N°117

Évaluer les conséquences des politiques d’aménagement sur l’accessibilité spatiale des ressources territoriales

Introduction

Les questions d’inégalité d’accès aux ressources territoriales (établissements scolaires, établissements de santé, pôles d’emplois…) font l’objet de nombreux travaux dans le domaine de la planification territoriale, des transports, de la santé… (Fol et Gallez, 2013). Dans les faits, la diffusion de la notion d’exclusion sociale s’est accompagnée d’une prise en compte de la dimension spatiale dans l’appréhension des inégalités sociales (Fol et Gallez, 2013). Cet intérêt croissant pour la dimension spatiale des inégalités se manifeste notamment par la création d’indicateurs d’accessibilité toujours plus élaborés (Geurs et Van Wee, 2004; Ngui et Apparicio, 2011; Lee et Hong, 2013; Delamater, 2013; McGrail et Humphreys, 2014).

Le développement de ces indicateurs d’accessibilité repose alors sur un présupposé théorique important, selon lequel il existe un lien entre faible accessibilité aux ressources territoriales et risque d’exclusion sociale. Ce faisant, il n’est pas étonnant que les questions d’accessibilité soient dorénavant au cœur de certaines politiques de lutte contre les inégalités. Ainsi, plusieurs pays, comme le Canada (Ngui et Apparicio, 2011), ont fait de l’élimination des disparités spatiales d’accès aux établissements de soin l’objectif central de leur politique de santé (Kronick et al., 1993; Pineault et al., 1993; Ngui et Apparicio, 2011). De surcroît, l’idée que l’accessibilité spatiale aux emplois influence la participation au marché du travail, particulièrement chez ceux qui ne peuvent modifier facilement leur localisation résidentielle, n’est pas nouvelle (Wachs et Kumagai, 1973; Black et Conroy, 1977; Vandersmissen et al., 2001). Dans ce contexte, la définition rigoureuse d’indicateurs d’accessibilité représente un enjeu important. Dans une même continuité, les éléments permettant de faciliter l’interprétation et la compréhension de ces indicateurs sont loin d’être accessoires.

Les travaux présentés visent précisément à formuler des indicateurs favorisant l’interprétation et la compréhension des mesures d’accessibilité spatiale des ressources territoriales. Pour cela, il est proposé d’évaluer les avantages procurés par les aménagements réalisés afin de rendre les ressources territoriales accessibles, et ce indépendamment des facilités dont chaque lieu bénéficie compte tenu de son positionnement spatial a priori. Cette recherche exploratoire, proposant de nouveaux indicateurs, se place alors dans la continuité des recherches menées pour évaluer l’efficacité (la performance) des réseaux de transport (Chapelon, 1997; Stathopoulos, 1997; Cattan et Grasland, 1997; Gleyze, 2007; Zadeh et Rajabi, 2013) et propose de les associer aux problématiques liées au choix de localisation des ressources territoriales. Cette association contribue alors à mettre en lumière les conséquences des politiques d’aménagement sur les disparités d’accessibilité spatiale des ressources territoriales.

État de l’art

L’accessibilité d’un lieu mesure le degré de facilité avec lequel ce lieu peut être atteint à partir d’un ou de plusieurs autres lieux, en utilisant tout ou partie des moyens de transport existants (Bavoux et al., 2005). L’accessibilité des ressources (hôpitaux, écoles, cinémas…) dépend alors des performances du système de transport et de la manière dont ces ressources se distribuent spatialement (Fol et Gallez, 2013). L’accessibilité apparait donc comme une mesure éminemment spatiale. Néanmoins, l’accessibilité des ressources territoriales se pose aussi en termes sociaux (de Ruffray et Hamez, 2009; Comber et al., 2008). Pour certains chercheurs, l’âge, la classe sociale, le genre ou l’appartenance ethnique devraient être analysés avant toute recherche d’effet de la distance afin de ne pas traquer les effets spatiaux là où il n’y en a pas (Guengant, 1993; Powell, 2005; de Ruffray et Hamez, 2009).

