N°100

E pluribus urbibus una: Modéliser les trajectoires de villes

Dossier Chrono-chorématique urbaine

Chaque ville est unique et n’est semblable à aucune autre. Plus encore, chaque ville change d’une période à une autre: on ne traverse jamais deux fois la même ville, pas plus qu’on ne se baigne deux fois dans le fleuve d’Héraclite. Et pourtant, si l’on désigne toutes les agglomérations ayant un grand nombre d’habitants et de bâtiments par le même mot «ville», c’est que l’on suppose que toutes ont un commun dénominateur, de Jéricho à Mexico, quelles que soient leurs variations temporelles et spatiales. Rien de surprenant à employer des adjectifs pour qualifier les types de villes — balnéaire, militaire, industrielle, minière, capitale… — et à décomposer ainsi ce vaste ensemble en catégories regroupant elles-mêmes beaucoup de cas.

Prendre au mot le commun dénominateur général et les dénominateurs typologiques est le pari fondateur de la modélisation. Si toute ville a une chose commune à n’importe quelle autre, on doit alors pouvoir rendre compte de cette dimension géographique minimale. Si un ensemble de villes est regroupé sous une même qualification, c’est supposer que le trait commun mis en avant peut être représenté. Sous diverses formes, cette démarche est ancienne en géographie urbaine, tant selon des typologies fonctionnelles que selon des familles culturelles (la ville du monde arabe, la ville chinoise, la ville états-unienne, etc.). Dans tous les cas, l’histoire n’est pas absente, mais elle relève plus d’un passé commun ou semblable à chaque ensemble que d’une modélisation qui tente d’assumer la temporalité.

Les villes représentent sans doute, avec les structures agraires, un des «terrains» les plus anciens et les plus constants de la modélisation en géographie (Durand-Dastès, 1992), à la fois au niveau des réseaux urbains et à celui de l’intra-urbain (Pumain et al., 1989). À ce second niveau, l’utilisation de modèles formalisant des structures géographiques élémentaires, des chorèmes, a depuis longtemps prouvé son efficacité heuristique et démonstrative (Brunet, 1980, 1987). Mais l’accent a d’abord été mis sur la plus grande universalité, d’où une certaine intemporalité des structures élémentaires formalisées. Ces universaux spatiaux correspondent bien au plus grand degré de généralisation, celui de la ville, applicable tant aux premières cités-États sumériennes qu’aux métropoles contemporaines. À partir de ce noyau dur, une floraison de travaux tente de formaliser des familles de modèles selon des critères topographiques, fonctionnels, culturels… Cependant, si la conception de modèles chorématiques pour des situations révolues (paléochorèmes) — voire qui s’enchaînent successivement (chrono-chorèmes, Théry, 1990) et peuvent prendre la forme de scénarios types (Reynaud, 1992; Grataloup, 1996) — est déjà ancienne, il s’agissait généralement d’expliquer des configurations géographiques de plus grande taille que des villes (pays, aires culturelles, voire monde).

Deux premiers coups de force

Rien d’étonnant alors à ce que ces efforts aient fini par croiser les réflexions qui s’étaient développées simultanément sur les modèles d’évolution des villes (Pumain, 1999; Nicolet et al., 2000), en particulier les réflexions sur les trajectoires urbaines, prenant au sérieux la dimension temporelle de la logique des villes (Djament-Tran, 2009). En s’intéressant à la modélisation dans le passé, les géographes ont rencontré les archéologues (Durand- Archaeomédès,1998; Galinié, 2000).

1. Les éléments de base de la ville intemporelle

L’atelier de chrono-chorématique urbaine du Centre national d'archéologie urbaine (CNAU) est né de la rencontre entre l’historicisation de la chorématique et la valorisation du corpus des Documents d’évaluation du patrimoine archéologique des villes de France (DEPAVF). Ces notices détaillées de topographie historique réalisées par le CNAU renseignent des études de cas dans le cadre national — ce qui explique que les travaux de l’atelier aient été limités pour l’instant à des villes de Gaule/France. L’exploitation de cette riche somme d’informations trop méconnue, en particulier des géographes, est notamment fondée sur les dossiers de calques cartographiques, Le recours à d’autres sources d’informations (atlas archéologiques et cartes IGN) a complété ce corpus, notamment pour les périodes les plus récentes.

