État d’Afrique australe, situé sur le littoral atlantique, la Namibie a des frontières avec l’Afrique du Sud, le Botswana, le Zimbabwe, la Zambie et l’Angola. Le pays couvre 825 000 km²; un cinquième du territoire est occupé par le désert du Namib. Avec deux millions d’habitants, la Namibie est parmi les États les moins peuplés d’Afrique; elle est aussi un des moins pauvres, se classant dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire, avec un revenu national par tête de 3 350 $, comme ses voisins botswanais (5 888 $/hab) et sud-africain (5 713 $/hab.), quoique ce dernier soit davantage considéré comme un pays émergent. Mais qu’en est-il des disparités et comment ont évolué les structures sociales et économiques façonnées par un siècle de colonisation et à peine gommées aujourd’hui?
La Namibie, dont la colonisation fut marquée par des régimes autoritaires, de l’impérialisme allemand à l’apartheid sud-africain, accède à l’indépendance le 21 mars 1990. Vingt ans après, où en est la construction de ce jeune État? Comment s’est opérée la transition d’un système colonial et d’apartheid vers un système indépendant et post-apartheid? Qu’est-ce qui relève de la permanence (partie 1), de la rupture (partie 2)?
Il semble que même si la Namibie tente tant bien que mal de gommer les traces d’un passé pas si lointain, héritages coloniaux, économie de rente et emprise sud-africaine continuent de conditionner l’organisation spatiale actuelle et d’influer sur les recompositions en cours.
1. La persistance des héritages coloniaux et de l’apartheid
On ne balaye pas d’un revers de la main un siècle de ségrégation, si profondément ancrée dans le territoire (Sohn, 2006). Presque vingt ans après, les anciens homelands se caractérisent toujours par un manque criant d’infrastructures et continuent d’abriter les populations les plus pauvres, en dépit d’un redécoupage territorial. Difficile aussi de sortir de cette économie de dépendance, dans laquelle le pays fut si longtemps enfermé, tant l’influence de l’Afrique du Sud ne semble guère s’estomper.
1.1. Une répartition spatiale contrainte par le milieu naturel et fruit des tourments de l’histoire
En Namibie, la répartition de la population reste très contrastée. Plus de 60% de la population vit dans le Nord du pays, là où les précipitations annuelles sont les plus abondantes, entre 400 et 600 mm. La population se répartit principalement le long des cours d’eau, Okavango, Chobe et Zambèze, ainsi que dans le système du Cuvelai [1] (Mendelshon et al., 2003). L’ensemble des provinces septentrionales où les densités oscillent entre 10 et 40 habitants au km², contre 2,4 pour la moyenne nationale, sont des régions à dominante rurale (fig. 1). C’est dans ces régions, déclarées réserves — par opposition aux terres blanches, aussi appelées «zone de police» [2] — en 1906 par le colonisateur allemand (Diener, 1999) (encadré), plus tard transformées en homelands (selon l’ethnie d’appartenance) par le colonisateur sud-africain, qu’était parquée la majorité de la population noire. Dans le reste du pays, l’ancienne «zone de police», l’occupation humaine y est éparse. On y compte moins de deux habitants au km².
1. La répartition du peuplement en Namibie |
La capitale compte 250 000 habitants (fig. 2), soit environ un huitième de la population nationale et un tiers de la population urbaine. Elle peut être qualifiée de ville macrocéphale dans ce pays comptant 62% de ruraux. Aujourd’hui, premier centre économique et financier du pays, elle continue d’exercer son attraction sur beaucoup d’habitants des terres dites «communautaires» (ex-bantoustans) (Peyroux, 2004). Les autres agglomérations sont de plus petite taille. Sept villes sont comprises entre 20 000 et 48 000 habitants. Parmi elles, trois (Rundu, Oshakati et Katima Mulilo) sont dans le Nord du pays. Durant l’occupation sud-africaine, ces villes héritèrent de la fonction de centre de tri de la main-d’œuvre destinée à travailler dans la «zone de police» (Dubresson, Graefe, 1999a). Ainsi elles doivent leur développement, Rundu et Oshakati plus particulièrement, à la bantoustanisation mais aussi à la guerre. En effet, elles servirent, au milieu des années 1970, de base arrière à l’armée sud-africaine, alors engagée dans une guerre contre les combattants de la SWAPO (South-West African People’s Organisation, mouvement indépendantiste), et furent à ce titre dotées en infrastructures routières et hospitalières. La croissance de ces villes fut nourrie par l’arrivée de populations fuyant l’insécurité — conséquence de la lutte de l’armée sud-africaine contre la guérilla — et la misère des campagnes. Devenues capitales de régions, elles en constituent le centre économique (Graefe, Peyroux, 1999). Les quatre autres villes — Walvis Bay (45 400 hab.) (fig. 3), Swakopmund (27 100 hab.), Rehoboth (23 000 hab.) et Otjiwarongo (21 200 hab.) — prennent place dans l’ancienne zone de police, tout comme d’ailleurs la majorité des petites agglomérations (telles que Grootfontein ou Tsumeb) oscillantes entre 10 000 et 20 000 habitants. Certaines sont nées de leur fonction portuaire, d’autres de leur fonction minière ou agroalimentaire (Dubresson, Graefe, 1999a). Ainsi à Walvis Bay, comme à Lüderitz, ce sont avant tout les activités de pêche qui ont attiré une abondante main-d’œuvre venue des réserves, laquelle était logée dans des townships.
