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Les inondations catastrophiques
et la crise politique en Haïti (octobre 2004)

 

Après le départ du président Jean-Bertrand Aristide en février 2004 (voir l’article H. Godard et M.-M. Mérat ) et les inondations qui ont dévasté le sud-est du pays en mai 2004, provoquant la mort de 1 220 personnes, Haïti se retrouve, une fois encore, sous le feu des projecteurs en octobre 2004.

La dépression tropicale Jeanne: un bilan tragique

1. L’ouragan Jeanne le 18 septembre 2004 (source: NOAA)

Lorsque la tempête tropicale Jeanne (photo 1) a frappé les départements haïtiens de l’Artibonite et du Nord-Ouest le 18 septembre 2004, elle avait déjà causé pertes humaines et dégâts matériels à Porto Rico et en République Dominicaine. Jeanne est la quatrième dépression tropicale qui s’est abattue sur le Bassin caraïbe depuis le début du mois d’août. La troisième ville d’Haïti, Gonaïves, a été durement touchée par la tempête (photo 2) qui a provoqué la mort de plus de 2 500 personnes dans cette ville située à 170 km de Port-au-Prince et peuplée de 200 000 habitants. Elle a en outre laissé 2 600 blessés et 300 000 sinistrés dans ces deux départements, la plupart aux Gonaïves.

Les dégâts sont considérables dans ce pays où la majorité des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les précipitations torrentielles ont entraîné des inondations et provoqué des glissements de terrain. Des torrents de boue ont envahi les modestes habitations et nombreux sont les habitants des Gonaïves qui se trouvent, après le passage de la tempête, dans le dénuement le plus extrême (photo 3). Sans ressource, sans toit — même précaire —, sans eau, sans électricité, la population ne peut compter, une fois encore, que sur l’aide internationale. La mission de l’Onu, chargée de rétablir un semblant d’ordre après le départ de Jean-Bertrand Aristide tente de pallier l’inefficacité du gouvernement haïtien. Les ONG et la mission de l’Onu convoient médicaments, eau, nourriture, tentes, couvertures… Le retour à une situation normale prendra des mois — mais peut-on considérer comme normales les conditions de vie des Haïtiens avant le passage de Jeanne ?

2. Gonaives le 17 et le 22 septembre 2004 (source:Nasa)

Dix jours après le passage de la tempête tropicale, l’aide d’urgence parvient à grand-peine dans les quartiers des Gonaïves les plus affectés – ce sont les plus difficiles d’accès - et dans les villages environnants. Des camions assurant le transport des vivres et du matériel sont attaqués à l’entrée des Gonaïves par des gangs armés, ceux qui terrorisaient la population et s’étaient rendus maîtres de la ville avant le départ de Jean-Bertrand Aristide, les distributions donnent souvent lieu à de mini-émeutes et une partie de l’aide est détournée ! L’hôpital doit être remis en état avec l’aide du PNUD et la Croix-Rouge norvégienne doit mettre en place un hôpital de campagne de 120 lits. Face à l’urgence, ces efforts, méritoires, semblent dérisoires; tout au plus, mais c’est déjà beaucoup, permettent-ils à la population de ne pas mourir de faim… Enfin, la situation sanitaire dramatique laisse craindre des épidémies.

Désastres «naturels» et niveau de développement économique et humain

3. Dommages aux Gonaives
(© LWF/ACT. Source: http://www.presbyterian.ca/pwsd/ap04hurricanes5.html)

Le cyclone Jeanne a provoqué la mort de 2 personnes à Porto Rico, 25 en République Dominicaine — où elle a en outre laissé 40 000 sans abri —, 9 aux Bahamas et 14 au Panama, dans les quartiers les plus déshérités de la capitale. Après avoir frappé Haïti, Jeanne a causé la mort de 9 personnes en Floride. Comment expliquer qu’une même tempête tropicale, théoriquement moins dévastatrice qu’un cyclone, puisse provoquer la mort de milliers de personnes dans un pays et n’en causer «que» quelques dizaines dans un autre, voire aucun comme aux Bahamas ou à Cuba.