Cette différenciation entre accessibilité spatiale et accessibilité sociale rappelle l’existence de deux points de vue complémentaires sur l’accessibilité, le terme d’accessibilité renvoyant à deux notions: «le fait d’avoir accès à un équipement» et «celui d’être accessible» (Bavoux et al., 2005). Il apparait dans la littérature que ces deux points de vue se confondent de plus en plus, l’accessibilité devenant par là même un concept plus abstrait qui met en relation deux composantes: un facteur d’attraction, qui correspond à la répartition des activités au sein d’un espace donné et un facteur d’impédance, qui traduit la résistance à vaincre pour atteindre ce lieu (Fol et Gallez, 2013). La précision avec laquelle seront traités ces deux facteurs fera alors émerger différentes composantes à prendre en considération dans les mesures d’accessibilité. Dans les faits, les mesures d’accessibilité peuvent prendre en compte jusqu’à quatre composantes: l’organisation spatiale des aménités, les performances du système de transport, les aspects temporels des aménités et des individus, les caractéristiques propres aux individus (Geurs et Van Wee, 2004).

Pour certains, on distingue dorénavant trois catégories principales d’indicateurs (Handy et Niemeier, 1997; Geurs et Van Wee, 2004): les indicateurs d’accessibilité spatiale (location-based measures) qui mesurent l’éloignement d’un lieu à une ressource distribuée spatialement autour de ce lieu; les indicateurs individuels d’accessibilité qui estiment l’accessibilité à l’échelle individuelle en intégrant les contraintes temporelles liées aux opportunités et aux individus; les indicateurs d’accessibilité fondés sur l’utilité (utility-based measures) qui évaluent l’accessibilité à partir du bénéfice que les individus retirent de l’accès à des activités distribuées dans l’espace (Fol et Gallez, 2013).

Dans la pratique, les indicateurs d’accessibilité spatiale sont encore privilégiés dans de nombreuses études afin de déterminer dans quelle mesure des ressources sont accessibles (IAU, 2011). Dans ce contexte, il se révèle nécessaire de travailler sur ces indicateurs afin de les améliorer et d’éviter certaines apories. En effet, l’insertion des hommes (donc des lieux et des ressources) dans l’espace géographique les différencie et crée de facto des disparités en les prédisposant à être plus ou moins accessibles. Ce faisant, afin d’assurer une certaine cohésion territoriale et sociale, les sociétés peuvent mettre en place des politiques publiques visant à réduire ces disparités, notamment en aménageant l’espace. Ainsi, pour identifier les gagnants et les perdants de ces aménagements, il peut apparaitre nécessaire d’étudier les disparités d’accessibilité indépendamment des facilités dont certains lieux bénéficient compte tenu de leur positionnement spatial a priori.

Cet «effet de l’espace» sur les indicateurs d’accessibilité a déjà été étudié en géographie dans le domaine de l’analyse des réseaux de transport afin notamment d’évaluer leur efficacité (leur performance) (Chapelon, 1997; Stathopoulos, 1997; Zadeh et Rajabi, 2013). Comme l’a par exemple formulé Jean-François Gleyze (2007): «il existe deux facteurs intervenant dans l’accessibilité d’un sommet au sein d’un réseau spatialisé: son positionnement spatial relativement à l’ensemble des autres sommets (nous parlerons d’“effets spatiaux”); la manière dont l’organisation du réseau contribue effectivement à mettre en relation ce sommet avec l’ensemble des autres sommets compte tenu de ce positionnement (nous parlerons d’“effets réseau”)».

Pour évaluer la manière dont l’organisation du réseau contribue à mettre en relation différents lieux, et ce indépendamment des facilités dont chaque lieu bénéficie compte tenu de son positionnement spatial a priori, différentes méthodes ont été développées. Par exemple, une méthode, proposée par Nadine Cattan et Claude Grasland (1997), consiste à calculer un indice d’efficacité, en divisant, pour chaque point de l’espace (découpé selon une grille régulière), la mesure d’accessibilité par une mesure d’accessibilité géométrique (Bretagnolle et al., 2010). Lorsque le réseau améliore l’accessibilité géométrique, les valeurs résultant de ce rapport sont supérieures à 1, dans le cas contraire, elles sont inférieures à 1.

Plus précisément, l’efficacité d’un réseau peut s’évaluer en comparant les longueurs des plus courts chemins observés sur le réseau réel, avec les longueurs des plus courts chemins calculés sur un réseau fictif reliant de manière optimale tous les sommets du territoire deux à deux (Gleyze, 2007). Ce réseau fictif est appelé «réseau optimal». La comparaison des deux «distances-réseau» se fait traditionnellement en effectuant leur ratio. Cependant, les grandeurs obtenues perdent alors leur sens physique. C’est pourquoi il peut sembler préférable de quantifier les effets liés à la configuration du réseau en effectuant la différence entre les deux distances-réseau (Gleyze, 2007).