2. Windhoek, une «petite» capitale | 3. La cité portuaire de Walvis Bay |
Vue sur Independence Street, principale rue du centre de Windhoek. La ville se situe à une altitude de 1 720 m. Avec 250 000 habitants, il s’agit d’une des plus petites capitales du continent. Le centre mêle bâtiments modernes et maisons coloniales. (cliché: M.-A. Lamy-Giner, 2007) | Walvis Bay est la troisième ville du pays avec 45 000 habitants. Elle abrite les principaux ports de commerce et de pêche du pays. À l’arrière-plan, sous le panneau «Welcome», le township de Narraville, quartier résidentiel réservé aux Métis sous l’apartheid. (cliché: M.-A. Lamy-Giner, 2007) |
Si la répartition spatiale actuelle peut s’expliquer par les facteurs naturels, elle se comprend aussi et surtout à la lumière des héritages d’un siècle d’occupation qui a conduit, au nom d’un développement séparé, à parquer la population africaine dans des réserves, rebaptisées «terres communautaires» et où le droit coutumier continue de prévaloir. La répartition actuelle, parce que certains n’ont pas les moyens ou d’autres pas l’envie de quitter la terre de leurs ancêtres, reste pour l’heure assez conforme à ce qu’elle était au temps de l’occupation sud-africaine (Sohn, 2006). Cela n’empêche pas certains Noirs d’aller s’installer dans l’ex-zone blanche et de grossir le nombre de ceux qui vivent dans les baraquements de fortune en périphérie des villages et des villes. Un phénomène qui tend à renforcer la cassure entre quartiers riches, pour Blancs et élites noires, et quartiers pauvres où les disparités ethnico-raciales ont mué en clivages sociaux (Sohn, 2005; 2006). Globalement, on a beau redessiner la carte, les traces de l’ancienne configuration demeurent. Encore aujourd’hui, les régions situées au nord du territoire abritent les populations les plus pauvres.