Si les dégâts matériels sont considérables aux États-Unis (ils sont compris entre 6 et 8 milliards de dollars et s’ajoutent aux 17 milliards de pertes causées par les trois cyclones précédents), les pertes humaines — toujours trop importantes — restent faibles, eu égard à la violence de ces phénomènes «naturels». Le cyclone Ivan, plus violent que Jeanne, avait provoqué la mort de 119 personnes dans le Bassin caraïbe au mois de septembre: sa trajectoire l’avait entraîné sur des espaces insulaires plus riches qu’Haïti (voir aussi image du mois).

Le niveau de développement économique et humain d’un pays et l’efficacité de l’État à assurer la prévention des désastres et à intervenir en cas de catastrophe expliquent l’intensité des dommages sur les populations; de ces facteurs dépendent aussi la faculté de récupération et la vitesse de reconstruction des infrastructures détruites.

Aux États-Unis, les mesures de prévention, l’efficacité des médias, l’organisation des secours, l’efficience de la défense civile et le bon état des infrastructures et des services permettent de limiter l’impact des catastrophes. De plus, la population dispose, en général, des ressources nécessaires pour acheter vivres et matériaux pour consolider les habitations. Avant l’arrivée de Jeanne, un avis d’évacuation avait été lancé à trois millions d’habitants. La situation est peu différente à Cuba (les États-Unis l’admettent !). Si le régime est autoritaire, il a les moyens d’imposer l’évacuation de plusieurs millions d’habitants et il a convenablement organisé l’information, la prévention, les secours et les stocks alimentaires. L’interventionnisme cubain, la discipline et la mobilisation générale de l’État et de la population ont permis que les six ouragans majeurs qui ont frappé l’île entre 1996 et 2002 ne provoquent que 16 morts.

En revanche, en Haïti, l’extrême pauvreté de la population a entraîné l’intense déforestation, principale responsable de l’érosion des sols et des conséquences désastreuses du passage des tempêtes tropicales et des cyclones. En effet, la vente de charbon de bois, principale source d’énergie utilisée par les Haïtiens, est souvent le seul moyen de gagner quelques gourdes. La pression démographique et la croissance de la population urbaine entraînent la rapide déforestation: en 1950, un quart du territoire était recouvert de forêts; aujourd’hui, les espaces forestiers en occupent moins de 2%. La faiblesse de l’État, voire sa quasi-inexistence, son inefficacité devant une situation exceptionnelle et son niveau de corruption élevé expliquent l’ampleur des catastrophes. L’urbanisation est incontrôlée (le quartier Raboteau aux Gonaïves, l’un des plus affecté par le passage de la tempête tropicale, est un vaste bidonville édifié dans un marécage situé en bord de mer). Les infrastructures sont à l’abandon: la voirie n’est pas entretenue; le réseau d’égout, insuffisant et en mauvais état avant la tempête, est aujourd’hui détruit; le lit des rivières et les canaux ne sont pas nettoyés. Trois jours de deuil national ne remplacent pas des mesures de prévention, des plans d’évacuation et des outils techniques et législatifs permettant de limiter l’impact des catastrophes ! Enfin, la population ne dispose pas des ressources nécessaires pour se prémunir contre les désastres (constitution de stocks, protection de l’habitation).

Le 30 septembre, de violents incidents ont éclaté à Port-au-Prince et au Cap-Haïtien. Dans la capitale, les partisans de Jean-Bertrand Aristide avaient appelé à une manifestation, interdite, pour commémorer le 13e anniversaire du coup d’État militaire qui avait renversé le président élu en 1991. Au terme de trois jours d’affrontements, on dénombrait une vingtaine de morts. La mission de l’Onu, qui était débordée par les actions humanitaires menées dans la région des Gonaïves, était violemment critiquée pour son inactivité apparente. Depuis un an — en ne tenant compte que des événements récents — Haïti a vu se succéder six mois de violents troubles politiques, la fuite, en partie menée depuis l’extérieur, du dernier président élu, des inondations catastrophiques, une tempête tropicale qui laisse le pays dans la désolation et des incidents qui montrent que la stabilité politique, préalable à tout espoir de développement, est loin d’être assurée.

Henry Godard, Marie-Mirègne Mérat