N°112

Synthèses cartographiques des représentations mentales de l'espace

Il est aujourd’hui admis que la cognition spatiale joue un rôle majeur dans la construction de l’espace géographique: «L’analyse des représentations individuelles montre que l’espace géographique, avant d’être une donnée objective, abstraite, partageable par des acteurs localisés, est fait de perceptions très subjectives, de représentations de l’espace terrestre qui sont ‘‘déformées’’» selon la position de l’individu et le contenu social de l’espace» (Pumain, Saint-Julien, 2010). L’espace objectif, aux propriétés universellement mesurables donne ainsi lieu, une fois reconnu par les individus et passé par leurs filtres sensoriels et culturels, à une multitude de représentations cognitives déformées (Cauvin, 2002). L’un des enjeux majeurs des représentations cognitives de l’espace est de permettre de mieux comprendre nos comportements spatiaux (Kitchin, Blades, 2002), car nous utilisons en priorité notre connaissance de l’environnement pour nos déplacements.

Quelle que soit la technique de collecte (croquis, évaluation de distances, exercice de reconstruction spatiale…), les données sont toujours obtenues à l’échelle de l’individu. Pour évaluer les connaissances spatiales d’un groupe, il est nécessaire de prendre en considération un grand nombre de représentations cognitives de l’espace, ce qui implique d’en faire des synthèses destinées à en faciliter l’analyse (Robinson, 1951; Ewing, 1981). Le dessin à main levée, ou sketch map, est un procédé encore très souvent utilisé pour obtenir les représentations cognitives de l’espace. Mais la variabilité des échelles, des styles de dessins, des structures et des niveaux de précision, rend la synthèse des croquis très délicate à réaliser (Matthiews, 1984; Bell et al., 2001). C’est pourquoi, le résumé de plusieurs croquis a longtemps été obtenu à l’aide de classements empiriques des types de formes et de structures (Appleyard, 1970; Pocock, 1976; Bailly, 1977). La synthèse cartographique ne peut alors être effectuée qu’à partir d’un dépouillement manuel et d’une analyse visuelle des croquis. Antoine Bailly (1990) expose ainsi, par exemple, sa méthode d’analyse: «par classement des régularités et analyse systématique des déformations, il est possible d’établir des cartes de synthèse des représentations de certains groupes…». On peut redouter cependant la lourdeur de la tâche lorsque le corpus est imposant. Le traitement automatisé des données géographiques, notamment à l’aide des systèmes d’information géographique (SIG), permet aujourd’hui de nouvelles approches comme l’agrégation des objets ponctuels dessinés. Grâce à un outil développé pour le SIG MapWindow [1], nous explorons ici trois méthodes pour résumer les données géographiques cognitives exprimées sous la forme de points, de lignes ou de polygones. Ces résumés donnent ensuite lieu à trois types d’espaces cognitifs collectifs (ECC): ECC en commun, ECC moyen et ECC médian.

Collecte et codage des données à agréger

Méthode de collecte: le croquis à main levée sur page blanche

Nous avons choisi d’obtenir les données cognitives géographiques par la technique du croquis à main levée [2]. Cette approche suppose que la représentation cognitive soit considérée comme une structure bidimensionnelle (une image) et non comme un ensemble de concepts relevant de l’expression verbale.

Souvent critiqués depuis leurs débuts (limites imposées par le format de la feuille, effet des différences de compétences grapho-motrices notamment entre groupes sociaux, blocage des personnes âgées vis-à-vis de la technique…), les croquis restent pourtant largement utilisés pour l’obtention de l’espace cognitif des individus. Il est vrai que le dessin à main levée possède de nombreux atouts pratiques: il est riche en informations collectées (expression possible de configurations spatiales complexes), peu exigeant en explications, léger en équipements requis… Surtout, l’apparente simplicité de la technique n’en fait pas un procédé moins fiable qu’un autre pour exprimer les représentations cognitives de l’espace (Cauvin et al., 1998). Nora Newcombe (1985) indique notamment que les performances de la collecte par croquis ont été sous-estimées et que celles des autres méthodes de collecte ont été surestimées. Marc Blades (1990) a ainsi démontré que la technique du dessin était stable dans le temps. Dans son expérience, des juges extérieurs ont pu retrouver les croquis dessinés par le même sujet à une semaine d’intervalle. Mark Billinghurst et Suzanne Weghorst (1995) ont montré, par ailleurs, que la technique des croquis à main levée était utilisable pour révéler la cognition spatiale de sujets s’étant déplacés en environnement virtuel.

