N°116

Paysage et infrastructures de transport. Modélisation des impacts des infrastructures sur les réseaux écologiques

Le développement d’infrastructures linéaires de transport conduit, à toutes les échelles, à une artificialisation du territoire et au morcellement du milieu naturel. La fragmentation du paysage est un processus spatial qui s’accompagne d’une diminution progressive de la connectivité entre les différents éléments nécessaires au bon déroulement des processus écologiques. Ainsi, le maintien d’un bon niveau de connectivité entre les habitats naturels, s’il est compatible avec les activités humaines, est devenu un enjeu majeur pour la préservation de la biodiversité.

En mobilisant des méthodes empruntées à la théorie des graphes et à l’écologie du paysage, la thèse cherche à démontrer l’intérêt de la modélisation des réseaux écologiques par les graphes paysagers, dans l’analyse des impacts des infrastructures à l’échelle régionale. La modélisation d’un réseau écologique par les graphes paysagers nécessite d’établir une carte du paysage dont les catégories d’occupation du sol jouent un rôle dans les déplacements de l’espèce prise en compte. Nous nous sommes appuyés sur un ensemble de bases de données et de traitements morphologiques pour établir une carte d’occupation du sol d’une résolution spatiale de 10 mètres sur l’ensemble de la Franche-Comté.

Pour modéliser le réseau écologique d’une espèce, il est nécessaire dans un premier temps de définir les zones nodales de son réseau, les taches d’habitat. Dans le cas d’une espèce forestière, les taches sont identifiées en sélectionnant au sein du paysage les éléments boisés homogènes et relativement compacts. Une fois les taches d’habitat identifiées, les chemins de moindre coût nous permettent de symboliser les déplacements entre ces taches. Pour ce faire, une valeur de friction est attribuée à chaque catégorie d’occupation du sol selon son caractère plus ou moins favorable pour le déplacement de l’espèce considérée. On obtient alors un réseau spatialisé composé de deux ensembles d’éléments: les taches et les chemins.

Ce réseau peut être représenté sous une forme topologique dans lequel les taches sont figurées par des nœuds reliés par des liens. Chaque lien est caractérisé par un attribut de distance qui cumule les valeurs de friction entre deux nœuds. Le graphe paysager obtenu nous permet de ne sélectionner que les liens dont l’attribut de distance est inférieur à une valeur donnée, qui représente la distance maximale de dispersion de l’espèce considérée. Le graphe ainsi seuillé représente le réseau écologique de cette espèce. Cette structure nous permet alors de calculer un ensemble de métriques permettant de caractériser la connectivité du réseau écologique. Ces métriques peuvent être calculées à l’échelle des nœuds, des liens, ou pour l’ensemble du graphe paysager.

Le cas d’étude illustré par la figure sélectionnée concerne les infrastructures franchissables et les collisions induites par le trafic routier. J’ai travaillé sur les collisions du chevreuil le long du réseau de la DIR Est en Franche-Comté. 67 collisions ont été relevées par les patrouilleurs entre 2010 et 2011. L’objectif de cette application était de montrer le rôle du réseau écologique du chevreuil dans la distribution de ses collisions.

Le graphe paysager du chevreuil a donc été modélisé à l’aide d’informations issues de la littérature (figure 6.11a). Plusieurs métriques de connectivité ont été calculées à l’aide du graphe du chevreuil. L’application s’intéressant aux déplacements en deux taches, je me suis concentré sur les liens du graphe et sur leur place relative dans le réseau écologique.

Afin d’attribuer les valeurs des métriques de connectivité à chaque tronçon routier entrant en intersection avec les liens du graphe, j’ai modélisé les corridors de moindre coût entre chaque tache de part et d’autre du réseau routier. Ces corridors représentent l’ensemble des chemins potentiels entre deux taches. Ils nous ont permis de contourner une limite du chemin de moindre coût en produisant un tronçon d’intersection plutôt qu’un point unique d’intersection (figure 6.11b).

Les valeurs des métriques de connectivité ont été distribuées sur tous les tronçons routiers entrant en intersection avec un corridor. Le réseau routier a, quant à lui, été segmenté en tronçons réguliers de 500 m et classé en sections accidentogènes en cas de collisions et en sections sans accidents en cas d’absence de collisions.

1. Figure 6.11 page 160 - Graphe paysager du chevreuil (a) et exemple de corridor de moindre coût (b)*.

Un modèle logistique m’a permis d’expliquer la localisation des sections accidentogènes en les confrontant à des variables de composition paysagère et à des variables issues des caractéristiques techniques de la route. J’ai ensuite testé l’apport de chaque métrique de connectivité dans l’explication du modèle. J’ai pu montrer que le Current Flow augmentait significativement le pouvoir explicatif du modèle. Le réseau écologique du chevreuil joue donc un rôle dans la localisation de ses collisions. Le modèle réalisé nous a permis de construire une carte des tronçons potentiellement «à risque» que nous avons confrontée à un nouveau jeu de données de collisions du chevreuil. 24 collisions parmi les 31 relevées en 2012 sont présentes sur un tronçon défini «à risque» soit un taux de bonne classification de 68%.

Cette démarche, fondée sur la modélisation, a permis de démontrer l’influence du réseau écologique du chevreuil dans la localisation des collisions entre les individus de cette espèce et les véhicules empruntant le réseau de la DIR est en Franche-Comté.

Par ailleurs, le travail a également permis de proposer un cadre méthodologique pour localiser l’impact potentiel de la branche est de la LGV Rhin-Rhône sur la distribution d’une espèce, et estimer la distance de perturbation de cette infrastructure. Enfin, deux démarches sont proposées pour évaluer quantitativement et hiérarchiser des aménagements afin d’éviter ou d’atténuer ces impacts. Les résultats montrent la pertinence de l’intégration des réseaux écologiques dans les études d’impacts des infrastructures de transport.

*Cette image tirée de ma thèse fait maintenant partie d'un article publié: Girardet X., Conruyt-Rogeon G., Foltête J.-C. (2015). «Does regional landscape connectivity influence the location of roe deer roadkill hotspots?». European Journal of Wildlife Research, vol. 61, n°5, p. 731-742. En ligne DOI: 10.1007/s10344-015-0950-4

Référence de la thèse

GIRARDET X. (2013). Paysage et infrastructures de transport: modélisation des impacts des infrastructures sur les réseaux écologiques. Université de Franche-Comté, thèse de doctorat en Géographie. HAL Id: tel-01069242, version 1