Encadré. Les trois phases historiques de la Namibie | |
Période précoloniale Colonisation allemande Administration sud-africaine |
Plusieurs raisons ont motivé ce dessein. Premièrement, le pays ne voulait pas prendre le risque de voir fleurir à ses frontières un gouvernement hostile. Deuxièmement, il ne voulait pas laisser s’échapper les quelques richesses minières du Sud-Ouest africain, largement aux mains d’entreprises sud-africaines. Enfin, ce proche territoire constituait alors une terre d’émigration pour les Afrikaners poussés au départ par le chômage (Diener, 2000). Faisant fi du droit international, l’Afrique du Sud finit par occuper illégalement le Sud-Ouest africain en 1966. Une politique d’apartheid à l’identique de celle mise en place en Afrique du Sud, à partir de 1948, date de l’arrivée au pouvoir du gouvernement Malan, au programme ouvertement raciste, y est appliquée. Ici aussi, comme dans le pays voisin, des homelands** furent créés. Des mouvements de contestation contre l’occupant sud-africain finissent par voir le jour dans le contexte de décolonisation mondiale. La South West African People’s Organisation (SWAPO), le mouvement de libération nationale namibien, est fondée en 1960. Le pays, en particulier le Nord, plonge dans la guerre civile après que la SWAPO ait créé son armée, en 1966. Pour contrer ce mouvement, basé en Angola, l’armée sud-africaine finit par militariser la partie nord du pays. Sous prétexte de lutter contre le gouvernement pro-cubain de Luanda et en soutien à l’UNITA (l’Union nationale pour l’indépendance de l’Angola) de Jonas Savimbi, le gouvernement de Pretoria refuse de quitter la Namibie malgré la résolution 435 de l’ONU, votée en 1978, qui prévoit l’accession du pays à l’indépendance par l’intermédiaire d’élections libres (Diener, 1994). Il fallut encore attendre dix ans pour que la Namibie accède à l’indépendance. En mauvaise posture sur la scène internationale, l’Afrique du Sud accepte de quitter le pays en 1989. Les premières élections multipartites ont lieu en novembre de la même année et porte au pouvoir le chef historique de la SWAPO, Sam Nujoma. La Namibie accède officiellement à l’indépendance le 21 mars 1990 et après d’âpres négociations «l’enclave sud-africaine» de Walvis Bay lui est rétrocédée en 1994 (Simon,1996). * Les quatre provinces sud-africaines étaient: le Transvaal, le Natal, l’État Libre d’Orange et la province du Cap. ** La commission Odendaal, dont le rapport fut publié en 1964, préconisa la création de dix homelands (Hereroland, Owamboland, Kaokoveld…) qui comme les bantoustans sud-africains étaient appelés à se diriger vers l’indépendance. |
1.2. Les visages de la pauvreté d’un des pays les plus inégalitaires au monde
Sur un continent qui concentre les deux tiers des pays les moins avancés, la Namibie est un des pays les plus riches. Mais comme ses voisins sud-africain ou botswanais, son indice de développement humain (IDH) est assez faible (0,65) et en recul, conséquence de la pandémie du sida. Résultat de ces années de ségrégation, la Namibie se classe parmi les pays les plus inégalitaires du monde. À peine 10% de la population se partage la moitié du revenu national (OCDE, 2007). Si les inégalités dans la répartition des revenus se sont quelque peu réduites depuis l’indépendance, avec un indice de Gini qui est passé de 70 en 1993 à 61 en 2004, elles demeurent encore particulièrement élevées. L’ampleur des inégalités constitue évidemment un frein au développement du pays dont le marché de consommation intérieure est réduit par le faible effectif de la classe moyenne. Cette situation est aggravée par un taux de chômage atteignant les 36% en 2006 [3].
Les inégalités sanitaires sont aussi criantes. Les maladies infectieuses n’épargnent pas le Nord de la Namibie qui enregistre les deux tiers des décès liés à la tuberculose et les trois quarts des décès liés à la pneumonie (Mendelshon et al., 2003). Jusque dans les années 1990, ces maladies infectieuses étaient les premières causes de décès avant d’être détrônées par le sida. La Namibie est, avec un taux de prévalence de 19,7 %, un des cinq pays au monde les plus touchés par le virus (ONUSIDA, 2008). L’espérance de vie est passée de 61 ans en 1990 à 43 ans en 2004. Avec plus de 230 000 personnes affectées, de nombreuses familles se trouvent ainsi sans soutien financier ni moyens de subsistance, notamment dans les petites paysanneries du Nord. Les femmes, en état de subordination (Lebeau, 1999), notamment dans les sociétés owambo, herero et nama, paient un lourd tribut à la maladie, représentant 56 % de la population infectée.
Les migrations de travail internes ou internationales qui caractérisent cette région ont sans aucun doute permis la propagation de la maladie. Jeanne-Marie Amat-Roze (2003) constate que certaines zones (agglomérations frontalières) sont davantage propices à l’importation du virus. En Namibie, il apparaît que les villes de Katima Mulilo (39,4% de la population infectée par le VIH/sida), à la frontière avec la Zambie, et d’Oshakati (34%), à la frontière avec l’Angola, sont celles qui connaissent les plus hautes prévalences (Edwards, 2007). D’une manière générale, les provinces septentrionales, parce qu’elles sont situées dans des zones frontalières avec d’amples flux de populations et qu’elles sont les principales poches de pauvreté du pays, sont évidemment celles qui sont les plus touchées par l’épidémie.
