N°116

«Living in the age of humans» ou «Atlas de l’anthropocène»

1. Page d’accueil

Cet article, proposé par un magazine états-unien de vulgarisation scientifique sur Internet, le Smithsonian magazine, est le représentant de deux tendances assez récentes dans le domaine de la publication magazine en ligne: les articles illustrés en «format long» et la cartographie interactive intégrée dans le récit. Au-delà de cette forme originale, le sujet de cette réalisation est d’un grand intérêt: visualiser et expliquer l’extension de l’activité humaine sur le globe, au travers de données nouvellement disponibles (notamment des images satellitales et des cartes thématiques).

L'article (figure 1) présente une série de cartes interactives, en séquence, avec un petit commentaire. Les cartes se déroulent en un récit, le lecteur passant d’une carte à l’autre en faisant défiler le texte du commentaire dans le sens naturel de la lecture. Il se voit offrir plusieurs possibilités d’exploration géographique à chaque étape:

2. La densité de population 3. La densité: détail

L’article débute logiquement par un planisphère de la densité de population (figure 2), montrant bien la disparité géographique de cet indicateur. Cependant, les éléments fournis au lecteur ne permettent pas de tirer beaucoup d’informations de la carte interactive, puisque la légende est sommaire (rouge = fort, blanc = faible…) et que la variable utilisée n’est pas détaillée. La citation de la source sur la carte (CIESIN / CIAT, Columbia University) rassure et permet d’approfondir, mais on peut se demander quelle est l’année de référence de cette densité (même pour 2005, il s’agit d’une projection de données de 2000). Les images satellites fournies en illustration sont adaptées, mais sans appareil d’aide à la localisation et à l’interprétation. Le résultat visuel est assez explicite, avec des régions quasi vides et des régions très denses, le gradient de couleur sélectionné pour la représentation de la variable mettant en évidence le nord de l’Inde, l’est de la Chine (figure 3), mais aussi l’île de Java ou la mégapole de la dorsale européenne. Les déserts ne sont pas indiqués comme des valeurs vides (sauf la partie centrale du Groenland).

4. Anthropisation 5. Anthropisation: détail

Le deuxième planisphère de cet article (figure 4) présente l’importance de l’anthropisation, à partir d’un traitement de données réalisé par le CIESIN pour la Wildlife Conservation Society qui aboutit à un indicateur: l’empreinte humaine globale. Pour un traitement graphique très (trop) coloré, la légende est peu explicite, et l’on se demande la raison de ces nombreuses variations de teinte. Ici aussi, le géographe intéressé devra rechercher la source des données par lui-même pour pouvoir correctement interpréter cette illustration. La carte résultat est assez difficile à interpréter à cause de sa complexité graphique. Les déserts (figure 5), d’un vert profond (?) ressortent nettement, souvent traversés de figurés linéaires contrastés qui doivent correspondre au réseau routier.

6. Productivité agricole

La carte suivante (figure 6) concerne la productivité agricole, exprimée en calories. La légende est aussi simple que celle sur la densité de population, mais la carte produite est plus nuancée et rend bien compte de la faiblesse de la proportion des surfaces terrestres réellement utilisées pour une agriculture alimentaire performante. Le gris employé sur les zones non agricoles est d’une luminosité faible proche de celle des verts les plus foncés, ce qui peut parfois prêter à confusion (par exemple dans le Midwest américain).






7. Les forêts 8. Les forêts: image satellite

La quatrième carte (figure 7) concerne les forêts, leur degré de dégradation. Paradoxalement, le commentaire et les images (figure 8) évoquent aussi un retour de la forêt dans certaines régions. La carte propose une légende en quatre postes munis de couleurs assez proches dans les tons verts, ce qui produit un résultat assez esthétique, mais un peu difficile à lire. Il serait intéressant de préciser quelle est la date de référence utilisée pour mesurer le degré de dégradation du couvert forestier, la carte semble partir d’un couvert forestier total dans les zones tempérées à cette époque de référence.

9. La biodiversité 10. Une illustration

La carte suivante (figure 9) s’intéresse à la biodiversité, en indiquant les régions où elle est encore préservée.
Malheureusement, la légende est inutile, elle ne présente que des caissons colorés sans libellés. Les illustrations (figure 10) associées à cette carte sont présentées selon une nouvelle forme: des symboles cliquables indiquent la localisation d’espèces disparues emblématiques, avec une petite fiche synthétique (photographie ou dessin, date d’extinction).