Il existe plusieurs techniques de croquis (Kitchin, Jacobson, 1997; Kitchin, Blades, 2002). Les croquis sont habituellement collectés sur un fond de carte disposant de repères. Afin d’obtenir l’information la plus personnelle possible et laisser le sujet dessinant exprimer le plus librement les distorsions de son espace mental, nous avons choisi la technique de la page blanche pour collecter les données (Basic Sketch Map selon la terminologie de Rob Kitchin et Mark Blades).

Les données expérimentales: sources et hypothèses

Les capacités de l’outil développé ont été évaluées auprès de 30 étudiants inscrits en première année de licence de géographie à l’université de Picardie Jules Verne [3] et auxquels la question suivante a été posée: «Dessinez la carte de France en indiquant lisiblement le nom des lieux que vous représentez». Pour faciliter l’exploitation des données et éviter d’avoir à traiter des dessins en perspective, les croquis recourent uniquement à des points, des lignes et des surfaces dessinés selon un point de vue zénithal. Il est demandé oralement à la fin de l’exercice d’indiquer l’orientation du nord et de tracer un trait représentant 500 km (informations nécessaires pour le traitement des données). Les lieux non localisés ou non identifiés ne sont pas pris en compte. Les DOM TOM n’ont pas été intégrés car leur position arbitraire sur les dessins (en haut à gauche, en bas à droite des dessins, etc.) ne correspondait pas à une localisation géographique.

Proches des enseignants-chercheurs, les étudiants ont souvent été sollicités pour produire des données relatives à leur cognition spatiale (André, 1989; Kitchin, 1996; Horan, 1999; Sudas, 2012). L’échantillon le plus volumineux compte 3 568 croquis d’étudiants répartis sur 75 universités de 52 pays (Saarinen, McCabe, 1995). Le corpus analysé est bien moins imposant et ne prétend pas constituer une étude exhaustive. Il permet simplement d’illustrer les méthodes choisies. L’exercice porte sur la France car c’est un espace connu de tous les étudiants et que de nombreux éléments sont supposés apparaître dans les croquis. L’espace français constitue, à ce titre, un cadre adapté pour une mise à l’épreuve des outils destinés à l’agrégation des données. Mais à quoi ressemble la carte de France des étudiants picards? Quels en sont les éléments marquants? Quelles en sont les lacunes? L’évaluation des distances est-elle bonne? Derrière ces questions se tient l’idée que les croquis peuvent exprimer un certain rapport à la structure de l’espace français. À ce propos, l’outil développé va nous permettre de tester deux hypothèses.

Nous mémorisons les informations spatiales de deux manières différentes: d’une part, grâce à l’apprentissage primaire, fondé sur l’expérience directe d’un espace particulier et, d’autre part, grâce à l’apprentissage secondaire construit à partir d’informations indirectes sur l’espace et transmises notamment par des cartes, des indications verbales ou textuelles (Kitchin, Blades, 2002). Ainsi que le rappellent les auteurs, le savoir secondaire est la seule source disponible pour la mémorisation d’espaces à des échelles géographiques impossibles à expérimenter directement (pays, continent), ce qui est ici le cas. Nous faisons l’hypothèse que les cartes de synthèse vont refléter la nature principalement secondaire des connaissances mises à contribution pour l’élaboration des croquis (cartes scolaires notamment).

1. Géoréférencement d’un croquis

Mais les connaissances académiques seraient-elles seules mobilisées dans ce genre d’exercice? Des considérations personnelles ne pourraient-elles pas intervenir dans les «représentations internes» de la France? De fortes distorsions ou une sous-représentation dans les croquis des éléments distants d’Amiens et de la Picardie pourraient alors apparaître. C’est là notre seconde hypothèse.

Mise en correspondance des espaces subjectifs et de l’espace de référence

Pour comparer les données cognitives avec les données objectives d’un espace géographique de référence, il nous faut procéder à une mise en correspondance de ces deux sources. Cette opération est ici réalisée par un géoréférencement de l’espace cognitif sur un référentiel géographique. Le géoréférencement va exploiter des informations fournies par le sujet lui-même pour les opérations de rotation, de translation et de mise à l’échelle (homothétie). La représentation objective et la représentation subjective d’un même espace peuvent alors être visualisées simultanément dans le référentiel objectif du SIG. Signalons que la régression bidimensionnelle peut également être utilisée pour réaliser cette mise en relation [4] (Tobler, 1994; Cauvin, 1984a; Cauvin et al., 1998).

