N°116

Apport du scanner laser terrestre pour la compréhension du recul des falaises crayeuses hautes normandes

L’appropriation croissante du littoral transforme ce «territoire du vide» (Corbin, 1988) en un «territoire du trop plein» dans les décennies 1960-1980, voire un «territoire d’empoigne» dans les années 1990 (Paskoff, 1993). Actuellement, l’érosion des côtes à falaises menace parfois l’urbanisation implantée trop près du rivage. Or, le fonctionnement de ce type de côte reste mal connu. Un des objets de ma thèse fut d’étudier l’aléa côtier «recul des falaises» en s’appuyant aussi bien sur des méthodes et des outils traditionnels (détermination des vitesses par suivi diachronique des photographies aériennes géo référencées), que novateurs (analyse spatiale, géostatistiques, scanner laser terrestre). C’est l’apport du scanner laser terrestre dans la compréhension du recul des falaises crayeuses hautes normandes qui sera abordé ici.

Situées à la terminaison nord-occidentale du Bassin parisien et au contact de la Manche, ces falaises sont taillées dans les craies à silex du Crétacé supérieur. Ces craies sont peu résistantes à la météorisation, et de ce fait, les abrupts sont ainsi marqués par des vitesses de recul annuelles rapides (0,15 m/an, sur la période 1966-2008, entre le cap d’Antifer et Le Tréport). Traditionnellement, le retrait de ces versants côtiers est quantifié à partir de l’observation de leur partie sommitale ou basale. Pourtant, le front de la falaise constitue le meilleur référentiel pour suivre l’ensemble des évolutions (Young et al., 2009). Par ailleurs, la part de l’éboulisation est souvent négligée en raison, d’une part, du manque d’outils de mesure à très haute résolution spatiale et, d’autre part, de l’évacuation rapide (en quelques marées) d’un volume de matériaux généralement faible et de petite taille. Certains auteurs ont estimé que ces mouvements particulaires représenteraient 10% du recul total (May et Heeps, 1985; Hénaff et al., 2002).

Notre travail vise donc à déterminer (1) les taux d’ablation affectant le front de falaise (2) la répartition spatiale de cette production de débris (3) la part des mouvements particulaires de celle des mouvements de masse dans le recul total (4) les agents et processus responsables du recul du front de falaise.

Pour ce faire, et en collaboration avec le LDO de l’IUEM de Brest, un scanner laser terrestre a été utilisé. Actuellement, seule cette technologie permet de visualiser et de quantifier finement l’ensemble des mouvements gravitaires.

Le choix des sites et la méthodologie mise en place présentent deux originalités:

La fréquence des missions est de l’ordre de 4 à 5 mois entre octobre 2010 et février 2013 afin d’obtenir un levé saisonnier du front de falaise.

1. Localisation des sites étudiés (A) et les fronts de falaise associés (B)

Le suivi diachronique du front de falaise au scanner laser terrestre est riche d’enseignements (figure 2):

2. Suivi diachronique du front de falaise vive du Petit Ailly au scanner laser terrestre entre le 08/10/2010 et le 11/02/2013

L’ensemble des résultats met également en évidence une des modalités de recul des falaises (Costa, 1997), à savoir la création d’une encoche de sapement qui va progressivement déstabiliser la partie supérieure de la falaise (par surplomb). Cette déstabilisation génère des mouvements de masse affectant tout ou partie de l’abrupt.

Cette étude montre tout l’intérêt des technologies à très haute résolution spatiale dans l’amélioration de la connaissance et du fonctionnement de l’espace géographique, notamment sur la spatialisation des évolutions, voire des processus responsables.

Bibliographie

CORBIN A. (1988). Le territoire du vide: L’Occident et le désir du rivage 1750-1840. Paris: Aubier, 411 p. ISBN: 2-7007-2217-5

COSTA S. (1997). Dynamique littorale et risques naturels: L’impact des aménagements, des variations du niveau marin et des modifications climatiques entre la Baie de Seine et la Baie de Somme. Thèse, Université de Paris I, 376 p.

HÉNAFF A., LAGEAT Y., COSTA S., PLESSIS E. (2002). «Le recul des falaises crayeuses du Pays de Caux: détermination des processus d’érosion et quantification des rythmes d’évolution». Géomorphologie: Relief, Processus, Environnement, n°2, p. 107-118. DOI: 10.3406/morfo.2002.1132

MAY V., HEEPS C. (1985). «The nature and rates of changes on chalk coastlines». Zeitschrift für Geomorphologie, vol. 57, p. 81-94.

PASKOFF R. (1993). Côtes en danger. Paris: Masson, 250 p. ISBN: 978-2-225-84009-8

YOUNG A.P., FLICK R.E., GUTIERREZ R., GUZA R.T. (2009). «Comparison of short-term seacliff retreat measurement methods in Del Mar, California». Geomorphology, vol. 112, p. 318-323. DOI: 10.1016/j.geomorph.2009.06.018

Référence de la thèse

LETORTU P. (2013). Le recul des falaises crayeuses haut-normandes et les inondations par la mer en Manche centrale et orientale: de la quantification de l’aléa à la caractérisation des risques induits. Université de Caen, thèse de doctorat en Géographie physique, humaine, économique et régionale. HAL Id: tel-01018719