Dans la plupart des applications, le réseau optimal correspond à un réseau permettant de relier tous les sommets du territoire selon leur liaison à vol d’oiseau. Ce réseau constitue un graphe complet (graphe dont tous les sommets sont reliés entre eux par un arc), peu réaliste pour caractériser un réseau d’infrastructure. Il peut alors sembler préférable de déterminer un réseau optimal plus réaliste qui tient compte des contraintes matérielles inhérentes à l’infrastructure étudiée. Il a ainsi pu être proposé d’utiliser une triangulation de Delaunay pour déterminer le réseau optimal d’un réseau de transport (Gleyze, 2007) (figure 1). La figure 1 décrit une mesure possible des «effets réseau» qui évalue la manière dont l’organisation du réseau contribue à mettre en relation des lieux, et ce indépendamment de leur positionnement spatial a priori. Le réseau réel sur lequel la distance entre deux lieux A et B vaut 4 est représenté à gauche de cette figure et le réseau optimal où la distance entre A à B vaut 3 est représenté à droite. Les effets réseau pour ce couple de lieux se mesurent en effectuant la différence entre les deux distances calculées.

1. Exemple d’une mesure des «effets réseau»

Développement de nouveaux indicateurs et méthodologie d’application

Il ressort de la littérature portant sur les indicateurs d’accessibilité spatiale à des ressources territoriales qu’ils évaluent généralement l’éloignement, avec des distances géométriques ou des distances-temps, entre des ressources et des individus répartis au sein d’un espace géométrique donné et exploitant sans contrainte les réseaux de transport disponibles. D’un point de vue théorique, cette mesure distingue donc les individus, l’espace géométrique, les réseaux de transport et les ressources territoriales. En l’occurrence, l’espace géométrique et les individus peuvent être considérés comme consubstantiels, formant dès lors l’espace géographique. Cet espace géographique peut être décomposé en différents lieux (unités spatiales) selon des critères géométriques ou en reprenant des découpages administratifs préexistants.

Dans ce cadre théorique, s’il est possible de déterminer un réseau de transport optimal, il est aussi possible de déterminer une distribution spatiale optimale des ressources territoriales. D’ailleurs, comme le soulignent de Ruffray et Hamez (2009), aux mesures d’accessibilité s’ajoutent parfois «des propositions de réagencement des infrastructures de services dans les modèles de localisation-affectation: ces derniers visent à déterminer la localisation optimale d’implantations de services en termes d’ajustement entre l’offre et la demande, dans une perspective d’aide à la décision (Peeters et Thomas, 2001)».

Dès lors, dans la continuité des travaux évaluant l’efficacité des réseaux de transport, pour un couple «lieu/ressource» donné, il est proposé de calculer deux distances: une distance réelle qui correspond à l’éloignement entre une ressource et un lieu; une distance optimale qui correspond à l’éloignement entre ce lieu et la localisation optimale de la ressource. À l’instar de certaines mesures évaluant l’efficacité d’un réseau, la comparaison de ces deux distances peut permettre d’évaluer l’efficacité (la pertinence) des choix d’implantation des ressources territoriales en matière d’accessibilité et ce indépendamment des facilités dont chaque lieu bénéficie compte tenu de son positionnement spatial a priori. Autrement dit, comme les indicateurs qui mesurent des «effets réseau», ce nouveau type d’indicateur mesure ce que l’on peut considérer comme des «effets de localisation des aménités» (des «effets d’implantation»), et ce indépendamment des «effets spatiaux» (figure 2). La figure 2 décrit une mesure possible de ces effets de localisation. La distance entre un lieu A et une ressource B est tout d’abord mesurée (à gauche de la figure 2), puis après avoir déterminé la localisation optimale B* de la ressource B, la distance entre A et B* est mesurée (à droite de la figure 2). Les effets de localisation pour le couple AB se mesurent en effectuant la différence entre les distances DAB et DAB*. Ces calculs sont effectués uniquement sur le réseau réel.

2. Exemple d’une mesure des « effets de localisation des aménités »

Quoi qu’il en soit, pour évaluer les conséquences des politiques d’aménagement sur les inégalités d’accessibilité spatiale aux ressources territoriales et ce indépendamment des facilités dont chaque lieu bénéficie compte tenu de son positionnement spatial a priori, il semble nécessaire (dans le cadre théorique retenu), de créer un nouveau type d’indicateur tenant compte à la fois de l’efficacité du réseau transport et de la pertinence des choix d’implantation des ressources territoriales. En effet, lorsque l’on mesure les effets réseau, les aspects liés à la localisation des aménités ne sont pas considérés, et inversement lorsque l’on mesure les effets de localisation des aménités, les aspects liés à la configuration des réseaux ne sont pas considérés.