Les disparités sont telles en Namibie que l’on doit souligner une très forte dualité: d’un côté, les régions septentrionales présentent toutes les caractéristiques d’un pays moins avancé (PMA) et, de l’autre, l’ancienne zone de police possède toutes les caractéristiques ou presque d’un pays développé.
1.3. Une économie toujours dépendante du secteur primaire
La Namibie hérite, au moment de l’indépendance, d’une économie coloniale et protectionniste (Dubresson, Graefe, 1999b). Le gouvernement opte alors pour une économie mixte à dominante libérale. Mais la base d’accumulation qui reposait jadis sur les productions primaires [4], en dépit d’une amorce de diversification, ne s’est pas élargie pour autant.
Effectivement, bien que le poids relatif du secteur primaire soit en recul depuis les années 1970 — de 46% en 1970 à 21,3% en 2005 — et que les activités tertiaires soient devenues prédominantes (63,4%), l’économie reste dépendante des produits primaires (minerais et pierres précieuses, produits non transformés de la pêche…). Ceux-ci fournissent à la Namibie 43,8% de ses recettes d’exportation [5], qui se sont élevées à 24,3 milliards de dollars namibiens [6] (N$) en 2006 (Central Bureau of Statistics, 2006). Si on rajoute les produits primaires transformés localement, on obtient le chiffre de 85,1 % de ces mêmes recettes.
Aujourd’hui, comme par le passé, le secteur minier reste le moteur de la croissance, laquelle a atteint 4,8% en 2008. Du sous-sol namibien sont extraits des métaux non-ferreux et précieux (tableau 1). Les richesses minières procurent à la Namibie 38% de ses recettes d’exportation. L’industrie minière est largement dominée par l’extraction de diamants [7], provenant pour moitié des fonds marins [8]. Mais le pays reste un petit producteur (1,8 million de carats) en comparaison de ses voisins botswanais (29 M/c), sud-africain (12,7 M/c) et angolais (10 M/c). Ces chiffres sont néanmoins sujets à caution, tant il est vrai que le commerce illégal de cette pierre précieuse est considérable (Brunet, 2005). Il faut noter que les mines de diamants, jadis propriété exclusive de la société sud-africaine De Beers, appartiennent aujourd’hui à la Namdeb Diamond Corporation — une entreprise d’économie mixte détenue à parts égales par l’État namibien et la De Beers — et à d’autres firmes multinationales (Diamond Fields International et Sakawe Mining Corporation). Certes la Namibie tire une bonne partie de ses revenus du secteur minier, mais il ne s’agit que d’une industrie extractive, quasiment aucune transformation (exception faite pour l’uranium et le zinc) n’est réalisée sur place, ce qui est très pénalisant pour le pays, soumis aux fluctuations imprévisibles du cours des matières premières.
Dans le secteur agricole, l’inertie règne aussi. Des années après l’indépendance, le clivage entre les zones communautaires et les zones commerciales [9] a toujours cours. Les terres communautaires, qui correspondent grosso modo aux anciennes réserves, couvrent 299 000 km² soit 36,3% du territoire. Près de 140 000 familles, soit près de la moitié de la population nationale, y sont concentrées. Surtout consacrées à l’agriculture vivrière et à l’élevage, ces terres sont aujourd’hui surpeuplées. Faute d’une politique agricole claire, le développement du secteur est donc limité dans la zone des terres communautaires. Sans compter que les terres, bien qu’appartenant désormais à l’État, y sont toujours «gérées», et ce sans cadre formel, par les chefs traditionnels (Werner, 1999). Les zones commerciales, aux mains de 4 000 fermiers blancs, couvrent quant à elles 356 000 km², soit 43,3% du territoire. Elles sont consacrées à l’élevage bovin mais surtout ovin (tableau 2). Jusqu’à ce jour, la réforme agraire souhaitée par les petits paysans et promesse électorale majeure de la SWAPO, dont le discours à la veille de l’indépendance était fortement teinté de socialisme, n’a jamais été vraiment appliquée par le gouvernement Nujoma. Il faut dire que le dossier est sensible. Les fermiers blancs qui réalisent 80% de la production agricole nationale assurent la viabilité du secteur. En outre, les fermes commerciales offrent du travail à près de 36 000 ouvriers agricoles noirs. Enfin, l’échec de la réforme agraire au Zimbabwe n’incite pas le gouvernement à suivre un chemin aussi radical. L’Afrique du Sud n’a pas non plus donné l’exemple puisque 83% des terres appartiennent toujours aux Blancs.