Le premier effort a été de construire une légende commune pour rendre compte des différents cas. Mais un même langage graphique pour rendre compte de différents lieux, eux-mêmes pris dans le temps long, suppose de nombreux coups de force par généralisation. Le défi est le même que pour l’usage des mots, comme nous l’avons vu avec le substantif «ville». La «légende» des figures, la legenda, littéralement ce qui doit être lu pour chaque élément graphique retenu, propose une formulation dont on postule le caractère invariable dans le temps et l’espace, au moins dans les bornes chronologiques et territoriales retenues, de la protohistoire à la fin du XXe siècle dans le cadre de la Gaule/France.

2. La ville

La morphologie de la(des) ville(s) est figurée à l’aide de formes géométriques représentant les auréoles de densités urbaines ainsi que les axes qui permettent de comprendre qu’il y ait, là, une ville. C’est la combinaison des deux qui forme le système urbain (fig. 1).

Parmi les nombreux choix discutables de la démarche, celui de réduire le carrefour à sa plus simple expression, deux axes qui se croisent, est particulièrement critiquable. Il a été nettement démontré que la logique générale des treillages (Brunet, 2001) est plus «triviale» au sens étymologique: la morphologie des réseaux est construite spontanément sur des triangles, composant des hexagones. Les axes situant une ville dans un système de villes sont donc plutôt au nombre de trois. Mais, la ligne de conduite de simplifier au maximum a fait préférer le carrefour le plus élémentaire (fig. 2).

De même que le projet suppose la notion de ville significative, de l’oppidum à la mégalopole, de même il faut assumer l’hypothèse qu’il y a des fonctions sociales suffisamment semblables sur deux mille ans pour être désignées par les mêmes mots et les mêmes symbolisations graphiques. Distinguer les fonctions militaire, politique, économique et religieuse et leur attribuer des couleurs distinctes est simultanément un abus et une nécessité.

Les fonctions sont représentées par des couleurs élémentaires:

3. Les principes de base de la légende

Des montées de couleurs sont utilisées pour rendre les variations de densité ou d’importance des fonctions pour les figures surfaciques; des plus ou des moins le sont pour les figurés ponctuels. Les hiérarchies sont rendues par des variations de taille (fig. 3).

De la carte au modèle

À l’aide de cette boîte à outils de base (graphique et conceptuelle), on peut proposer des modèles de cas uniques. Des villes particulières, à un moment de leur histoire, sont ainsi non seulement schématisées, ce qui peut faciliter des démarches comparatives, mais aussi modélisées. Proposer un modèle, c’est construire une explication de la logique sociale et urbaine qui rend compte de ce fait urbain spécifique. La réalisation des figures se fonde sur une démarche structurale de simplification et de décomposition des données historiques et archéologiques. La pertinence des modèles dépend donc, d’abord, de la validité des sources. Cependant, les modèles cherchent à donner sens à une information érudite spécifique à chacune des villes étudiées.

La première étape de traitement de l’information consiste, le plus souvent, à schématiser les cartes utilisées — ou, pour les derniers siècles, les documents d’évaluation du patrimoine archéologique des villes de France — afin de dégager la structure urbaine. Cette sélection des implantations les plus importantes et cette simplification des contours de l’agglomération permettent une vision plus simplifiée de la ville. Il ne faut pas être naïf: cette opération, qui procède par de nombreux coups de force en éliminant tel détail ou en retenant tel autre, contient implicitement une interprétation. Les documents qui servent de sources sont d’ailleurs eux-mêmes le résultat de nombreux filtrages. Mais le schéma ne propose aucune explication. On pourrait plutôt le comparer à une description textuelle qui aurait pu être faite de la ville et qui aurait nécessairement beaucoup éliminé et utilisé des termes généraux.

Pour rendre compte d’une ville, on ne peut négliger les facteurs de sa spécificité, en particulier son site et ses fonctions urbaines particulières (fig. 4). Le bleu et le bistre servent, par analogie et convention, à rendre compte des grandes lignes du relief et de l’hydrographie. Pour les siècles les plus proches du nôtre, on peut également lire des éléments de différenciation sociale. Des figurés d’orientation donnent une indication de la typologie sociale ramenée à trois catégories élémentaires (favorisée, moyenne et précaire). Enfin, des figurés ponctuels montrent des équipements spécifiques incontournables pour les périodes récentes.

