Cartographie de la susceptibilité aux glissements de terrain dans la partie continentale du Pays d’Auge: Quelles données retenir pour l’échelle opérationnelle?
Les glissements de terrain, lorsqu’ils interfèrent avec les activités humaines, deviennent de véritables risques naturels responsables de dommages conséquents. Leur prévention nécessite une indispensable prévision spatiale et temporelle, ce qui constitue, en soi, un enjeu scientifique important (Flageolet, 1989). Au-delà les méthodes dites «curatives» ou «actives» visant à «réparer» les dégâts causés par les aléas naturels ou à mettre en œuvre des moyens techniques importants pour stabiliser les terrains (drainage, confortement etc.), les méthodes préventives sont d’une réelle utilité puisqu’elles visent à identifier les zones potentiellement les plus instables. La cartographie préventive constitue donc, à ce titre, une véritable politique d’aménagement et de gestion intégrée des risques naturels (Cascini et al., 2005).
Cependant, la complexité et la non-linéarité des processus de mouvements de versant rendent ces démarches cartographiques très difficiles à mettre en place et posent de nombreuses questions scientifiques (Fell et al., 2008a; Fell et al., 2008b). Ces questions portent à la fois sur la compréhension des processus (difficulté à identifier les combinaisons de facteurs et relais de processus à l’origine des phénomènes) et sur les méthodes permettant de les cartographier et de prédire spatialement l’aléa (difficulté à généraliser cartographiquement les observations pour proposer des outils de gestion performants et clairs).
Des milieux de plateau dit «ordinaires» souvent délaissés par les études sur les risques hydro-gravitaires
La très grande majorité des recherches menées sur les mouvements de versant est conduite dans les milieux montagnards, où les processus sont spectaculaires et entraînent de nombreux enjeux. Mais il existe également en Europe du Nord-Ouest de nombreux secteurs de plateaux et de collines largement affectés par des mouvements de versant. Si ces phénomènes sont plus discrets, moins intenses en terme de volume ou de vitesse qu’en montagne, leur occurrence spatio-temporelle conduit finalement à des préjudices financiers non négligeables, par l’effet de cumul et de dépassement de seuils de tolérance sur un territoire donné. Ces régions se localisent principalement sur les rebords de plateaux et régions de collines des bassins sédimentaires du nord-ouest de l’Europe. Le Pays d’Auge est l’une de ces régions largement affectées par ces mouvements de versant. En dépit d’un risque avéré, peu de recherches ont été conduites sur cette région.
Les Systèmes d’information géographique en complément à l’expertise
En France, les procédures réglementaires de cartographie de l’aléa glissement de terrain (type PPR, Plan de Prévention des Risques) sont basées sur une approche dite «experte». Cette démarche consiste à laisser la personne chargée de l’étude définir, elle-même, sur la base de sa propre expérience du terrain et/ou de cas similaires, l’importance à attribuer à chaque variable (par exemple, pente, géologie, occupation et usage du sol, etc.) ainsi que leur répartition sur la zone à étudier. Cette méthode est rapide à mettre en place, mais reste souvent critiquée en raison du manque d’objectivité, de son caractère non reproductible et des nombreuses sources d’erreurs lui étant associées (erreurs dans la hiérarchisation des facteurs de prédisposition et de déclenchement et erreurs dans la généralisation cartographique).
La démarche mise en place dans cette recherche propose une alternative à la cartographie «experte»: l’approche dite «indirecte», considérée comme plus objective. Cette méthode utilise des outils statistiques intégrés aux SIG visant à identifier des relations statistiques entre la localisation des glissements de terrain connus (identifiés lors d’un inventaire) et un certain nombre de facteurs explicatifs représentés sous forme cartographique (par exemple, pente, géologie, occupation et usage du sol, etc.). Ces méthodes ont été largement testées, approuvées et améliorées par les scientifiques depuis les années 1990 (Carrara et al., 1995; Guzetti et al., 1999; van Westen et al., 2003), mais ne sont que très rarement utilisées pour des procédures de cartographie réglementaire (Malet et Maquaire, 2008).
Quelles données pour quelle échelle de travail?
Ces méthodes sont généralement utilisées à petite échelle et méso échelle (du 1/1.000.000e au 1/25.000e), mais encore assez rarement à échelle dite «large» (1/10.000e), considérée comme l’échelle de référence pour la cartographie réglementaire des risques naturels en France (MATE et METL, 1999). Cette lacune est due principalement à la difficulté d’obtenir des données suffisamment détaillées et/ou précises proposant une représentation convenable du terrain adaptée à l’échelle de travail. Il convient donc de s’interroger sur la stratégie à adopter pour l’acquisition d’un jeu de données compatibles à l’échelle du 1/10.000e (Thiery, 2007).