1.4. L’ombre omniprésente de l’Afrique du Sud
Comme le Botswana, le Mozambique ou le Swaziland, la Namibie n’échappe pas à la domination commerciale sud-africaine, mais cette domination revêt un caractère particulier, car la Namibie, comme tous les pays colonisés, reste largement tributaire de son ex-métropole. Cette réalité est d’autant plus prégnante que la proximité géographique renforce cette dépendance, selon un modèle où la proximité immédiate et la bonne accessibilité se conjuguent pour faciliter l’investissement (Vacchiani-Marcuzzo, 2005). Jean-Bernard Véron (2006) ajoute que les débouchés naturels à l’exportation de l’économie sud-africaine se situent dans les autres pays africains en raison de leur retard de développement. Même indépendante, la Namibie continue de fonctionner comme une périphérie de l’Afrique du Sud (Gervais-Lambony, 1997) (fig. 4).
4. La Namibie sous domination sud-africaine |
Plusieurs pans de l’économie sont encore aux mains d’entreprises sud-africaines. L’Afrique du Sud fournit ainsi les quatre cinquièmes des investissements dans les secteurs des banques — les principaux actionnaires étant Absa, Standard Bank ou Nedbank — et des assurances. De même, de grandes enseignes sud-africaines aussi bien de grande distribution (Pick’n Pay) que de la restauration rapide (Wimpy) se sont implantées le long des rues de Windhoek ou de Swakopmund. Il faut aussi souligner que l’Afrique du Sud domine aujourd’hui toutes les organisations politiques et économiques régionales auxquelles elle adhère (Onana, 2005) (tableau 3).
La dépendance vis-à-vis de l’Afrique du Sud est également notable en ce qui concerne le commerce extérieur. C’est un des principaux partenaires commerciaux de la Namibie. Près de 85% des importations en proviennent (produits agricoles, textiles et pétroliers) ou y transitent. À l’exportation, l’Union européenne constitue le principal marché (72%). Les principaux clients sont le Royaume-Uni, puisque c’est à Londres qu’est basée la Diamond Trading Company de la De Beers, pour les diamants. L’Espagne, quant à elle, est la principale destination des produits halieutiques puisque de nombreuses compagnies espagnoles ont investi dans le secteur de la pêche namibienne. L’Afrique du Sud n’absorbe que 25% des biens en provenance de son voisin. Les liens commerciaux Namibie/Afrique du Sud se font donc à sens unique.
2. Les changements intervenus: de lentes avancées
Bien que les héritages socio-économiques soient prégnants, des mutations sont en cours. Celles-ci sont lentes et leur bilan souvent mitigé, néanmoins elles constituent autant d’obstacles levés sur la voie de la (re)construction.
2.1. Les réformes socio-économiques engagées: un bilan en demi-teinte
En Namibie, l’agriculture n’est pas un secteur très lucratif, mais elle fait vivre 206 000 ménages, soit 1,2 million de personnes (60% de la population totale), essentiellement dans l’agriculture de subsistance (Parviaimen, 2008). Les attentes concernant une véritable mise en application de la réforme agraire sont donc immenses (Karuuombe, 2003).
Dans le dossier de la redistribution des terres, les avancées sont très lentes. À l’heure actuelle, la banque agricole de Namibie propose, et ce depuis 1991, sur la base d’une politique de discrimination positive, un programme de prêts préférentiels (AALS: Affirmative Action Loan Scheme). Ainsi les agriculteurs noirs (dont les revenus annuels sont inférieurs à 17 000 $) peuvent acquérir à moindre coût une terre commerciale (Fuller, 2006). Aujourd’hui, près de 660 fermes ont été acquises grâce à ce programme. Le ministère de la Redistribution foncière a aussi mis en œuvre, depuis 1995, un programme de redistribution (Resettlement Scheme). Il rachète aux fermiers blancs à l’amiable, sur la base du prix du marché, une partie de leurs terres pour pouvoir y réinstaller, avec un bail de 99 ans, des fermiers noirs. Ce programme qui repose sur le principe du «vendeur-consentant» «acheteur-consentant» a pu bénéficier à 1 550 familles depuis sa mise en place. Mais un premier bilan fait apparaître que les AALS, en raison du prix élevé des terres agricoles, profitent surtout à une élite urbaine noire, laquelle met l’exploitation en gérance (Kaapama, 2007). Autant dire que les résultats de la réforme agraire sont décevants. À ce jour, seulement 4,5 millions d’hectares ont été redistribués, sur les 15 millions d’hectares prévus au départ. En outre, l’application de la réforme agraire soulève de nombreux problèmes environnementaux dans ce pays aride (23% du territoire). La multiplication des lopins augmente le risque de surpâturage. Les clôtures illicites posent aussi nombre de problèmes. En effet, les populations, en particulier la nouvelle élite, clôturent pour leur usage exclusif de vastes parties de pâturages communautaires vacants ou d’usage temporaire faisant fi des droits de propriété même saisonniers en vigueur (Werner, 1999). Les troupeaux des petits fermiers communautaires se retrouvent, ainsi, privés de pâturages et n’ont plus accès aux points d’eau (Seely, 1999).