Pour un couple «lieu/ressource» donné, il est alors proposé de comparer l’éloignement d’un lieu à une ressource observée sur le réseau réel, et l’éloignement de ce lieu à la localisation optimale de la ressource calculée sur le réseau optimal (figure 3). Il est considéré dans cette recherche que ce nouveau type d’indicateur évalue des «effets de situation», et ce indépendamment des «effets spatiaux». En effet, la situation d’un lieu correspond à sa position au sein d’un territoire aménagé: position qui est notamment relative aux réseaux de transport le desservant et aux ressources territoriales accessibles. Or, cette situation est influencée par le positionnement spatial de ce lieu, qu’il peut convenir de masquer pour faire émerger des éléments de réflexion nouveaux. La figure 3 décrit une mesure possible de ces effets de situation. La distance entre un lieu A et une ressource B est tout d’abord mesurée sur le réseau réel (à gauche de la figure 3), puis après avoir déterminé la localisation optimale B* de la ressource B, la distance entre A et B* est mesurée sur le réseau optimal (à droite de la figure 3). Les effets de situation pour le couple AB se mesurent en effectuant la différence entre les distances DAB et D*AB*.

3. Exemple d’une mesure des « effets de situation »

Afin d’interroger la pertinence des indicateurs proposés, ceux-ci ont été calculés pour étudier l’accessibilité spatiale des maternités dans les départements du Val-d’Oise et du Val-de-Marne. Il a été choisi de se focaliser sur le cas des maternités, car les recherches entreprises nécessitaient de prendre en considération un type de ressources (de services) pour lequel l’accessibilité spatiale apparait plus discriminante que l’accessibilité sociale. Comme le soulignent de Ruffray et Hamez (2009), «le cas des maternités trouve ici son intérêt dans la mesure où, d’une part, leur fréquentation concerne toutes les classes sociales et, d’autre part, la distance peut jouer un rôle critique dans le bon déroulement des accouchements». Plus précisément, il a été choisi d’étudier l’accessibilité spatiale des maternités de «niveau 3» qui traitent les accouchements jugés «les plus à risque». Par conséquent, ces maternités sont amenées à faire face à des situations d’urgence et l’accessibilité spatiale est alors déterminante.

Des choix méthodologiques ont alors été opérés. Le premier concerne l’échelle de travail retenue: celle du département. Cette échelle départementale est rarement privilégiée dans les études relatives à l’accessibilité spatiale des établissements de santé. Bien souvent, l’échelle choisie est plutôt celle de la région (voir, par exemple, les travaux de l’IAU). Néanmoins, pour la région parisienne, ce choix peut se justifier compte tenu des densités de population et des problématiques induites par le trafic routier dans les situations d’urgence. Quoi qu’il en soit, ce choix peut exacerber les effets de bord, car les unités spatiales situées à proximité des limites départementales peuvent parfois dépendre d’un établissement de santé localisé dans un autre département.

Le deuxième choix opéré concerne les unités spatiales retenues, en l’occurrence les communes. Or, la discrétisation d’un espace géographique par un découpage administratif est critiquable en matière d’analyse spatiale. Cette problématique est d’ailleurs connue sous le nom de «Modifiable Areal Unit Problem» (Wong, 2009). De surcroît, à l’échelle d’un département, des analyses plus fines seraient sans doute plus pertinentes, car elles permettraient notamment de différencier les centres-villes des autres quartiers d’une commune. Dans une même continuité, selon la taille des unités spatiales considérées, le choix des lieux à partir desquels les différentes mesures seront effectuées revêt une importance plus ou moins grande. Par exemple, pour les maternités, ce choix ne pose a priori aucun problème, puisque les mesures peuvent être réalisées à partir de leur adresse postale sans que cela nuise à leur précision. En revanche, pour les communes, ces lieux de rattachement sont plus difficiles à déterminer. Dans cette recherche, il a été choisi d’effectuer les calculs à partir de leur centroïde. Ce choix implique de nombreuses imprécisions, puisque cela revient à considérer que l’ensemble des individus d’une commune se concentre en un lieu qui n’a aucune réalité concrète. Ainsi, ce choix fait fi de la distribution spatiale des individus au sein de chaque commune.

