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Tours: un monument de la science historique

Le Laboratoire Archéologie et Territoires de Tours (Université et Cnrs), que dirige Henri Galinié, s’est doublement distingué par une exposition très suivie au château de Tours (hiver 2006-2007) et par la publication consécutive d’un ouvrage qui fait la somme de ses recherches. Sous un titre un peu compliqué (1) mais qui dit bien les intentions du Laboratoire et de son directeur, il s’agit d’un superbe volume, d’une surprenante richesse et impeccablement présenté.

Un grand mérite des auteurs est de nous faire voir le métier d’archéologue urbain en actes et en mouvement, tant de façon générale par les méthodes, les techniques et les sujets d’intérêt, que de façon locale en montrant les révisions successives des représentations que l’on se fait du passé de Tours. Il semble bien désormais que l’ancienne cité des Turons préromaine et romaine était plus étendue qu’on ne le croyait, sans doute sur une centaine d’hectares, et l’on cherche encore son forum du côté de la rue Nationale. Puis, après les invasions barbares, la ville de Tours s’est repliée dans une enceinte de 9 ha à peine, incluant château, cathédrale et l’énorme amphithéâtre circulaire qui marque encore le paysage et le dessin des rues du quartier de la Cathédrale. Une autre agglomération est née ensuite sous le nom de Châteauneuf, plus à l’ouest, autour de l’abbaye de Saint-Martin — il ne reste que deux tours de son immense église, dont la rue des Halles occupe le fantôme de la nef. Une enceinte du XIVe siècle regroupa l’ensemble, clôturant environ 57 ha et protégeant ainsi une ville active, devenue capitale royale sous Louis XI. Puis une enceinte plus large du XVIIe siècle entoura 175 ha, dont à peine 60 étaient alors bâtis, et a donné l’actuel tracé des boulevards.

Sous tout cela, que de fouilles, que de patience, que de science, que d’ingéniosité, quel art des reconstitutions et des représentations ! Henri Galinié et ses collaborateurs nous expliquent d’abord le travail de recherche de 1840 à nos jours, en partie à la faveur des règlements d’urbanisme: un travail difficile dans une ville dont le sol, en deux millénaires, s’est exhaussé de 8 ou 10 mètres, jusqu’à 15 mètres vers la Loire, dont la rive gauche a été peu à peu repoussée, et encore au moins 2 mètres tout au sud. Puis les auteurs passent en revue, avec force illustrations, la vingtaine de sites explorés de près par leur équipe. Ils nous détaillent quelques objets trouvés caractéristiques, étudient les architectures anciennes (ponts, restes romains, édifices des XIIe-XIIIe siècles à Châteauneuf, puis proposent une synthèse dynamique, attentive aux aspects des métiers et de la vie quotidienne, et même de la ville dans son environnement régional.

À l’appui de leurs analyses et de leurs supputations, ils fournissent un matériel iconographique extraordinairement riche et diversifié, auquel le familier de Mappemonde ne pourra qu’être sensible: de nombreuses cartes impeccablement dessinées, et même une image du sol de Tours comme vu de dessous et en trois dimensions; abondance de dessins et photographies, y compris de clichés anciens; des mises en scène imaginées de monuments et sites romains. Et, geste apprécié et généreux, un CD intelligent et animé où sont mis en scène les grands moments de la recherche et de la découverte, de l’histoire de la ville, et jusqu’à des animations en 3D où l’on voit tourner la grande noria du bord de Loire qui abreuve l’aqueduc romain du début de notre ère, où l’on visite l’intérieur de l’amphithéâtre romain et où l’on tourne autour du château, des silhouettes humaines figurant les échelles. Tours a bien de la chance, et la science archéologique plus encore, de bénéficier d’une équipe capable d’une telle maîtrise dans l’expression d’une recherche patiente et pointue.

Roger Brunet

GALINIÉ H., dir. (2007). Tours antique et médiéval. Lieux de vie. Temps de la ville: 40 ans d'archéologie urbaine. Tours: FERACF, suppl. Revue archéologique du Centre de la France, n°30,  440 p. + 1 cd-rom. ISBN: 978-2-913272-15-6

(1) Tours antique et médiéval. Lieux de vie, temps de la ville. Quarante ans d’archéologie urbaine, dir. H. Galinié. FERACF, 30e suppl. à la Revue archéologique du Centre de la France, 440 p. 26,5x24,5 cm, index, lexique, nb. Illustrations en couleurs. Imprimé en banlieue de Tours à Ballan-Miré. Notons que plusieurs des auteurs sont connus des lecteurs de Mappemonde. Xavier Rodier fait partie du comité de rédaction de Mappemonde et y dirige le dossier «Archéologie en cartes» qui contient notamment le numéro spécial n°83 (3-2006) sur l’Archéologue et la carte, où il a signé avec Henri Galinié un article intitulé Figurer l’espace/temps de Tours préindustriel: essai de chrono-chorématique urbaine . Hélène Noizet a publié un article sur Une schématisation de la place de Tours dans les représentations spatiales des acteurs dans le n°76 (4-2004) et Laurent Grison a rendu compte de sa thèse sur La Fabrique de la ville, espaces et sociétés à Tours (IXe-XIIIe siècles). Mappemonde a encore publié en 2006 un article sur Étude des populations urbaines sur le site de l’île Simon à Tours. Une expérience d’archéologie immédiate, dont trois des cinq auteurs, Olivier Cotté, Mélanie Fondrillon et Frédéric Poupon, sont également co-auteurs de l’ouvrage.