Un vent de réforme souffle aussi sur les services publics (20,6% du PIB et 32,5% du secteur tertiaire) dont le poids n’a cessé de grandir compte tenu du rôle croissant que jouent les entreprises publiques et parapubliques. On en compte une quarantaine aujourd’hui, dont la majorité ont été créées au lendemain de l’indépendance (Motinga, 2004). Parmi elles, certaines ont été transformées en sociétés de droit privé à capitaux publics (Jaglin, 1999), à l’instar de Nampost, Namwater, Namport ou Namibia Airport Company, etc. En d’autres termes, la réforme en cours, concernant la réglementation, vise à favoriser le développement de la concurrence au sein de ces entreprises publiques. Mais les résultats demeurent décevants, car nombre d’entre elles sont toujours en situation de monopole (telle Namibia Telecom). Cette politique n’a donné lieu, pour l’heure, à aucune véritable privatisation (OCDE, 2007). Au contraire, l’État s’est octroyé au fil du temps un rôle de plus en plus grand et les nationalisations se sont multipliées, la place prise par le secteur public freinant l’ardeur des investisseurs nationaux et étrangers.
Enfin, bien qu’aient été prises des mesures de discrimination positive et d’émancipation économique des Noirs (Black Economic Empowerment), elles ne concernent que quelques privilégiés souvent issus des rangs du parti au pouvoir ou du mouvement de libération (Melber, 2007). Héritage de l’apartheid, la majorité de la population continue d’être exclue de l’économie productive.
2.2. Une amorce de diversification économique: entre ratés et motifs d’espoir
On connaît les formes de dépendance auxquelles sont soumis les pays rentiers. L’État s’est donc attelé à élargir cette base d’accumulation par le développement du secteur industriel et en misant sur le tourisme.
L’industrie ne représente que 11,4% du PIB, contre 24% en Afrique du Sud. Le gouvernement n’a donc pas encore réussi à impulser le secteur manufacturier sur lequel il fondait tant d’espoirs. Effectivement, pour s’attaquer aux deux grands fléaux que sont le chômage et les inégalités sociales, l’État, au lendemain de l’indépendance, a tenté par un régime fiscal incitatif d’encourager la croissance du secteur privé et de séduire les investisseurs nationaux et surtout étrangers (Chatel, 1996), mais sans succès. Les deux seuls gros projets de ces dernières années concernent les secteurs textile (implantation du groupe malaisien Ramatex) et minier (ouverture de la Skorpion Zinc, filiale du groupe britannique Anglo-American).
5. Les dunes du Namib |
Le Namib s’étire sur plus de 2 000 km, de l’Oliphants River en Afrique du Sud à São Nicaulo en Angola. Une grande partie du Namib a été convertie en parcs naturels: Namib-Naukluft Park, Skeleton Coast Park… (cliché: M.-A. Lamy-Giner, 2007) |
Le manque d’intérêt que suscite la Namibie s’explique avant tout par le manque de qualification et de compétitivité de la main-d’œuvre — les salaires dont les minima atteignent 500 N$ sont élevés par rapport à la productivité. Et les importations de produits manufacturés à bas prix réduisent les possibilités de création d’entreprises. L’agroalimentaire est le principal secteur d’activités manufacturières, en particulier la transformation des produits de la pêche [10] et de l’élevage; il représente 47% du PIB industriel et 22,2% des recettes d’exportation (Central Bureau of Statistics, 2006). Il reste, toutefois, que le secteur manufacturier n’emploie que 23 700 personnes, soit 6,2% de la population active.
