Espaces ouverts et métropolisation entre Santiago du Chili et Valparaiso: produire, vivre et aménager les périphéries
En commençant mes recherches sur la production des espaces ouverts dans la région centrale du Chili, j’ai été amenée à répondre à un double défi: définir ces espaces et les représenter. En effet, dans la littérature, ils sont souvent peu décrits (Poulot, 2013) et également délicats à représenter puisqu’ils sont sans limites précises et soumis à des dynamiques rapides d’évolution. Par contre, certains auteurs leur attribuent une couleur supposant alors une certaine homogénéité de couvert: espaces blancs car supposés vierges (Laboulais-Lesage, 2004), espaces verts quand ils sont végétalisés, gris quand ils correspondent à des friches industrielles ou urbaines donc bétonnés, bruns quand ce sont des espaces nus ou érodés… Une fois définis comme des espaces de tailles variées, encore peu bâtis, naturels ou agricoles, porteurs de valeurs et de fonctions pour la région métropolitaine à la périphérie ou dans les interstices de laquelle ils se situent, en ayant fait prévaloir quelques critères comme l’accessibilité, j’ai pu commencer à les représenter.
1. Accessibilité dans la région centrale du Chili |
L’ouverture, quand elle prend le sens d’accessibilité reste une notion bien relative. Les espaces ouverts sont-ils si accessibles? À l’inverse, les populations qui y vivent ont-elles accès facilement aux voies de communication et aux centres métropolitains de Santiago du Chili et de Valparaiso?
L’accessibilité et la mobilité dans la région centrale du Chili se sont fortement accrues depuis les années 2000 avec l’ouverture de plusieurs autoroutes et la mise en place d’un système de transports harmonisé autour de Santiago – le Transantiago inauguré en 2007 – et d’une ligne de métro-train partant de Valparaiso en 2005 [1]. Mais de nombreux espaces marginaux persistent dans cette région émergente et certaines populations sont exclues de ces modes de communication en raison des dessertes et également d’un coût très élevé (Lazo, 2008).
C’est pour cette raison que la carte présente une version a maxima de l’accessibilité à l’échelle métropolitaine en considérant une zone tampon de 5 kilomètres autour des routes rurales réalisée sur ArcGis 10. Ces cinq kilomètres correspondent à ce que peut faire à pied ou à vélo un habitant des zones rurales afin de rejoindre un axe majeur de circulation lui permettant de rejoindre un centre urbain afin de réaliser ponctuellement un achat ou une démarche administrative. Il semble par contre difficile d’envisager de réaliser ce trajet plusieurs fois par semaine que ce soit pour aller à l’école ou pour aller travailler. Et que dire des personnes les plus vulnérables comme les personnes âgées ou handicapées?
Or, on s’aperçoit que de vastes zones restent peu ou mal desservies en plein cœur de la région métropolitaine. C’est le cas, bien sûr, des zones montagneuses de la Cordillère de la Côte situées au-dessus de la courbe des 800 mètres d’altitude comme Colliguay, Las Palmas et Caleu, mais pas simplement. En ce qui concerne les trois zones d’étude que j’ai privilégiées, les secteurs de Quebrada del Ají, du Cajon de San Pedro, du Belloto ou de Batuco, dans la dépression centrale, restent peu accessibles. Ainsi, à seulement 20 kilomètres du centre-ville de Santiago ou de Valparaíso, subsistent des poches de moindre accessibilité. Et encore, les espaces compris dans la zone tampon créée à l’occasion n’en sont pas pour autant très accessibles étant donné l’état des routes, la fréquence des transports publics, quand ils existent, et leur qualité. Ainsi, les habitants du condominio Santa Adela, sur la zone d’étude littorale, l’ont rebaptisé Puquelehue pour «Puta que lejos la huevada» [2]. Les enfants de Quebrada Alvarado scolarisés dans les écoles privées d’Olmué ou de Limache doivent quant à eux emprunter tous les soirs le bus qui passe par la Cuesta La Dormida en direction de Santiago où ils effectuent le trajet debout pour ne pas gêner les autres usagers, et ce, même s’ils habitent au bord de la route donc sur la carte à l’intérieur de la zone tampon. En effet, il n’existe pas de service de ramassage scolaire. À l’inverse, le secteur de Caleu aux confins de la Région Métropolitaine fait figure d’isolat pour la plupart mais certains, comme l’ex-président R. Lagos, se sont fait installer des pistes d’hélicoptère sur le terrain de leur propriété mettant Caleu à seulement quelques minutes du centre de Santiago.
