New York, atlas d’une mégapole
Au lancement de cette collection d’atlas de mégapoles, on se doute que New York s’est d’emblée imposée à l’équipe réunie par Thierry Sanjuan. New York n’est-elle pas «le centre dominant de l’espace mondial», incarnant «la toute-puissance de la ville globale triomphante» (p. 13)? C’est avec la complicité du cartographe Cyrille Suss et du photographe Julien Daniel que Renaud Le Goix, géographe spécialiste des gated communities américaines, a relevé le défi de cartographier et d’analyser cette mégapole dont l’énergie, la démesure, la verticalité, les mythes aussi, la modernité et la blessure du 11 septembre 2001, ont fait couler beaucoup d’encre.
M@ppemonde a déjà présenté cette collection «Mégapoles» (cf. n°95, 3-2009): des atlas fourmillant de textes, de photographies et de cartes, et cherchant à comprendre les grandes villes du monde à travers leurs différentes échelles spatiales et temporelles (qui font d’ailleurs le plan des ouvrages: Origines historiques, La ville mondiale, Au cœur de la ville, La mégapole et sa région, Quel avenir?).
Le rapide chapitre sur les origines de la ville souligne comment New York s’est imposée comme première ville américaine dès 1825, puis comme le centre du monde dans la première moitié du XXe siècle, par-delà les (nombreuses) vicissitudes de son histoire. Le chapitre sur la ville mondiale souligne à l’envi la puissance de cette «tête de pont de la mondialisation» (p. 22), peuplée d’immigrants du monde entier, et placée au cœur des réseaux médiatiques et artistiques de la planète. Notons, dans ce chapitre, le passage sur la ville à l’écran (le cinéma magnifie la ville dans l’imaginaire de tout spectateur de la planète), passage qui complète bien, par sa filmographie, la bibliographie et la «sitographie» finales.
Notons aussi le rappel des violents contrastes sociaux qui expliquent autant les politiques sécuritaires que la fragmentation des espaces urbains (le modèle de Peter Marcuse trouve son archétype à New York avec la cité du contrôle au niveau du CBD – Central business district), les espaces de mouvement et de flux, la cité des services supérieurs, la cité de la production directe, et la cité de l’économie informelle, p. 31-32).
Le chapitre «Au cœur de la ville» décrit la structuration et la fragmentation administrative de cette aire métropolitaine de 22 millions d’habitants. L’organisation des transports offre un bel exemple de la complexité à gouverner de tels réseaux (même si l’auteur ne détaille pas trop les difficultés de la Metropolitan Transit Authority pour gérer le plus grand réseau de métro du monde). Le long passage sur la profonde fragmentation socio-raciale, entre espaces de grande pauvreté, espaces d’infinie richesse et espaces en gentrification rapide, aurait pu être plus détaillé sur les politiques publiques mises en œuvre pour y faire face ou sur l’implication des habitants dans la gestion des quartiers. Logiquement, les passages sur le tourisme et l’attractivité culturelle font la part belle à Manhattan.
Le chapitre suivant, sur la mégapole et sa région, revient sur l’intuition de Jean Gottmann (1961) face à ce laboratoire de l’étalement suburbain, sa polycentralité, sa structure et sa puissance économique. Par-delà la puissance de Manhattan, la force de New York réside aussi dans cette grande périphérie.
Le rapide chapitre final sur l’avenir de la mégapole pose toute la question de «la fin du monopole» new yorkais (p. 73). La concurrence des mégapoles asiatiques, la faible attractivité fiscale de la ville, la mortalité infantile toujours aussi dramatique dans certains quartiers ou même le risque de montée des eaux océaniques, interrogent. Pour autant, Renaud Le Goix a bien raison d’insister à la fois sur la résilience de la ville face aux nombreuses crises de son histoire et sur sa suprématie culturelle et intellectuelle, gage d’innovations et d’attractivité futures. Comme le rappelle la conclusion, New York cherche à maintenir son rang tout en devant faire face à sa faiblesse institutionnelle et fiscale, à sa fragmentation socio-économique (un New-Yorkais sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté), et à la difficulté à opérer au cœur de la ville une réelle mixité des fonctions.
Plutôt que d’épiloguer sur certaines erreurs factuelles (Saint John the Divine n’est pas une église catholique p. 49, le dollar valait moins que l’euro, et non pas plus en 2008, p. 33) ou sur des choix regrettables (la carte p. 67 sur la polarisation des flux aériens est illisible, celle p. 35 sur les cinquante premières villes mondiales aurait dû être simplifiée, et le graphique p. 24 n’a pas grand sens saisissant des évolutions des taux de croissance du tonnage des ports de la façade atlantique sur douze mois à peine, tout comme celui p. 62 concernant les prix immobiliers), notons que le cartographe opte systématiquement pour des fonds de carte administratifs très détaillés sans choisir des représentations en anamorphose par exemple, qui auraient été parfois plus parlantes. De même un bloc-diagramme n’aurait-il pas été plus adapté qu’une cartographie à plat pour traiter de «l’expansion verticale de Manhattan» (p. 19)?
On peut apprécier que certaines photographies saisissent le quotidien de la ville par-delà sa monumentalité. Regrettons toutefois les couleurs systématiquement hivernales des planches d’une part (on comprend le coût de l’aller-retour en avion pour la mission photographique nécessaire à l’élaboration de cet atlas, mais cela donne une image très partielle des ambiances urbaines), et la focalisation sur Manhattan aux dépens des autres boroughs d’autre part (le Bronx et Richmond ont été bien peu photographiés).
Pour finir, l’atlas aboutit à une belle collection de cartes, qui affine assurément le regard sur la réalité multiforme de la ville et de sa puissance, mais qui peine parfois à complètement cerner l’identité particulière de la mégapole new-yorkaise. On comprend bien évidemment que New York additionne les signes de la puissance commerciale, financière, culturelle, etc., signes amplement cartographiés et commentés. Pour autant, la spécificité de cette ville est aussi à chercher dans ce qui rend – ici – le mélange de ces fonctions éminentes tout à fait particulier (l’annexe «Impressions de New York», étonnamment réduite à un seul extrait, aurait pu être copieusement augmentée pour mieux cerner cet «objet qui résiste à l’analyse», p. 13, cette ville qui incarne l’Amérique et qui est pourtant si peu états-unienne à en croire les New-Yorkais). On peut d’ailleurs se demander si ce ne sont pas ce mélange, cette puissance multiforme, cette internationalisation aussi, et le renouvellement urbain permanent, qui expliqueraient que le modèle urbain de New York soit toujours inachevé en termes de morphologie et de gouvernance (Bender, 2007).
Que ces quelques remarques ne dissuadent surtout pas le lecteur, qu’il soit enseignant, étudiant, chercheur ou même touriste, de lire cet Atlas bien mené et bien illustré. On attend avec impatience la suite de cette collection (Séoul, Mexico, Moscou…), qui nous invitera à mieux comprendre — par comparaison — les configurations socio-spatiales toujours uniques des mégapoles, par-delà la simple addition de personnes et de fonctions.
Bibliographie
BENDER T. (2007). The Unfinished City: New York and the Metropolitan Idea. New York: New York University Press, 287 p. ISBN: 978-0-8147-9996-3
GOTTMANN J. (1961). Megalopolis, the urbanized northeastern seaboard of the United States. Cambridge, London: MIT Press, coll. «Twentieth Century Fund Study», 810 p. ISBN: 0-262-57003-3
LE GOIX R. (2009). Atlas de New York. Paris: Autrement, coll. «Atlas Mégapoles», 88 p. ISBN: 978-2-7467-1325-3