En droite ligne de sa politique libérale, l’État a également opté pour la création, à l’image de l’île Maurice, de zones franches d’exportation. La première a vu le jour dans la ville portuaire de Walvis Bay en 1996 (Billawer, Eboko, 2002). Des entreprises franches peuvent également être créées en n’importe quel lieu du territoire, en particulier dans les parcs industriels créés dans neuf localités (telles que Otjiwarongo, Rundu ou Katima Mulilo). Entreprises franches et parcs industriels sont censés servir de catalyseurs au développement industriel des petites villes, ce qui va dans le sens de la politique de décentralisation prônée par le gouvernement (Dubresson, Graefe, 1999a). Mais en douze ans, en raison d’une législation contraignante, seules 25 entreprises industrielles sont sorties de terre. En somme, c’est un secteur qui reste squelettique et la trame des petites et moyennes entreprises, pourtant créatrices d’emplois, peine à s’étoffer.
Cependant, tous les espoirs reposent sur le secteur du tourisme. Il contribue à hauteur de 3,7% au PIB, mais sa contribution indirecte (enregistrée dans les comptes satellites du tourisme) serait de l’ordre de 16% (Tourism Board, 2006). Si, au début des années 1990, le nombre de touristes n’était que de 160 000, il s’élevait, en 2007, à 928 000 (Tourism Board, 2007). Près de 63% d’entre eux arrivent de deux pays frontaliers: l’Angola (336 000) et l’Afrique du Sud (250 000). Ces mouvements touristiques régionaux s’expliquent surtout par les liens historiques et familiaux. Ainsi, 60% des Angolais et un quart des Sud-Africains font du tourisme affinitaire. Le nombre des touristes internationaux — hors Afrique — s’élève à 239 000 dont près de 80% d’Européens, les ressortissants allemands (80 000 visiteurs) arrivant en tête.
Mais si la Namibie n’a pu jouir du même essor que son grand voisin, lequel a enregistré une croissance moyenne annuelle de 16% entre 1990 et 2005, ses atouts n’en sont pas moins indéniables, dunes du Namib (fig. 5), canyon de la Fish River… Beaucoup de ces attractions naturelles ont été transformées en parcs ou réserves (environ 14% du territoire) (fig. 6).
6. Structures et organisation de l’espace de la Namibie |
Certaines initiatives assurent la participation des communautés rurales du Nord au processus de mise en tourisme. L’idée du ministère de l’Environnement et du Tourisme est d’implanter des structures touristiques (lodges, restcamps) dans les régions rurales, en impliquant la population locale (Tourism Board, 2005). L’objectif est bien sûr la création d’emplois (circuits touristiques, visites de villages traditionnels). Dans cette optique, le tourisme apparaît comme une manne pour les zones communautaires. Mais ne profite-t-il pas qu’à quelques-uns et les revenus ne sont-ils pas trop aléatoires parce que saisonniers (juin, juillet et décembre)? D’autant qu’il apparaît que les régions septentrionales sont également celles qui sont les moins visitées. Les troubles qui subsistent dans la bande de Caprivi [11] et dont quelques touristes ont été récemment victimes y sont pour beaucoup.
Le tourisme est aussi une aubaine pour les nombreux fermiers. Ainsi beaucoup d’entre eux se sont lancés dans le game farming — en d’autres termes des fermes où se pratique l’élevage de gibier de type oryx ou autruche et qui sont ouvertes aux touristes (chasse aux trophées, randonnées équestres ou pédestres). Il arrive alors que plusieurs propriétaires choisissent de mettre en commun leurs exploitations et d’abattre les clôtures pour que le gibier ainsi élevé puisse se déplacer librement. Les fermes deviennent alors des aires protégées délimitées (conservancies). À ce jour, 43 000 fermiers ont obtenu le droit d’en créer. L’objectif est que les personnes ou communautés impliquées tirent des bénéfices du tourisme et de la gestion équitable de leurs ressources naturelles (Fuller, 2006).