L’article présente ensuite un planisphère des initiatives de protection de la nature, maritimes et terrestres, avec l’indication d’un niveau de protection (assez vague, là encore la légende est pauvre). La source de cette information peut sembler incomplète: le territoire métropolitain français est (quasi) dénué de toute zone protégée… Les zones indiquées sur la carte sont cliquables, indiquant alors leur nom et leur type de protection.

La deuxième partie de l’article s’intéresse à quelques aspects innovants du développement durable dans des villes américaines. L’idée que l’impact de l’homme puisse être atténué ou corrigé, notamment dans les lieux où il est le plus visible comme les villes, permet de faire le lien avec la partie précédente.

11. Pistes cyclables à Portland 12. Toits végétalisés à Chicago

Cette partie débute par le thème des transports urbains non polluants, prenant l’exemple des voies cyclables à Portland (Oregon) (figure 11). Le fond de carte a changé, il s’agit d’un fond routier muni de noms de voies, mais il est assez difficile de s’y retrouver sans lieux marquants ni échelle. La quantité et la densité des voies cyclables semblent importantes dans cette ville. La carte suivante concerne la ville de Chicago et la multiplication des toitures végétalisées (figure 12).

Chaque exemple est représenté par une épingle sur la carte. Un clic sur l’une d'entre elles propose un lien vers le site Internet du bâtiment ou la carte Google Maps correspondante.

Ensuite, l’article propose une photographie aérienne d’une usine de désalinisation d’eau à El Paso, au Texas, qui traite une nappe phréatique saumâtre, dont on peut questionner l’intérêt pour la durabilité des ressources en eau quand on connaît le problème d’épuisement des nappes dans cette région. Ici pas de carte, mais la photographie est interactive.

13. Développement durable à Raleigh

Enfin, l’article s’intéresse à la ville de Raleigh (Caroline du Nord) qui a mis en place une série de politiques variées en faveur du développement durable (figure 13). La carte proposée est une carte d’inventaire, avec un grand nombre de catégories (10), chacune représentée par un symbole circulaire figuratif. La carte résultante est donc visuellement complexe, montrant que les manifestations concrètes de ces politiques sont nombreuses, variées, mais assez concentrées en centre-ville. L’article s’interrompt assez brusquement sur cet exemple, sans conclusion ou prise de recul.

Au final, on retiendra plusieurs aspects intéressants. Cet article constitue une présentation moderne et synthétique de données et d’analyses cartographiques parfois difficiles d’accès, car dispersées et complexes, accompagnées d’illustrations satellites explicites. Son style correspond à une vulgarisation scientifique accessible, par une entrée progressive dans des données complexes, avec un traitement «infographique» assez pertinent (titres, sous-titres, textes courts).

Cependant de nombreux bémols doivent être mentionnés lorsque l’on s’intéresse aux aspects scientifiques et à la qualité des représentations. Les sources des données sont très souvent mal citées ou de façon trop succincte; il est difficile de se faire une idée des données utilisées et des traitements qu’elles ont subis. Les légendes ne sont pas assez détaillées, souvent peu lisibles et gênent une lecture approfondie des cartes. Ces dernières sont par ailleurs desservies par plusieurs problèmes liés à l’interactivité: la densité d’information est parfois inadaptée à l’échelle de visualisation du planisphère total, produisant une image très complexe, pointilliste; la projection, qui n’est pas équivalente, n’est pas adaptée à toutes les échelles; enfin si la carte permet souvent de zoomer assez profondément, le manque d’habillage ne permet pas de s’y repérer facilement.

Ainsi, cet exemple d’article interactif associant cartographie, textes et photographies constitue une tentative intéressante de médias mêlés (mixed-media), qui met en valeur l’intérêt de la cartographie interactive à la fois pour présenter une information spatiale globale tout en préservant la possibilité de l’explorer à des échelles plus grandes, mais aussi l’utilité des liens hypertextes entre un commentaire et des exemples illustrés. Ces possibilités sont offertes par des moyens techniques qui deviennent de plus en plus accessibles, notamment grâce au programme «Story Maps» de la société ESRI, alimenté par les fonds de cartes et les images satellites de ses larges collections. Il faudra malgré tout que le géographe prenne soin de proposer des représentations cartographiques adaptées aux échelles de visualisation, munies de légendes et d’échelles graphiques lisibles et dont les symboles et métaphores graphiques sont accessibles au public visé.

Pour en savoir plus

«Living in the age of humans» ou «Atlas de l’anthropocène», par Victoria Jaggard et la société ESRI (logiciels et services de SIG). Smithsonian magazine, en ligne, octobre 2014.