La seconde étape représente un saut épistémologique, puisqu’elle modélise la ville, c’est-à-dire qu’elle déduit la forme de la ville de sa localisation dans le temps et dans l’espace. Les formes géométriques n’ont plus valeur de généralisation — au sens cartographique — de simplification de l’information, mais valeur logique. Aussi le modèle n’a-t-il ni échelle, ni orientation, contrairement à la carte et au schéma.

4. Les éléments qui permettent de rendre compte de la spécificité d’une ville

On peut proposer comme exemple un modèle urbain de Saint-Pierre en Martinique à la veille de sa destruction par l’éruption de la montagne Pelée, à partir des plans des Documents d’évaluation du patrimoine archéologique des villes de France de cette cité (Veuve, 1999). La situation littorale de ce port justifie que la ville se représente non plus par un cercle, mais par un demi-cercle. La topographie du site, qui présente un cours d’eau au nord, un abri plus propice au mouillage au sud, explique le dédoublement du centre. Le noyau originel de la ville (quartier du Fort) se situe à l’embouchure de la Roxelane, ce qui lui permet de contrôler la pénétration vers l’intérieur de l’île. Second héritage, un nouveau noyau (quartier du Mouillage) est apparu au sud au niveau du port, entre littoral et talus.

5. Saint-Pierre en Martinique, un modèle

À chaque degré de généralisation correspond donc une légende spécifique. Le schéma peut intégrer plus d’éléments du site que le modèle, de même qu’un modèle plus général, un chorotype, est plus «pauvre» qu’un modèle spécifique. Chacun de ces sauts suppose d’être justifié en référence à d’autres modèles plus généraux qui «banalisent» le cas pris en compte. Réciproquement, chaque modèle quelque peu général n’a pu être réalisé et ne peut prendre sens qu’en fonction de plusieurs cas dont il représente le commun dénominateur. Ces «portraits robots» de types de villes correspondent à ce qu’on nomme des chorotypes.

On peut, en effet, construire des modèles typologiques correspondant à un nombre plus ou moins grand de cas. Ils représentent les étapes formalisées entre les structures les plus élémentaires de l’espace géographique, les chorèmes, et les modèles d’un cas unique, précisément situé spatialement et temporellement, généralement qualifiés de spécifiques. Roger Brunet définit le chorotype comme une «composition de chorèmes récurrente, exprimant des structures plus ou moins complexes qui apparaissent dans un certain nombre d’endroits du globe et qui peuvent s’exprimer par des modèles simples». Le chorotype le moins complexe, donc le plus général, de notre démarche est celui de la ville composé de deux structures élémentaires (fig. 1 et 2). Cette figure fondatrice peut être décomposée en plusieurs typologies selon que l’on prend en compte le site (villes de bord de mer, comme sur la figure 5, villes sur un cours d’eau, au pied d’un talus, etc.), la fonction (villes minières, balnéaires, forteresses, etc.), le rang dans la hiérarchie urbaine (les villes monofonctionnelles qui peuvent représenter de quasi-types idéaux sont généralement de taille réduite) et, bien sûr, le moment historique. Les chorotypes peuvent donc former un enchaînement de modèles allant du général au particulier (et réciproquement). D’autres familles de chorotypes pourraient raisonnablement être créées, par exemple pour tenir compte de cultures urbaines régionales (la ville méditerranéenne n’est pas la ville rhénane). Mais le principe de réalité impose de ne pas céder au vertige de la complexification à l’infini et la modélisation a le mérite d’obliger à formuler clairement les limites de l’opération.

6. La tension général/particulier dans le cas d’Aix-en-Provence

Très souvent, un modèle spécifique doit considérer plusieurs chorotypes qu’il combine. Par exemple, la première modélisation de l’étude de cas d’Aix-en-Provence (fig. 6) est la composition de la ville de pied de talus et de la colonia romaine enclose dans ses murailles. La contrainte de la pente «déforme» la géométrie de la ville-colonie, réciproquement, la forme carrée voulue par le colonisateur s’impose à la rotondité dissymétrique spontanée de l’extension urbaine au pied d’une montagne (fig. 7).