Troisièmement, la métrique choisie pour mesurer l’accessibilité spatiale, et plus généralement l’éloignement sur le réseau «réel» entre les maternités de niveau 3 et les centroïdes des communes, est une «distance-réseau». Ces distances ont été calculées à l’aide de l’API Google Maps qui utilise des données routières très complètes et des algorithmes de chemins performants. Dans la pratique, les «distances-temps» sont généralement préférées, car cette métrique fournit des résultats plus homogènes. Néanmoins, sachant que les mesures effectuées sur le réseau réel doivent être comparées à celles calculées sur le réseau optimal, comme les mesures de «distances-temps» sur un réseau optimal théorique sont très critiquables, il a semblé plus pertinent de s’appuyer sur des «distances-réseau».

Enfin, en ce qui concerne les indicateurs, il est important de préciser que les déterminations d’un réseau optimal et d’une distribution optimale des ressources territoriales sont toujours discutables. Ainsi, afin de déterminer les réseaux optimaux au sein des territoires étudiés, il a été choisi d’utiliser des triangulations de Delaunay. En effet, ces triangulations tiennent, pour partie, compte des contraintes matérielles inhérentes aux infrastructures de transport (Gleyze, 2007). Les centroïdes des communes constituent les sommets de ces triangulations et par conséquent des réseaux optimaux. Les «distances-réseau» calculées sur ces réseaux théoriques optimaux s’appuient alors sur les distances euclidiennes séparant les centroïdes des communes adjacentes.

Les distributions optimales des maternités au sein des territoires étudiés ont quant à elles été obtenues en résolvant le modèle «p-centré», qui offre apparemment la solution la plus équitable dans le cas des services publics d’urgence (Peeters et Thomas, 2001). Le modèle «p-centré» cherche à minimiser la distance maximale entre les points de demande (les communes) et les points d’offre (les maternités) qui leur sont les plus proches. Ce modèle présente néanmoins des défauts, car il tend notamment à être peu «efficace» (de nombreux patients peuvent être amenés à parcourir des distances relativement importantes). Dans la pratique, d’autres modèles, fondés par exemple sur l’efficacité économique (qui tentent de maximiser le solde global net de satisfaction), peuvent donc apparaitre plus pertinents.

Le modèle «p-centré» a été résolu à l’aide d’une heuristique (solution approchée offrant des temps de calcul raisonnables) hybride qui repose sur un algorithme glouton permettant de déterminer une solution initiale satisfaisante (Daskin, 2013; Siarry, 2014), puis sur un algorithme de voisinage permettant d’améliorer cette solution et de tendre ainsi vers la solution optimale (Daskin, 2013; Siarry, 2014). Les solutions envisagées pour résoudre ce modèle correspondent aux centroïdes des communes. De surcroît, il a été choisi de pondérer l’importance des lieux en fonction de leur population. Ce choix est critiquable, car il tend à accorder plus d’importance aux individus habitant au sein des communes les plus peuplées. Néanmoins, si la distance est bien un facteur discriminant pour le service étudié, il semble pertinent d’implanter les installations à proximité des lieux qui concentreront les interventions.

Résultats et discussions

Les résultats obtenus pour le département du Val-de-Marne montrent simplement que les indicateurs proposés enrichissent les mesures d’accessibilité spatiale en supprimant les effets liés au positionnement spatial des lieux. Ainsi, si l’évaluation de l’accessibilité spatiale des communes du Val-de-Marne aux maternités de niveau 3 met en évidence les déficits d’accessibilité des communes situées au sud-est du département (figure 4), alors même que ces communes apparaissent visuellement comme les plus éloignées des maternités de niveau 3, l’évaluation des effets liés aux politiques d’aménagement fait émerger des pistes de réflexion moins évidentes (figure 5). Cette évaluation permet en effet d’identifier que les communes du nord-est du département sont les plus désavantagées par les politiques d’aménagement (dans le cadre de l’accessibilité aux maternités de niveau 3), contrairement aux communes du nord-ouest du département qui apparaissent comme les plus avantagées.
4. Évaluation de l’accessibilité spatiale des communes du Val-de-Marne aux maternités de niveau 3 [1]
5. Évaluation des effets liés aux politiques d’aménagement en matière d’accessibilité spatiale des maternités de niveau 3 dans le Val-de-Marne

