N°109

Histoire maritime et cartes en ligne, du XVIe au XXIe siècle

1. Circulations maritimes par pavillon, 1750-1850
Source: spatial.ly; http://spatialanalysis.co.uk/2012/03/mapped-british-shipping-1750-1800/

Des informations plus ou moins anciennes sur les flux maritimes mondiaux sont aujourd’hui mobilisées à des fins très variées: pour analyser le climat d’après les journaux de bord, reconstituer le trafic entre les ports des différentes parties du monde, mesurer l’impact de l’activité humaine sur les milieux marins, etc. Beaucoup de ces données ont permis de concevoir des cartes, dont de nombreuses sont en ligne, ce qui permet de dresser un aperçu, forcément incomplet mais éclairant, de la diversité des ensembles de données accessibles pour des périodes longues (du XVIe siècle à aujourd’hui), et des formes de mise en valeur cartographique utilisées.

Flux de navires de commerce et conditions climatiques (1750-1850)

Aussi curieux que cela puisse paraître, les informations sur les mouvements de navires peuvent servir les recherches sur l’histoire du climat. Les journaux de bord constituent notamment une source manuscrite essentielle pour reconstituer les fluctuations climatiques, car ils retranscrivent jour après jour la position du navire sur le globe et les conditions météorologiques au moment du relevé (direction et force des vents). Dans le cadre du projet européen CLIWOC (Climatological Database for the World's Oceans 1750-1850), ont été dépouillés les ship logs des navires de commerce britanniques, hollandais, espagnols et français.

Si ce programme a permis de traiter les journaux de bord espagnols, en revanche la moitié des journaux hollandais et la grande majorité des journaux britanniques et français (90%) de la période restent à exploiter. Aller plus loin permettrait de compléter certains manques, en particulier d’avoir plus de données sur l’Océan Pacifique, et également de remonter dans le temps, vers le début du XVIIIe siècle. Une équipe a été montée pour continuer ce dépouillement, et malheureusement (malgré l’importance des corpus en français à dépouiller), elle ne semble comprendre aucun chercheur français.

Les résultats ont néanmoins permis d’élaborer de cartes mises en ligne sur les blogs «Statistics and visualizations»  et «Spatial Analysis»  (fig. 1). En termes de routes commerciales, on obtient une image très nette de la circulation maritime mondiale juste avant le creusement des canaux de Suez (1859-1869) et de Panama (1880-1914). La répartition spatiale des routes parcourues par les différentes flottes est par ailleurs très nettement différenciée. Une animation reprenant les relevés quotidiens des navires a même été proposée récemment par le blog «Sapping Attention» sur toute la période jour après jour (fig. 2). On imagine très bien d’autres traitements possibles, comme des analyses de volumes transportés et de densité de flux par route, région, etc.

2. Visualisation dynamique des circulations maritimes, 1750-1850
Source: http://sappingattention.blogspot.co.uk/
http://sappingattention.blogspot.co.uk/2012/04/visualizing-ocean-shipping.html, consulté en avril 2013)

Commerce d’esclaves transatlantique (1500-1900)

Un autre projet historique particulièrement ambitieux, The Trans-Atlantic Slave Trade Database, propose en ligne des données sur les flux d'esclaves transportés dans l’Atlantique sur plusieurs siècles. On trouve des informations détaillées sur les origines et destinations de près de 40 000 expéditions. Au total, la base recense un peu plus de dix millions d’esclaves embarqués et moins de neuf millions débarqués, soit 12% de décès durant les voyages en moyenne. La base de données est consultable via de multiples entrées comme le nom, l’âge, le sexe, la taille des esclaves, les caractéristiques des navires, etc.

3. Cartographie interactive des trafics d’esclaves 4. Flux d’esclaves au départ de l'Afrique, 1500-1900
Source: http://www.slavevoyages.org/tast/index.faces Source: http://www.slavevoyages.org/tast/index.faces
consulté en avril 2013)

Des cartes peuvent être produites de façon interactive à partir des critères retenus (fig. 3), tandis que d’autres sont disponibles en guise de synthèse (fig. 4). Par ailleurs, la base individuelle est reliée au site d’un autre projet, African Origins, où l’on peut par exemple trouver deux hommes nommés Obama ayant été transportés en 1828 et 1829 sur le Xerxès et le Midas de Bonny (Nigeria) à la Havane (Cuba) (fig. 5).

5. Retrouver les origines africaines de descendants d’esclaves
Source: http://african-origins.org/, consulté en avril 2013

Parcours de navires de commerce (XVIIe- XIXe siècles)

6. Trafic des ports français atlantiques en 1787 (tonneaux)
Source: http://navigocorpus.hypotheses.org/, consulté en avril 2013

Le projet ANR Navigocorpus dont Mappemonde a déjà publié une présentation a aussi pour objectif une exploitation systématique d’archives de navigation au long cours sur la période moderne. Outre la visualisation dynamique, le projet vise à la cartographie des trafics portuaires, même si l’exploitation des fonds et l’analyse de leur contenu sont toujours en cours. Le blog du projet montre une réalisation inédite: la carte du trafic des ports français atlantiques en 1787 (fig. 6). Le site de Navigocorpus, très riche, permet quant à lui d’avoir accès aux données déjà collectées, celles-ci étant consultables par point de navigation, port, capitaine, navire.

Flux maritimes mondiaux actuels et impacts humains sur le milieu océanique

Naturellement, des données contemporaines sur les flux maritimes sont aussi largement présentes sur le web (notamment via le traitement des balises AIS) et Mappemonde s’en est déjà fait l’écho. L’Organisation météorologique mondiale recense grâce au volontariat les déplacements précis d’environ 11% de la flotte mondiale, pour les navires et leur équipage acceptant de se munir d'une balise. Ces données ont été représentées cartographiquement et réutilisées à de multiples reprises: un article paru dans Science en 2008 les utilise par exemple comme l’un des 17 indicateurs d’impact humain sur le milieu marin (fig. 7), dans le cadre d’une typologie globale détaillée sur le site. La carte interactive est particulièrement intéressante, mais on peut aussi consulter la sphère virtuelle — fichier KML librement téléchargeable sous Google Earth.

7a. Impacts humains sur le milieu océanique
Source: http://www.worldbank.org/wdr2009, consulté en avril 2013

 

7b. Impacts humains sur le milieu océanique
Source: http://www.worldbank.org/wdr2009, consulté en avril 2013
Voir les travaux de J. Dassié (http://www.archaero.com/archeo167.htm)