Par ailleurs, le développement touristique n’est pas facilité en raison d’un réel déficit en signalisation routière et en affichage. L’affichage est la plupart du temps une initiative privée et n’est donc ni hiérarchisée ni homogène. Ainsi, il existe une réelle difficulté d’accès à la réserve de biosphère de La Campana. Déjà, il est très difficile de s’y rendre en transports en commun depuis Valparaíso. L’ouverture d’une ligne de métro-train a quelque peu amélioré la situation car, en 1h30 et sans changement, on peut se rendre à Limache depuis Valparaíso ou Viña del Mar. Une fois arrivé à Limache, le touriste doit prendre une micro [3] ou un colectivo [4] dont deux lignes seulement desservent l’entrée sud de La Campana appelée Granizo à Olmué. Il faut alors compter une vingtaine de minutes car la micro dessert tous les quartiers de Limache et d’Olmué. Enfin, on arrive à une piste qu’il faut emprunter sur 1 km pour atteindre l’entrée de la réserve. Quant aux entrées nord et est, elles sont très mal indiquées par une signalétique défaillante. Il s’agit pourtant d’une réserve Homme et Biosphère de l’UNESCO. La fréquentation s’en ressent en valeur absolue comme en proportion de touristes étrangers.
Il y aurait donc bien plusieurs sens de l’accessibilité comme de l’ouverture. Et comme nous le précisent plusieurs auteurs, ce n’est pas parce qu’on assiste à une augmentation accrue et globale de la mobilité et de l’accessibilité dans un contexte métropolitain que tous en bénéficient également et surtout que les espaces restés en marge ne s’en trouvent pas encore plus isolés (Jirón, 2010).
Dans l’ensemble, on peut dire que les espaces ouverts sont rendus plus accessibles notamment par un réseau de transports qui s’est largement développé et qui ne les met parfois qu’à une quinzaine de minutes des centres urbains. D’où aussi, la forte périurbanisation de ces espaces. Mais des situations d’isolat et de marginalité apparaissent ou sont renforcées par contraste, et des populations peuvent se retrouver captives des espaces ouverts, qu’elles soient aisées ou vulnérables. Des espaces ouverts au sens paysager le sont-ils toujours si leur accès est limité ou réservé?
Ces divers sens de l’ouverture m’ont incitée à analyser le degré d’accessibilité des espaces à une échelle plus fine pour tenter de dépasser les paradoxes et la relativité du terme par un travail notamment sur les représentations et les pratiques d’enfants délivrées à travers une série de cartes mentales. J’ai choisi particulièrement deux écoles qui se situent dans la zone de moindre accessibilité de Batuco, la plus paradoxale car la plus proche du centre de la capitale. J’ai alors pu réaliser une autre carte à plus grande échelle, en y précisant l’occupation des sols définie par un travail de télédétection et de SIG et y reporter les représentations des élèves. Ils représentent tous à leur manière la fermeture en cours des espaces périphériques face à l’avancée de l’urbanisation.
Ce travail cartographique sur l’accessibilité à l’échelle régionale puis à l’échelle locale et quotidienne m’a donc in fine permis, non seulement de représenter des espaces qui ne le sont que très rarement, mais également de mieux comprendre le processus de métropolisation des espaces ouverts au cœur de mes recherches résumé dans l'encadré.
Bibliographie
BOLITZER B., NETUSIL N. R. (2000). «The impact of open spaces on property values in Portland, Oregon». Journal of Environmental Management, n°59, p. 185-193. DOI: 10.1006/jema.2000.0351
CHARVET J.-P., POULOT M. (2006). «Conserver des espaces ouverts dans la métropole éclatée, le cas de l’Île-de-France». In DORIER APPRILL E., dir., Ville et environnement, Paris: SEDES-DIEM, p. 215-248.
JIRÓN P. (2010). «Mobile Borders in Urban Daily Mobility Practices in Santiago de Chile». International Political Sociology, vol. 4, n°1, p. 66-79. DOI: 10.1111/j.1749-5687.2009.00092.x
LABOULAIS-LESAGE I., dir. (2004). Combler les blancs de la carte, Modalités et enjeux de la construction des savoirs géographiques. Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 314 p., ISBN: 2-86820-237-3.
LAZO A. (2008). «Transporte, movilidad y exclusión. El caso del Transantiago en Chile». Diez años de cambios en el Mundo, en la Geografía y en las Ciencias Sociales, 1999-2008. Actas del X Coloquio Internacional de Geocrítica, Université de Barcelone, 26-30 mai 2008. En ligne
POULOT M. (2013). «Du vert dans le périurbain. Les espaces ouverts, une hybridation de l’espace public». EspacesTemps.net. En ligne
Référence de la thèse
FALIÈS C. (2013). Espaces ouverts et métropolisation entre Santiago du Chili et Valparaiso: produire, vivre et aménager les périphéries. Université de Paris 1, thèse de doctorat en Géographie. HAL Id: tel-00980400, version 1