Plus précisément, l’évaluation des effets liés à la configuration du réseau routier (figure 6) montre que l’accessibilité spatiale des communes du Val-de-Marne aux maternités de niveau 3 est globalement peu influencée par la structure du réseau. Ainsi, seule la commune de Villiers-sur-Marne, située au nord de Champigny-sur-Marne, est assez fortement affectée par la configuration du réseau. Dans le Val-de-Marne, il apparait en fait que ce sont les choix d’implantation des maternités qui semblent constituer le facteur le plus discriminant en ce qui concerne leur accessibilité. En effet, pour le Val-de-Marne, la seule évaluation des effets liés au choix d’implantation des maternités (figure 7) donne in fine des résultats assez similaires à ceux issus de l’évaluation des «effets de situation» qui évalue à la fois la pertinence du choix d’implantation des maternités et l’efficacité des réseaux de transport.

6. Évaluation des effets liés à la configuration du réseau de transport dans les mesures d’accessibilité spatiale des maternités de niveau 3 dans le Val-de-Marne
7. Évaluation des effets liés au choix d’implantation des maternités de niveau 3 en matière d’accessibilité dans le Val-de-Marne

Les résultats obtenus pour le département du Val-d’Oise sont peut-être plus difficiles à interpréter. En effet, les communes situées le plus à l’est et le plus à l’ouest du département apparaissent comme les communes les plus désavantagées par les politiques d’aménagement (figure 9). Or, ces communes sont aussi les plus éloignées spatialement des maternités de niveau 3 (figure 8). Autrement dit, l’évaluation des «effets de situation» ne semble pas apporter d’éléments de réflexion nouveaux. Cette évaluation permet seulement de distinguer les communes situées au sud-ouest du Val-d’Oise (c’est-à-dire celles situées au sud de Magny-en-Vexin), qui apparaissent très désavantagées par les politiques d’aménagement, de celles situées au nord-ouest du Val-d’Oise (c’est-à-dire celles situées au nord d’Aincourt), qui semblent moins désavantagées (figure 9).

8. Accessibilité spatiale aux maternités de niveau 3 dans le Val-d’Oise
9. Évaluation des effets liés aux politiques d’aménagement en matière d’accessibilité spatiale des maternités de niveau 3 dans le Val-d’Oise

Les communes de l’est du Val-d’Oise sont majoritairement affectées par la configuration du réseau routier qui semble exacerber les disparités d’accessibilité spatiale des maternités de niveau 3 (figure 10). Ainsi, les communes du sud-est du département (les communes proches de Gonesse) sont en quelque sorte amenées à subir la proximité de Paris. En effet, les axes autoroutiers, qui offrent la meilleure accessibilité, sont orientés en direction de Paris et ne permettent pas une mobilité optimale de l’est vers l’ouest du département afin de rejoindre la maternité d’Argenteuil. De surcroît, les communes situées plus au nord semblent désavantagées par le tracé sinueux de la N104. Plus on s’éloigne de la maternité de Pontoise, plus les communes du nord-est du département sont amenées à subir les effets de cette sinuosité. Enfin, le tracé de l’Oise, dans sa partie nord, coïncide presque parfaitement avec la limite distinguant les communes subissant les effets de la configuration du réseau de celles ne les subissant pas. Dans ce cas précis, l’Oise semble encore constituer une «barrière naturelle» que le réseau actuel ne permet pas de franchir de façon optimale.

10. Évaluation des effets liés à la configuration du réseau de transport dans les mesures d’accessibilité spatiale des maternités de niveau 3 dans le Val-d’Oise

Si les communes de l’ouest du Val-d’Oise sont assez peu affectées par la configuration du réseau routier, elles apparaissent en revanche plus affectées par les choix d’implantation des maternités de niveau 3 (figure 11). En effet, la localisation de la maternité à Pontoise est loin d’être optimale. Dans les faits, si les communes situées au centre du Val-d’Oise bénéficient de ce choix d’implantation, les communes du sud-ouest du département en pâtissent lourdement. C’est d’ailleurs ce choix d’implantation qui explique assez bien que les communes situées au sud-ouest du Val-d’Oise apparaissent plus désavantagées par les politiques d’aménagement que celles situées au nord-ouest du Val-d’Oise (figure 9).

11. Évaluation des effets liés au choix d’implantation des maternités de niveau 3 en matière d’accessibilité dans le Val-d’Oise

Dans le Val-d’Oise, les disparités induites par les politiques d’aménagement coïncident peu ou prou avec les disparités d’accessibilité spatiale. Cela signifie que les politiques d’aménagement renforcent les disparités spatiales existant a priori. Ainsi, la structuration du Val-d’Oise autour d’un axe central Argenteuil-Pontoise contribue à exacerber les disparités d’accessibilité spatiale des maternités de niveau 3, et ce au détriment des communes de l’est et de l’ouest du département.

