N°115

Habiter un grand ensemble au Caire. ‘Ayn El-Sira ou les petits arrangements avec l’espace

Notre poster présente les micro-appropriations de l’espace créées par les habitants d’une cité de logement social, ‘Ayn el-Sira, construite en 1958 au Caire.
La variété de l’iconographie – cartes, relevés de terrain, photographies et dessins – veut témoigner de la diversité des savoir-faire individuels et collectifs des habitants et ce à différentes échelles, de l’appartement à la cité, en passant par l’immeuble.

Ces modes de représentation des pratiques constructives s’appuient sur une recherche au long cours initiée en 1999, poursuivie par des retours réguliers. Le travail de terrain a permis de mener de nombreux entretiens avec les résidents, donnant sens et contenu aux transformations qu’ils ont apportées à leur cadre de vie. Ces belles rencontres ont dévoilé les changements sociaux vécus sur plus d’un demi-siècle, souvent masqués par l’ampleur des transformations architecturales.

Bénéficiant de loyers modérés, d’appartements plus confortables, d’espaces publics soignés et de tous les services nécessaires, la cité constituait, selon les habitants, un véritable «quartier».

Entité spatiale marquée par des limites évidentes, l’identité du quartier était aussi renforcée par de fortes relations de voisinage, par une grande stabilité résidentielle ou, encore, par la présence d’associations actives, notamment celles du puissant parti nassérien. L’accès à l’éducation, à l’université, aux soins et au travail formel, souvent dans la fonction publique, a favorisé l’ascension sociale de beaucoup. Vivre à ‘Ayn el-Sira était alors synonyme de promotion résidentielle et sociale pour la classe moyenne.

L’histoire résidentielle des habitants est marquée par une rupture, lorsqu’ils deviennent propriétaires en 1979. Ce nouveau statut impulse les appropriations de l’espace en dépit des autorités qui démolissent les adjonctions empiétant sur les rues. Mais, l’opposition des habitants et le fait que «tous construisant, il n’était pas possible de s’opposer à tous» aboutit à un laisser-faire, moyennant des taxes à payer pour les ajouts.

Ces appropriations de l’espace, aux formes et matériaux très divers, rendent compte d’une imagination constructive et d’une capacité d’adaptation d’un type d’habitat et d’urbanisme imposé et a priori rigide. Or, ces arts de faire, emblèmes extraordinaires de citadinité, sont paradoxalement dépréciés par les résidents.

L’accès à la propriété, perçu comme une trahison de la part de l’État, a coïncidé avec le déclassement social des habitants : la cité s’est dégradée, comme la position de cette classe moyenne dans la société égyptienne.

En ceci, la petite histoire de ‘Ayn el-Sira peut être replacée dans la grande Histoire, mais aussi faire écho à d’autres situations, ailleurs dans le monde.

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