7. Le premier modèle spécifique d’Aix-en-Provence, combinaison de deux chorotypes, l’un de site, l’autre de fonction (extrait de la planche figure 6)

Avec la colonia, nous avons un chorotype circonscrit dans les limites d’une époque précise, la Gaule romaine. Une famille de types de villes est au cœur de notre démarche: les chorotypes correspondant à des étapes successives de l’évolution des villes étudiées.

La frise ou la modélisation du temps

Le troisième coup de force a consisté au découpage du temps de l’histoire des villes gallo-françaises. Ainsi qu’il est écrit dans le Dictionnaire des sciences historiques (Burguière et al., 1986): «Découper le temps, segmenter la chronologie en étapes temporelles fortement individualisées a été l’une des premières opérations intellectuelles destinées à rendre intelligible le passé des sociétés humaines». S’il est un mot que nous avons évité, c’est bien «période», trop grevé par son usage institutionnel, comme le note le même dictionnaire: «Aujourd’hui cette périodisation canonique et presque fossile enferme la recherche et l’enseignement de l’histoire dans un carcan que concours, solidarités corporatistes et structures universitaires renforcent». C’est également pour cette raison que les huit titres retenus ont évité toute référence à des noms d’époques identifiables et à des datations, et mettent plutôt en évidence des caractères morphologiques qui ont semblé dominants (ville ouverte, réduite, réunie…) ou des processus structurants jugés essentiels (l’industrie, l’automobile). Par exemple, la première étape dont la terminologie est discutée (âges du Bronze et du Fer, Protohistoire?) n’est pas géographiquement dans l’Antiquité, mais à sa périphérie (Cunliffe, 1998); l’historicité des limites géographiques des aires chronologiques impose de ne pas se mouler dans une temporalité standard.

C’est pourquoi, pour bien insister sur la dimension temporelle, quasi narrative du processus, nous avons opté pour le terme d’épisode. Il s’agit moins d’une datation précise que de huit moments successifs, permettant de suivre les principales transformations connues pour les villes de France. Les choix sont évidemment discutables, perfectibles et devront évoluer. Cependant, un socle dur de cette modélisation fonde la nature de la démarche: l’individualisation des épisodes. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une sorte de bande dessinée par défaut, d’arrêts sur images faute de pouvoir réaliser un vrai film donnant à voir la fluidité du temps. Au contraire, les épisodes sont assumés comme moments de validité d’un type historique de ville. À l’intérieur de chaque épisode, on fait l’hypothèse que la reproduction du système urbain l’emporte sur la transformation.

8. La frise des modèles, la frise comme modèle

Dans cette perspective, il s’agit d’une modélisation spatio-temporelle qui prend sens à deux niveaux. Chaque figure représente un chorotype propre à un épisode. L’ensemble forme donc une famille de chorotypes dont la différenciation est historique; ce sont des chrono-chorotypes. Mais on peut également lire l’ensemble de la frise comme un modèle d’évolution des villes en Europe occidentale du Hallstatt au XXe siècle. Que ce modèle soit une évolution monolinéaire est évidemment une restriction intellectuelle dont nous sommes conscients, mais qui pourra très bien devenir ultérieurement multilinéaire. Un aspect essentiel à considérer sera alors les changements d’un même lieu dans la hiérarchie urbaine: une ville peut avoir été une grande cité romaine et devenir une bourgade médiévale — ou l’inverse. Le terme de frise (fig. 8) est donc à prendre comme un concept de modélisation: un modèle théorique d’évolution, qui donne à voir le changement, mais sous forme de modèles successifs pour lesquels la reproduction l’emporte sur la transformation. Cette perspective de modélisation de la trajectoire urbaine s’efforce ainsi de tenir simultanément, mais sans les confondre, les deux versants de la dialectique historique, reproduction et transformation.