Conclusion

Dans la continuité des recherches menées pour évaluer l’efficacité des réseaux de transport, les mesures proposées ici complètent les mesures traditionnelles d’accessibilité spatiale. Premièrement, ces mesures permettent de faire émerger des pistes de réflexion très différentes de celles issues des indicateurs d’accessibilité spatiale, le seul éloignement aux lieux centraux n’expliquant plus forcément les disparités d’accessibilité spatiale. Deuxièmement, lorsque ces nouvelles mesures sont corrélées aux mesures d’accessibilité spatiale, il apparait dès lors que les politiques d’aménagement renforcent les disparités spatiales existantes a priori.

Ces recherches sont essentiellement exploratoires. Elles comportent donc de nombreux écueils. Ainsi, les politiques d’aménagement sont presque entièrement limitées à la mise en place de réseaux de transport efficaces et à des choix de localisation des ressources territoriales équitable, ce qui est bien entendu très restrictif. Il serait par exemple approprié de prendre en compte les caractéristiques sociales des populations pour évaluer la pertinence des politiques d’aménagement. De surcroît, les mesures proposées sont fortement impactées par des choix méthodologiques critiquables, notamment concernant la définition d’une distribution équitable des ressources territoriales.

En outre, il ne faut pas généraliser les résultats obtenus à partir des deux cas d’étude présentés. Ces cas d’étude concernent des départements très urbanisés où les réseaux routiers sont denses. Les résultats seraient sans doute très différents pour des départements plus ruraux.

Bibliographie

BAVOUX J.-J., BEAUCIRE F., CHAPELON L., ZEMBRI P. (2005). Géographie des transports. Paris: Armand Colin, coll. «U», 232 p. ISBN: 2-200-26555-7

BLACK J., CONROY M. (1977). «Accessibility measures and the social evaluation of urban structure». Environment & Planning A, vol. 9, p. 1013-1031. doi: 10.1068/a091013

BRETAGNOLLE A., GIRAUD T., VERDIER N. (2010). «Modéliser l’efficacité d’un réseau: le cas de la poste aux chevaux dans la France pré-industrielle (1632, 1833)». L’Espace géographique, vol. 39, n°2, p. 117-131.

CATTAN N., GRASLAND C. (1997). Les différentiels d’accessibilité des villes moyennes en France. 1. Accessibilité routière. Rapport de recherche pour le ministère de l’Équipement, du transport et du logement, 115 p.

CHAPELON L. (1997). Offre de transport et aménagement du territoire: évaluation spatio-temporelle des projets de modification de l’offre par modélisation multi-échelles des systèmes de transport. Thèse de doctorat en aménagement de l’espace et urbanisme, Université de Tours, 558 p.

COMBER A.J., BRUNSDON C., GREEN E. (2008). «Using a GIS-based network analysis to determine urban greenspace accessibility for different ethnic and religious groups». Landscape and Urban Planning, vol. 86, p. 103-114. doi: 10.1016/j.landurbplan.2008.01.002

DASKIN M.S. (2013). Network and Discrete Location: Models, Algorithms, and Applications. 2e éd., Wiley, 536 p. ISBN: 978-0-470-90536-4

DELAMATER P. L. (2013). «Spatial accessibility in suboptimally configured health care systems: A modified two-step floating catchment area (M2SFCA) metric». Health & Place, vol. 24, p. 30-43. doi: 10.1016/j.healthplace.2013.07.012

FOL S., GALLEZ C. (2013). «Mobilité, accessibilité et équité: pour un renouvellement de l’analyse des inégalités sociales d’accès à la ville». Colloque international du Labex Futurs Urbains, Marne-la-Vallée, 16-18 janvier 2013, 10 p. halshs-00780292

GUENGUANT A. (1993). «Équité, efficacité et égalisation fiscale territoriale». Revue Économique, vol. 44, n°4, p. 835-848. doi: 10.2307/3502147

GEURS K.T., VAN WEE B. (2004). «Accessibility évaluation of land-use and transport strategies: reviews and research directions». Journal of Transport Geography, vol. 12, n°2, p. 127-140. doi: 10.1016/j.jtrangeo.2003.10.005