2.3. Les tentatives pour s’affranchir de la domination sud-africaine
Pour limiter la domination sud-africaine, la Namibie cherche à resserrer les liens avec ses autres voisins. Des courants d’échanges importants existaient jusqu’au début des années 2000 avec le Zimbabwe: un accord de libre-échange avait été signé en 1993. Mais la situation qui règne actuellement au Zimbabwe, a conduit à une réduction des échanges entre les deux pays, d’autant que la Namibie s’est retirée du Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA) en 2004. La Namibie s’est aussi rapprochée de l’Angola depuis le rétablissement de la paix, après la disparition de Jonas Savimbi, et un accord commercial a ainsi été signé entre les deux États en 2004. Ce rapprochement n’est évidemment pas anodin. C’est le seul pays de la zone, puisque le Zimbabwe n’est plus en mesure de tenir ce rôle, qui peut contrebalancer la suprématie sud-africaine. Il faut dire que l’Angola, désormais puissance pétrolière et minière, ne cache pas son agacement devant le leadership que l’Afrique du Sud a toujours exercé sur la région (Lafargue, 2005).
La Namibie ambitionne aussi de devenir, à l’exemple du Mozambique, une des principales fenêtres maritimes pour les pays voisins, notamment ceux qui sont enclavés. Pour cela, des corridors ont été mis en place ou améliorés, au cours des dix dernières années. Comme au Mozambique, les corridors doivent jouer le rôle de «cordon ombilical» entre port et arrière-pays international (Lamy-Giner, 2009). Avec néanmoins une différence notable: les couloirs qui se dirigent vers la Namibie ne sont pour l’instant constitués que d’axes routiers, aucune voie ferrée ne venant en appui. Ces liaisons routières ont donc pour objectif de renforcer les échanges régionaux et asseoir l’intégration de la Namibie dans la zone. Cette ouverture sur la région peut évidemment se lire aussi comme une tentative de contournement de l’Afrique du Sud. Pour l’heure, trois corridors — Trans-Kalahari [12], Trans-Caprivi, Trans-Kunene — ont été mis en place (fig. 7).
7. Quelques corridors et ports en Afrique australe |
Cependant, dix ans après l’ouverture de ces corridors, le bilan est peu convaincant. Certains pays, à l’instar du Botswana, commencent à se tourner vers la Namibie, mais seule une infime partie de leurs importations et exportations transite par Walvis Bay. Les ports sud-africains sont certes plus éloignés, mais disposent d’infrastructures mieux adaptées; certes certains sont saturés, mais un huitième port (Coega) est en cours de construction.
Presque vingt ans après l’indépendance du pays, la Namibie n’a pas encore réussi à relever tous les défis qui lui étaient lancés.
Le pays a beau être cité comme un exemple de démocratie, son régime politique frise l’autocratie. Pour preuve, la modification de la Constitution apportée par le président Nujoma l’autorisant à se présenter pour un troisième mandat. Et que dire de la liberté de la presse ou des déclarations publiques contre l’homosexualité? Le père fondateur de la nation et chef de file de la SWAPO a, au fil du temps, fini par instaurer un régime de parti unique (Melber, 2003, 2007). Dans ce contexte, comment s’est opérée la transition? Henning Melber résume la situation en trois mots: «la transition [s’est faite] sans transformation», tant il est vrai qu’à ce jour, maints problèmes n’ont toujours pas été résolus. La réduction des disparités régionales passe par une décentralisation, laquelle n’est toujours pas effective (Hopwood, 2007). Mais plus grave, les disparités économiques et sociales héritées ne se sont pas dissipées, loin de là. Dans ce contexte post-apartheid, une bourgeoisie noire a bien vu le jour, mais elle n’est le fait que de quelques privilégiés. Manifestement, la stratégie visant à réduire les inégalités par la croissance économique n’a pas porté ses fruits. Qui plus est, en dépit d’une amorce de diversification, l’économie reste dépendante des productions primaires. Vaine est également pour la Namibie la tentative de contrebalancer, par rapprochement avec un Angola renaissant, le poids de son hégémonique voisin, qui ne voit en elle qu’une périphérie à exploiter.
Parce que classée «pays à revenu intermédiaire», la Namibie n’est guère courtisée par les bailleurs. L’aide internationale, qui s’est élevée à 145 millions de dollars en 2006, n’y a représenté que 2,3% du PIB (OCDE, 2007), contre 1,6 milliard pour le Mozambique (23% de son PIB). C’est avec satisfaction que la Namibie a vu, de par sa situation dans la tranche inférieure des pays à revenus intermédiaires, son éligibilité à l’aide mise en place par les États-Unis au titre du Fonds du Millénaire (MCA).
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