, elles ne sauraient totalement masquer les bénéfices que tirent du manque de maturité du futsal les pays qui rencontrent des difficultés à être présents dans les compétitions de football (Gillon et Ravenel, 2006; Karembeu et Champagne, 2010): les Îles Salomon, le Guatemala, la Libye, Panama, la Thaïlande, le Kazakhstan ou la Malaisie sont parvenus à se qualifier pour une Coupe du monde FIFA… de futsal. En outre, 17 des 50 meilleures nations de futsal ne figurent pas parmi les 50 meilleures au football, les sélections nationales d’Europe du Nord et de l’Ouest disparaissant au profit de celles d’Europe de l’Est et dans une moindre mesure d’Asie centrale (figure 3). Un constat similaire, avec d’autres territoires, pourrait être établi pour le beach soccer, où la présence de Salvador et de Tahiti dans les dix meilleures nations mondiales (tableau 1) détonne par rapport à leurs performances en football.

3. Hiérarchie et pratique du futsal dans le monde


Le futsal semble donc être à l’aube d’un «nouveau siècle», pour reprendre l’expression de Paul Dietschy (2010, p. 487), à propos de la situation du football au début du XXe siècle. Marquée par une globalisation croissante, cette deuxième ère se caractérise par une «dépossession de l’invention» (id.) issue du foyer d’origine de la pratique (élargi au continent sud-américain), au profit des ex-foyers secondaires, qui prennent de plus en plus d’importance dans la pratique (figures 2, 3). L’intégration du futsal au sein de la FIFA, symbole de mondialisation, n’y est pas étrangère, et le turnover des nations qu’elle a entraîné, s’il n’a pas encore modifié profondément l’équilibre des forces en présence de la pratique, lui a donc permis de marcher sur les pas du football, dans des proportions moins importantes. À titre de comparaison, le futsal est désormais une pratique aussi présente à l’échelle internationale que d’autres sports collectifs pourtant plus connus et relayés (graphique 1).

Graphique 1. Évolution du nombre de pays participants aux qualifications des principaux championnats ou Coupes du monde, de 1987 à 2015 [9]


Alors quelle marge de progression est-il possible d’établir pour le futsal au regard du football? Difficile d’apporter des éléments de réponse tant les situations diffèrent d’un pays à un autre. Quelques réflexions d’ordre général peuvent être néanmoins menées.

Tout d’abord, on constate que l’Afrique, malgré son intégration, reste le continent pauvre du futsal: seules la Libye et l’Égypte ont disputé plus de cent matchs. Outre les problèmes matériels (absence de structures permettant l’accueil de rencontres internationales, notamment en termes de surface de jeu), les raisons semblent également historiques et culturelles. L’Afrique reste avant tout une terre de football. La colonisation a implanté solidement le football, qui a ensuite servi de pratique émancipatrice pour ces jeunes nations indépendantes (Dietschy, 2010). A contrario, le manque de pays relais du futsal sur ce continent joue un grand rôle dans son retard tout comme l’absence des sports afférents (water-polo, basket-ball et handball) à l’exception des pays africains les plus développés.

En Amérique (du Nord et centrale), comme en Europe, l’absence de politiques volontaristes semble être le facteur d’explication majeur de ce manque. Certes, rares sont les pays européens à ne pas avoir encore disputé de rencontres, mais certaines nations historiques du football, notamment d’Europe du Nord, restent encore très discrètes, comme l’Allemagne, la Suisse, les nations britanniques ou encore les pays scandinaves. Dans le reste des confédérations, les pays insulaires des Caraïbes ou du Pacifique font globalement défaut comparativement au football, malgré le bénéfice que certains d’entre eux tirent de cette pratique, cette dernière n’ayant en fin de compte qu’un effet d’entraînement, d’émulation assez limité.

La marge de progression du futsal se lit pareillement à travers ses acteurs principaux, à savoir le nombre de pratiquants (figure 3), puisque «seul» 1,6 million des footballeurs licenciés dans le monde pratique le futsal, soit 4% d’entre eux (FIFA, 2007), même si ces données sont à manier avec précaution (Gillon et al., 2010). Naturellement, les pays phares du futsal (Brésil, Espagne, Russie, Italie, Portugal), en concentrent une grande majorité, mais des pays nettement moins performants parviennent à fédérer un vivier de joueurs qui témoigne du potentiel que peut générer cette pratique. Cela est avant tout dû à un recensement particulier, qui tient compte par exemple des formes de jeu apparentées au futsal. Ainsi, pour mener à bien son projet volontariste en matière de futsal, l’Angleterre souhaite s’appuyer pour partie sur une autre forme de football «réduit», le five-a-side football, qui suscite un réel engouement dans les quelques pays développés dans lesquels il s’implante – dont la France (Gaubert, 2012) – et dont les dispositions particulières peuvent servir le futsal, compte tenu des terrains d’expressions communs à ces deux pratiques, les espaces urbains. À cette échelle, la multiplication des foot-ball invite chaque pratique à optimiser sa présence territoriale. Or, le futsal reste étroitement associé aux banlieues «populaires» et plus encore à la jeunesse, au moins en France, où il est, dans la ligne pédagogique de Ceriani, surtout présent dans le secteur scolaire secondaire et au niveau universitaire, sans parvenir à prolonger une dynamique hors ce cadre. Ce constat traduit les difficultés de ce sport à sortir de sa genèse et par conséquent à se diffuser auprès d’autres espaces ou dans d’autres milieux. À l’inverse, en dépassant ses premiers cercles d’adeptes (aristocrates, intellectuels, marchands, commerçants), le football est parvenu à toucher un large public, ce qui se ressent dans la composition des clubs et leur maillage territorial (Grosjean, 2003; Ravenel, 1997). Toutefois, le football est de plus en plus concurrencé par ces – voire ses – dérivés, qui répondent davantage aux évolutions culturelles ou au manque de places appropriées dans l’espace urbain. Par là même, et compte tenu de l’urbanisation croissante des sociétés contemporaines, le futsal tient certainement une belle occasion d’agrandir son terrain de jeu.

Repères chronologiques

1904: création de la FIFA
1930: première édition de la Coupe du monde de football
1933: publication des premières règles du futsal par Juan Carlos Ceriani
1971: création de la FIFUSA
1982: première édition du Championnat du monde de futsal (FIFUSA)
1989: première édition de la Coupe du monde de futsal (FIFA)
2002: la FIFUSA devient l’AMF

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«Football association» est la dénomination originelle de ce qui est maintenant appelé, communément et simplement «football».
Les classements des équipes nationales de beach soccer, de futsal et de football féminin sont établis selon la classification ELO, système d’évaluation utilisé dans divers jeux pour classer les joueurs. Le classement des sélections de football masculin est établi par la FIFA selon un mode opératoire propre.
Cette cohabitation se rencontre au sein de l’International Rugby Board, en charge du rugby à sept et du rugby à XV, ou encore au sein de la fédération internationale de volley-ball, dans laquelle est intégré le beach volleyball.
.Quand bien même, le fait de jouer en salle n’est en aucun cas une prérogative de la pratique, faut-il le rappeler.
Fédération Internationale de Futsal (Federación International de Fútbol de Salón).
Association Mondiale de Futsal (Asociación Mundial de Futsal).
La sélection uruguayenne remporte le tournoi de football aux Jeux Olympiques de 1924 et de 1928 ainsi que la première Coupe du monde de football en 1930.
Six pays sud-américains : l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Paraguay, le Pérou, l’Uruguay et un européen, le Portugal.
Le basket-ball et le handball présentent un système de qualification plus complexe, difficile à appliquer ici.