GLEYZE J.F. (2007). «Effets spatiaux et effets réseau dans l’évaluation d’indicateurs sur les nœuds d’un réseau d’infrastructure». Cybergeo: European Journal of Geography. En ligne

HANDY S.L., NIEMEIER D.A. (1997). «Measuring accessibility: an exploration of issues and alternatives». Environment and Planning A, vol. 29, n°7, p. 1175-1194. doi: 10.1068/a291175

IAU (Institut d’aménagement et d’urbanisme). (2011). La mesure de l’accessibilité aux médecins de premiers recours en Ile-de-France, 43 p. [PDF]

KRONICK R., GOODMAN D.C., WENNBERG J., WAGNER E. (1993). «The marketplace in health care reform – the demographic limitations of managed competition». New England Journal of Medicine, vol. 328, n°2, p. 148-152. doi: 10.1056/NEJM199301143280225

LEE G., HONG I. (2013). «Measuring spatial accessibility in the context of spatial disparity between demand and supply of urban park service». Landscape and Urban Planing, vol. 119, p. 85-90. doi: 10.1016/j.landurbplan.2013.07.001

MCGRAIL M. R., HUMPHREYS J. S. (2014). « Measuring spatial accessibility to primary health care services: Utilising dynamic catchment sizes». Applied Geography, vol. 54, p. 182-188.

NGUI A.-N., APPARICIO P. (2011). «L’accessibilité potentielle aux services de santé à Montréal: Approche par les systèmes d’information géographique». Revue d’Épidémiologie et de Santé publique, vol. 59, n°6, p. 369-378. doi: 10.1016/j.respe.2011.05.004

PEETERS D., THOMAS I. (2001). «Localisation des services publics: de la théorie aux applications». In SANDERS L. (dir.), Modèles en analyse spatiale, Paris: Hermès Science, coll. «Traité IGAT», série «Aspects fondamentaux de l’analyse spatiale», p. 105-127. ISBN: 2-7462-0320-0

PINEAULT R., LAMARCHE P.A., CHAMPAGNE F., CONTANDRIOPOULOS A.P., DENIS J.L. (1993). «The reform of the Quebec health care system: potential for innovation?». Journal of Public Health Policy, vol. 14, n°2 p. 198-219. doi: 10.2307/3342965

POWELL M. (1995). «On the outside looking in: medical geography, medical geographers and access to health care». Health and Place, vol. 1, n°1, p. 41-50. doi: 10.1016/1353-8292(95)00005-7

RUFFRAY de S., HAMEZ G. (2009). «La dimension sociale de la cohésion territoriale». L’Espace géographique, vol. 38, n°4, p. 328-344. ISBN: 978-2-7011-5239-4 [PDF]

SIARRY P. (2014). Métaheuristiques: recuit simulé, recherche avec tabous, recherche à voisinages variables, méthode GRASP, algorithmes évolutionnaires, fourmis artificielles, essaims particulaires et autres méthodes d’optimisation. Eyrolles, coll. «Algorithmes», 515 p. ISBN: 978-2-212-13929-7

STATHOPOULOS N. (1997). La performance territoriale des réseaux de transport. Presses de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, 228 p. ISBN: 2-85978-276-1

VANDERSMISSEN M.-H., VILLENEUVE P., THÉRIAULT M. (2001). «Mobilité et accessibilité: leurs effets sur l’insertion professionnelle des femmes». L’Espace géographique, vol. 30, n°4, p. 289-305. ISBN: 2-7011-3125-1 [PDF]

WACHS M., KUMAGAI G.T. (1973). «Physical accessibility as a social indicator». Socio-Economic Planning Science, vol. 7, n°5, p. 437-456. doi: 10.1016/0038-0121(73)90041-4

WENGLENSKI S. (2004). «Une mesure des disparités sociales d’accessibilité au marché de l’emploi en Île-de-France». Revue d’Économie régionale et urbaine, n°4, p. 539-550. doi: 10.3917/reru.044.0539

WONG D. (2009). «The modifiable areal unit problem (MAUP)». In FOTHERINGHAM S., ROGERSON P., The SAGE handbook of spatial analysis, Los Angeles: Sage, p. 105–124. ISBN: 978-1-4129-1082-8

ZADEH A. S. M., RAJABI M. A. (2013). «Analyzing the effect of the street network configuration on the efficiencyof an urban transportation system». Cities, vol. 31, p. 285-297. doi: 10.1016/j.cities.2012.08.008

L’ensemble des cartographies réalisées repose sur des discrétisations obtenues par la méthode des amplitudes égales.