9. L’espace-temps urbain selon Anne Bretagnolle

Un aspect graphique peut surprendre: la constance de la taille des figures successives, y compris lors des derniers épisodes qui introduisent le chemin de fer, puis l’automobile, facteurs d’étalement urbain dans un contexte de forte croissance démographique et d’urbanisation. Une première réponse découle de l’absence d’échelle sur les figures, quelle qu’en soit la métrique. Les modèles successifs prétendent représenter l’essentiel d’une ville pour un épisode donné, quelle que soit la place de cette ville dans la hiérarchie urbaine. Plus encore, la constance de la taille de la ville manifeste la volonté de tenir compte du caractère fonctionnel de l’espace urbain, moins vécu dans une mesure kilométrique qu’en termes de durée de déplacement. Des travaux de géographes (Pumain et al., 1999), en particulier la thèse d’Anne Bretagnolle (1999), ont montré que l’étalement urbain pensé en termes d’espace-temps donnait une ville de taille constante. Certes, du centre aux limites de l’agglomération le nombre de kilomètres ne cesse d’augmenter, mais il faut toujours le même nombre de minutes pour les parcourir. Si nous avions mis une échelle, elle aurait été en temps de déplacement et identique d’une figure à l’autre (fig. 9).

Chaque épisode donne lieu, dans la présentation de la frise, à une planche qui décompose le chrono-chorotype synthétique en plusieurs modèles analytiques, permettant ainsi d’isoler les logiques à l’œuvre dans la production de l’explication. D’un point de vue diachronique, les planches donnent à voir ce qui change d’un épisode à l’autre, à partir d’une lecture horizontale de la planche, de gauche à droite. D’un point de vue synchronique, elles donnent à voir les différentes logiques socio-spatiales qui fabriquent la ville.

10. Exemple d’organisation d’une planche de la frise

C’est une mise en scène de la réflexion théorique sur la (re)production de l’espace urbain: la ville est faite de la combinaison des héritages des épisodes antérieurs et de logiques morphologiques et fonctionnelles qui expriment la situation sociale de l’épisode. Par exemple (fig. 10), «la cité enclose, ville réduite» est le fruit de la transformation de la ville romaine classique sous l’effet combiné de la rétraction, de la fortification et de la christianisation de l’espace urbanisé.

Rendre compte du va-et-vient entre le général et le particulier

Cette frise se nourrit d’études de cas et, en retour, elle devrait permettre d’éclairer de nouveaux cas. Ce va-et-vient entre le général et le particulier est au cœur de toute recherche, c’est une banalité; mais ce que la modélisation graphique s’efforce de souligner, c’est justement la mise en évidence de ce processus. C’est pourquoi la frise ne pouvait être proposée qu’associée à plusieurs études de cas. C’est aussi pour cela que ces modélisations spécifiques tentent de montrer dans leur composition même ce va-et-vient.

Les modélisations graphiques spécifiques sont organisées en planches qui respectent un même protocole. Les épisodes se lisent de haut en bas, chacun représentant une ligne. Ces lignes sont organisées pour rendre visible le va-et-vient entre le particulier (à gauche) et le général (à droite). La dernière colonne reprend les chrono-chorotypes de la frise générale, sachant que les bornes chronologiques, qui figurent dans les études de cas, peuvent ne pas coïncider d’une ville à l’autre. L’avant-dernière colonne propose une modélisation spécifique pour la ville particulière dans le cadre de cet épisode. À l’opposé, la première colonne à gauche donne à voir la source principale, généralement une carte de synthèse des Documents d’évaluation du patrimoine archéologique des villes de France de la ville étudiée, puis, pour les épisodes récents, une carte IGN. La seconde colonne est la schématisation des informations.

11. Le va-et-vient entre généralisation et particularisation dans une planche d’étude de cas (exemple d’Aix-en-Provence)

Tout l’enjeu se passe dans la colonne centrale, baptisée «transposition», qui tente de montrer les éléments qui permettent de passer du schéma au modèle et réciproquement. Sont pris en compte le site, la situation et l’héritage de l’épisode précédent qui «rejouent» (sauf, évidemment, à la première étape). On peut lire cet ensemble central comme une contextualisation géographique et historique qui fournit les arguments pour expliquer le schéma et le transformer en modèle (lecture de gauche à droite), et qui permet également de passer de l’explication formalisée, le modèle spécifique (avant-dernière colonne à droite), à la complexité du réel telle que la donnent à voir les sélections successives que représente la carte (colonne 1), puis le schéma (colonne 2) selon une lecture cette fois de droite à gauche. On peut résumer l’effort demandé au lecteur en distinguant un travail de généralisation (le passage d’une ville particulière, dotée d’un nom propre, à la ville théorique) dans une lecture de gauche à droite et une démarche de particularisation dans le sens inverse (passage de l’idée de ville correspondant à l’état social du moment à une ville unique dans l’esquisse de sa complexité) (fig. 11).