Pour géoréférencer l’espace cognitif d’un individu dans l’espace objectif [5], le sujet fournit trois informations par son croquis:

Munis du point de coïncidence, de l’orientation du nord et de l’échelle fournis par l’individu, il nous est possible de calculer les références de quatre points d’amer sur les croquis (fig. 1c) puis de géoréférencer l’espace cognitif de l’individu à l’espace objectif à l’aide de ces mêmes points. Les coordonnées géographiques affectées à l’espace cognitif permettent alors de l’afficher avec d’autres données exprimées dans le même référentiel, par exemple le contour de la France. Le géoréférencement a été réalisé à l’aide du SIG ArcGIS (fig. 1d).

Des réponses individuelles à l’image collective de l’espace: la matrice cumulative

2. Infrastructure de l’espace cognitif du groupe (exemple)

L’espace cognitif du groupe est construit à partir du rassemblement des différentes réponses graphiques. Composé d’un amas de points, de lignes et de polygones exprimés dans le même référentiel spatial, ce rassemblement n’est guère lisible. Il constitue ce que nous appelons l’infrastructure de l’espace cognitif du groupe. À ce stade, les tracés non agrégés peuvent néanmoins rendre compte de la cognition spatiale du groupe mais pour un nombre limité d’éléments dessinés (fig. 2).

Une image claire peut toutefois apparaître à partir de cette infrastructure par la technique de la matrice cumulative. La matrice cumulative est une grille composée généralement de carreaux juxtaposés et superposés à l’infrastructure. On associe à chaque carreau le nombre d’éléments inclus dans ses limites, qu’il s’agisse de points, de lignes, de polygones irréguliers ou organisés dans une matrice (fig. 3). L’espace cognitif collectif d’un groupe d’individus est alors défini comme la variation des effectifs de réponses sur l’étendue de l’ensemble des carreaux. Si la matrice cumulative permet d’obtenir un résumé des données quantitatives associées aux lieux, elle ne peut en revanche fournir de résumé pour les données qualitatives. Elle ignore donc l’identité des lieux.

Martial Fauteux (1977) utilise cette technique pour la ville de Sherbrooke afin de traiter ses données informatiques sur des représentations mentales alors stockées sur cartes perforées. À partir des années 1980, les logiciels de systèmes d’information géographique sont utilisés pour traiter la cognition spatiale (Blaser, Egenhofer, 2000; Forbus et al., 2003; Okamoto et al., 2005). S’appuyant sur une structure stratifiée des données, les SIG sont, en effet, nativement adaptés au principe de la matrice cumulative et à l’analyse des récurrences d’unités spatiales standards (carreaux vectoriels ou pixels).

3. Principe de la matrice cumulative

La méthode classique: ECC en commun

Généralement, la synthèse d’un ensemble de croquis est donnée sous la forme d’une cartographie de l’espace cognitif en commun. Il s’agit de mettre en évidence l’espace qui est partagé par le groupe. Yves André souligne à ce propos que «le dépouillement d’une série de cartes d’un groupe donné fait apparaître des caractères communs à tous, des caractères communs à quelques-uns, d’autres enfin propres à chacun» (André, 1989).

Pour obtenir cet espace en commun à partir de croquis exprimés dans le même référentiel spatial, la matrice cumulative est appliquée directement sur l’ensemble des données brutes de l’infrastructure cognitive du groupe, chaque carreau comptabilisant la somme des éléments dessinés inclus dans son périmètre. Toutefois, chaque lieu de l’espace objectif peut renvoyer à de multiples correspondances dans l’infrastructure cognitive du groupe. L’image produite par la matrice cumulative est donc celle d’un espace où l’on ne peut identifier et situer un lieu précis (fig. 4).