Face à ces différentes considérations, une partie de ce travail de thèse propose la comparaison des résultats obtenus avec plusieurs jeux de données d’une qualité différente. Les variations de la qualité concernent à la fois la résolution et la précision de la donnée, mais également son coût (comprenant le temps passé à la constitution des bases de données). Ces deux aspects restent en effet essentiels pour la vraisemblance des résultats et pour leur adaptation à l’échelle de travail, dans ce cas imposé par des contingences opérationnelles. Cette étude est réalisée sur le site de Pont-l’Évêque (Normandie), site atelier de 25 km², caractérisé par l’occurrence fréquente de phénomènes de glissements de terrain.
Cinq «sets» de données (notés DS) de qualité croissante ont été constitués. L’amélioration de la qualité est opérée de manière progressive de DS-1, «set» de données de moindre qualité jusqu’à DS-5, «set» de données de meilleure qualité. L’amélioration concerne chacun des types de données thématiques: (1) inventaire; (2) topographie (issues des MNT); (3) matériaux (lithologie du substrat ou des formations superficielles); (4) l’occupation du sol; (5) géomorphologie.
Les résultats obtenus avec les données disponibles gratuitement et les données à faible coût permettent de décrire grossièrement la localisation des zones de susceptibilité majeure, mais restent globalement affectés par d’importantes incohérences. Nous suggérons ainsi que pour la réalisation de cartes de susceptibilité à cette échelle, un inventaire réalisé sur le terrain soit, au minimum requis.
Les données géomorphologiques détaillées (inventaire terrain, carte des formations superficielles et carte des unités morphodynamiques), combinées à 1 MNT de haute résolution permettent de satisfaire pleinement les exigences cartographiques à cette échelle. Le coût d’acquisition et de mise à disposition des données reste élevé, notamment du fait des étapes de levé morphodynamique et de cartographie des formations superficielles. Cependant, les coûts de mise à disposition de MNT adaptés à l’échelle du 1/10.000e (MNT IFSAR) tendent à devenir de plus en plus bas, du fait de leur utilisation dans une large gamme d’applications permettant un amortissement significatif des coûts (Fressard et al., 2014).
Les cartes de susceptibilité modélisées apparaissent difficiles à appliquer directement à l’état brut, du fait de la large complexité du zonage liée à la combinaison pixel par pixel des différentes données introduites. Le zonage reste largement plus nuancé que celui de la carte experte. Ceci permet d’utiliser ces méthodes comme un complément à l’expertise pour appuyer, valider ou invalider certains choix. Ces deux démarches doivent donc plutôt être considérées comme complémentaires qu’opposées.
Cette recherche permet ainsi de replacer l’information géographique au cœur de la problématique de la gestion des aléas naturels. Seules des données en relation directe avec le fonctionnement des phénomènes peuvent permettre de proposer une cartographie robuste pouvant être utilisée à échelle fine. Ces démarches nécessitent donc le recours à des campagnes de terrain longues et coûteuses, qui peuvent parfois apparaître en contradiction avec les contingences opérationnelles, dominées par la nécessité de proposer des résultats rapidement et à moindre coût.
1. Cartes de susceptibilité aux glissements de terrain obtenues à partir de 5 jeux de données différents, zoom sur un secteur représentatif et courbe ROC (indicateur de qualité). |
Bibliographie
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FELL R., COROMINAS J., BONNARD C., CASCINI L., LEROI E. et SAVAGE W. Z. (2008b). «Commentary on Guidelines for landslide susceptibility, hazard and risk zoning for land use planning». Engineering Geology, 102, n°3-4, p. 99-111.
FLAGEOLLET J.-C. (1989). Les mouvements de terrain et leur prévention. Paris: Masson, 284 p. ISBN: 2-225-81577-1
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MALET J. P. et MAQUAIRE O. (2008). «Risk assessment methods of landslides. Ramsoil, risk assessment methodologies for soil threats», Sixth Framework Programme, Project Report, 2. En ligne
MATE et METL (1999). Plans de prévention des risques naturels, PPR. Risques de mouvements de terrain. Guide méthodologique. La Documentation française. 71 p. ISBN: 2-11-004354-7
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VAN WESTEN C.J., RENGERS N. et SOETERS R. (2003). «Use of geomorphological information in indirect landslide susceptibility assessment». Natural Hazards, vol. 30, n°3, p. 399-419. DOI: 10.1023/B:NHAZ.0000007097.42735.9e
Référence de la thèse
FRESSARD M. (2013). Les glissements de terrain du Pays d’Auge continental: Caractérisation, cartographie, analyse spatiale et modélisation. Université de Caen, thèse de doctorat en Géographie physique, humaine, économique et régionale.