L’ambition, naïve sans doute, de l’ensemble de la démarche est de promouvoir un comparatisme généralisé entre le particulier et le général, entre les épisodes d’une même ville permettant de formaliser sa trajectoire urbaine. Il s’agit également de promouvoir des comparaisons synchroniques entre plusieurs villes afin de dégager des types de villes (selon des distinctions régionales de position dans la hiérarchie urbaine ou de fonction), des confrontations spatio-temporelles entre plusieurs villes qui permettent de comparer leurs trajectoires urbaines et de réaliser ainsi des familles de chrono-chorotypes (ce qui n’a pas été esquissé ici), etc.

Au cœur de la démarche, il y a en effet la volonté de ne pas considérer comme un préalable la tension entre le général qui transcende la diversité spatiale et temporelle, et le particulier, où rien n’est semblable, voire ne peut même plus être nommé, puisque tous les noms communs sont des généralisations. Mais, bien au contraire, l’ambition est d’assumer ce va-et-vient comme la réalité même de la pratique scientifique, qui permet, espérons-le, de lire un peu la géohistoire des villes de «France» et d’ailleurs. C’est pourquoi le dossier est composé simultanément d’une frise sur la ville et de villes étudiées comme des cas uniques. Il n’y a pas d’ordre imposé, une revue électronique permettant de s’émanciper de la succession linéaire.

Ce travail répond à un double objectif de représentation didactique et de questionnement heuristique des transformations des structures spatiales. Il s’inscrit dans un projet plus vaste de réflexion sur la cartographie et les atlas historiques confrontés au problème de la représentation d’espaces historiquement très différents et, plus encore, de la représentation du temps historique.

Bibliographie

La bibliographie générale se rapportant à l’ensemble du dossier «Chrono-chorématique urbaine» est accessible et téléchargeable ici.

Ce débat s’est enrichi récemment d’une nouvelle question: celle des modalités d’intégration des tours dans la «ville durable». Dévoreuse d’énergie, d’air et de lumière pour les uns, la tour est pour les autres, un modèle à suivre face à l’extension urbaine et à l’utilisation de l’automobile, d’autant plus que des tours «Haute Qualité Environnementale» voient maintenant le jour.
Emporis propose deux bases de données en libre-accès, de nature différente. La première recense les 200 plus hauts gratte-ciel du monde: bien entendu, la hauteur minimale (237 m en 2009) et maximale dans la base ne cesse d’évoluer à mesure que les records sont battus: il n’est donc pas possible d’analyser tous les gratte-ciel ou tous ceux qui dépasseraient une hauteur choisie. La seconde base de données fournit le nombre de grands immeubles pour les 20 premières villes «actives» (c’est-à-dire dans laquelle des gratte-ciel sont construits) de chaque pays. Cette base est donc également incomplète puisqu’il y a au Brésil ou aux États-Unis plus de 20 villes qui comptent des immeubles de haute taille.
Les termes en anglais sont high-rise building et skyscraper et les définitions sont données sur le site Emporis.
Cette image qui affirme la puissance et la «fécondité» des entreprises, voire le pouvoir individuel des entrepreneurs (Jian, 2007), associée à la forme particulière des constructions permet bien évidemment à certains, invoquant une dimension psychanalytique, de souligner l’aspect phallique des gratte-ciel (McNeil, 2005).
L’absence étonnante de Londres s’explique par la hauteur minimale de 237 m (One World Plaza, New York, 1989) dans cette base recensant les 200 plus hauts gratte-ciel en 2009. One Canada Square, la plus haute tour du Royaume-Uni, n’a «que» 235 m de haut.
La diffusion, et la répartition des grands immeubles, est intéressante dans la mesure où elle permet de souligner la diffusion mondiale de ce modèle architectural occidental (McNeil 2005) même si c’est sous des formes plus modestes.
Trantor, ville planète imaginée par Isaac Asimov (1920-1992)
Coruscant, la planète-cité du cycle cinématographique de la Guerre des étoiles de Georges Lucas.
Ou presque: c’est bien entendu l’objet du roman.