4. L’espace cognitif collectif en commun

C’est pourquoi les croquis viennent le plus souvent compléter un fond de carte existant doté parfois d’une toponymie (Kitchin, Jacobson, 1997; Kitchin, Blades 2002, MacEachren, 1991; Bonnet, 2004; Matei et al., 2001; Roulier, 2006). Ce type de support préalable facilite le repérage des répondants et produit une carte cognitive collective sur laquelle il est possible de se repérer facilement puisqu’elle nous est familière. Toutefois, les cartes de synthèse ainsi obtenues ne peuvent traduire correctement les distorsions des espaces cognitifs individuels, neutralisées par la présence des repères communs à chaque croquis.

Une nouvelle approche: les ECC centrés

L’espace cognitif collectif en commun est un espace au sein duquel un lieu, au sens d’espace identifié et délimité, ne peut être situé précisément puisqu’un même lieu possède virtuellement plusieurs images dans l’infrastructure cognitive du groupe. Par conséquent, on ne peut connaître l’identité des espaces les plus structurants dans l’image collective. La méthode de collecte fondée sur un ensemble de lieux bien identifiés permet un nouveau type de synthèse. Pour obtenir un résumé qui soit une image de l’espace objectif, c’est-à-dire un espace qui se structure par la juxtaposition de lieux uniques et bien identifiés, nous procédons au calcul d’une nouvelle infrastructure cognitive dans laquelle tous les tracés d’un même lieu sont remplacés par un seul tracé représentatif et valué par l’effectif d’objets correspondant. Nous présentons ici le calcul de ces nouvelles infrastructures cognitives créant des espaces cognitifs moyens et médians. De plus, l’unicité de la représentation permet d’associer à chacun des lieux représentatifs des informations qui lui sont propres comme son identité ou son classement dans une typologie (représentations mentales associées à cet espace par exemple)… La nouvelle infrastructure cognitive sert ensuite de support au calcul de la matrice cumulative.

Agrégation préalable de l’infrastructure cognitive

Il s’agit ici de calculer les formes géométriques (points, lignes ou polygones) les plus représentatives possible du même lieu dessiné par plusieurs sujets. Nos résultats sont calculés et cartographiés dans un système d’information géographique. Celui-ci référençant les objets dans un espace euclidien, les formes représentatives doivent être calculées selon la métrique euclidienne. Pour agréger les données en un espace cognitif central, nous nous appuyons sur un algorithme comptant six étapes (au plus) dans lequel la géométrie de chaque lieu est considérée comme une chaîne de points (Roulier, 2009):

Pour la médiane, deux solutions sont possibles:

a) Les coordonnées des objets dessinés sont exprimées dans un référentiel utilisant la métrique euclidienne. Dans ce cas, le point médian correspond au point minimisant la somme des distances euclidiennes à tous les autres points. Il s’agit là plus d’une propriété que d’une formule de calcul. Le point médian est alors identifié par un balayage de l’emprise du nuage de points [6] pour trouver la localisation optimale. Lorsque le «nuage» est constitué d’un seul point (un seul objet dessiné représentant le lieu), la médiane correspond à la valeur du point; lorsque le nuage est constitué de deux points (deux objets dessinés représentent le lieu), plusieurs solutions existent car, la distance euclidienne minimum entre deux points étant la ligne droite, tous les points de cette droite sont des solutions à la médiane. La médiane est alors arbitrairement considérée comme le point milieu. Dans tous les autres cas, la médiane est déterminée de telle sorte qu’elle minimise la somme des distances du point médian à l’ensemble des points du nuage.

b) La technique précédente nécessite des temps de calcul très grands proportionnels au produit de l’emprise spatiale par le nombre de points de chaque nuage. Pour un aperçu du résultat, on peut lui préférer un calcul de médiane plus rapide donnant un résultat proche: la médiane rectilinéaire. Dans un espace où les distances correspondent au plus court chemin uniquement par déplacement vertical ou horizontal (distance rectilinéaire, dite «distance de Manhattan»), le point médian correspond à la médiane des coordonnées X et à celle des coordonnées Y du nuage de points. Si le nombre de points est impair, la médiane correspond au point partageant le nuage en deux nuages d’effectifs égaux; si le nombre de points est pair, la médiane correspond à la demi-somme des deux valeurs centrales. Bien qu’inadaptée à notre exemple, la médiane rectilinéaire fournit rapidement une bonne approximation de l’ECC médian.

5. Agrégations des figurés par le centrage des coordonnées (plugin Mapwindow)

c) Les objets agrégés sont affectés d’une valeur numérique correspondant au nombre d’objets qu’ils représentent. La figure 5 montre le résultat des trois types d’agrégations centrales appliqués à quatre objets-sources de forme circulaire représentant un même lieu. On observe que l’agrégation par la moyenne produit un objet fidèle à la forme des quatre objets-sources mais influencés en position et surface par l’objet-source extrême (objet de taille très inférieure et surtout très éloigné des autres); à l’inverse, le calcul par les deux médianes produit un résultat plus proche de la majorité des objets-sources en surface et en position mais légèrement différent sur le plan de la forme.

ECC moyen

Le principe de la moyenne est souvent utilisé pour agréger des données cognitives (Cauvin, 1984a; Kitchin, Fotheringham, 1997), mais uniquement sur des entités ponctuelles. Le procédé a été ici étendu aux géométries de type linéaire et surfacique.

L’espace cognitif moyen est révélé sous la forme d’une matrice cumulative appliquée à de nouvelles entités spatiales correspondant aux coordonnées moyennes de chaque lieu et qualifiées par leur fréquence de dessin (fig. 6). Chaque carreau de la matrice cumulative est valué par la somme des fréquences associées aux objets inclus (points, lignes ou polygones).

6. L’espace cognitif collectif moyen

Cet espace s’appuie sur une généralisation de la notion de centres moyens. Le centre moyen minimise la somme des distances euclidiennes élevées au carré entre lui et tous les points du nuage (Pumain, Saint-Julien, 2010). Il ne s’agit donc pas du point le plus accessible au sein du nuage. De plus, à l’instar d’une distribution statistique quelconque, le point moyen est sensible aux valeurs extrêmes et certaines précautions doivent être prises concernant l’agrégation par la moyenne des coordonnées. Les données doivent notamment présenter une cohérence élevée (Cauvin et al., 1998). En effet, un même lieu possède des localisations cognitives différentes chez chaque individu. Dans le cas d’une forte cohérence des réponses (faible dispersion des données), on aboutit à des résultats significatifs puisque l’objet moyen produit s’avère représentatif (disposé au centre du nuage), ce qui n’est pas le cas lorsque les données d’origine présentent une faible cohérence (dispersion importante des données). Lorsqu’il s’agit de points, cette cohérence peut être mesurée par les ellipses de variabilité (Gale, 1982) ou des mesures de dispersion géométrique comme la distance de Bachi (1962).

ECC médian

L’espace cognitif médian est révélé sous la forme d’une matrice cumulative appliquée à de nouvelles entités spatiales correspondant aux coordonnées médianes de chaque lieu et qualifiées par leur fréquence de dessin (fig. 7). Chaque carreau de la matrice cumulative est valué par la somme des fréquences associées aux objets inclus (points, lignes ou polygones).

7. L’espace cognitif collectif médian (médiane euclidienne)

Cet espace s’appuie sur une généralisation de la notion de point médian dont il reprend les propriétés. Les coordonnées X et Y du point médian sont identifiées de telle sorte qu’elles minimisent la somme des distances entre le point médian et tous les points du nuage. De ce fait, les formes résultantes sont insensibles aux coordonnées extrêmes des points du nuage.

Résultats

Résultats de l’agrégation

En dépit du faible effectif pris en compte dans l’expérimentation et de l’absence d’informations complémentaires sur les dessinateurs (notamment sur leurs pratiques spatiales), plusieurs remarques ou questions peuvent être formulées.

Ce qui frappe, c’est la ressemblance du fond de carte dessiné à main levée (notamment le contour de la France) avec ceux des manuels scolaires, des atlas ou des médias (fig. 8). Bien sûr, il ne s’agit pas d’une reproduction fidèle, mais il serait fort peu probable d’obtenir la même correspondance avec une acquisition de la connaissance spatiale réduite à l’expérience directe de l’espace. De plus, les dessins font très souvent apparaître des éléments qui ne sont observables que sur des cartes comme les limites des régions ou celles des départements. Notre première hypothèse semble se confirmer: les étudiants ont fait appel en grande partie à des souvenirs puisés dans les différents manuels de géographie ou à partir d’autres sources indirectes. Signalons que la méthode de collecte a placé les étudiants dans un contexte similaire à celui d’une évaluation [7], ce qui a pu solliciter davantage les connaissances livresques.

8. Nombre de lieux dessinés sur les croquis (agrégation des lieux par la médiane euclidienne)

Mais les cartes de synthèse expriment bien plus qu’une simple tentative de reproduction d’un modèle. Elles font en effet apparaître des variations dans la fréquence d’apparition des éléments sur les croquis (fig. 6, 7 et 8). Ces variations traduisent les choix auxquels ont procédé les étudiants au moment du dessin. S’il nous semble légitime de considérer que ceux-ci ne sont pas anodins, en l’absence de compléments d’informations, ces choix questionnent plus qu’ils n’apportent de réponses. Ces préférences s’expriment d’abord dans le type d’éléments dessinés (tableau 1). Avec 70% des 591 objets dessinés, les villes apparaissent comme un élément extrêmement présent dans les croquis (près de 14 villes en moyenne par étudiant). Faut-il y voir une aide à la structuration des dessins ou le simple effet de l’abondance de ce type de lieux en France? Contrairement aux régions, les départements sont peu représentés sur les croquis alors qu’ils sont 4 à 5 fois plus nombreux en France. Faut-il pour autant en conclure que cette division administrative du territoire est peu lisible? Mais, pour un même type d’objets, des facteurs difficiles à identifier semblent encore influencer les choix. C’est en particulier le cas à propos des régions (fig. 9) dont les tracés sont plus nombreux dans le quart nord-est de la France. Ces préférences ne pourraient-elles pas s’expliquer par l’attachement à la Picardie bien sûr mais aussi par l’effet de migrations résidentielles des étudiants eux-mêmes ou de leurs proches vers certaines régions privilégiées, en particulier l’Île-de-France et le Nord-Pas-de-Calais (fig. 9)? Notre seconde hypothèse sur le rôle de considérations personnelles dans le dessin des croquis serait alors confirmée.

9. Picardie et migrations résidentielles

Apports de la technique

Rappelons, tout d’abord, que le résumé d’un ensemble de formes dessinées est une opération que l’on peut tout à fait réaliser à partir d’un dépouillement manuel, mais la méthode d’agrégation présentée ici apporte la précision du résultat; le recours à l’informatique permet en outre une exécution rapide, voire quasi instantanée, des traitements. Ensuite, l’emploi des infrastructures cognitives agrégées apporte trois nouvelles informations par rapport à la cartographie informatisée des espaces cognitifs en commun:

Notons enfin que l’algorithme présenté peut tout à fait être appliqué à des éléments dessinés sur un fond de carte préexistant aux dessins si les notions de distance et d’orientation subjectives sont jugées inutiles à la synthèse cartographique.

Conclusion

La méthode de collecte des données que nous avons pratiquée s’appuie sur deux principes: celui, tout d’abord, de la page blanche comme support des croquis pour saisir de l’information sur les erreurs concernant les dispositions relatives des éléments dessinés; celui, ensuite, de la collecte d’une série de lieux considérés comme la structure élémentaire des espaces cognitifs individuels.

Ce type de source nous a permis de produire trois synthèses cartographiques aux propriétés différentes. Les trois approches se distinguent par l’interprétation des images produites. Habituellement, lorsque la donnée est collectée par croquis, c’est l’espace en commun qui est recherché pour résumer une information complexe sur la cognition spatiale du groupe. Cette forme de synthèse renvoie à des notions lourdes de sens pour le géographe comme les valeurs partagées par une communauté, l’interaction sociale sur un espace, l’appropriation d’un espace public… Pourtant, l’espace en commun, du point de vue de la cognition spatiale, est très réduit à cause de la variabilité très forte des distorsions et des métriques individuelles. Il est quasi impossible que la localisation d’un réseau, d’une frontière ou d’un lieu ponctuel soit partagée par un groupe si l’on prend en considération ces facteurs individuels. C’est pourquoi la collecte sur croquis est habituellement réalisée sur un ensemble de repères neutralisant les propriétés individuelles des espaces cognitifs. L’ECC en commun correspond alors à une juxtaposition de surfaces d’étendues suffisantes pour qu’une partie puisse apparaître en commun.

Pour leur part, les ECC centrés explorent une autre voie pour exprimer la synthèse. Il s’agit ici de montrer l’image d’un individu représentatif du groupe et qui accorderait plus ou moins d’importance aux lieux de son espace cognitif. Si des écarts très grands sont observés dans l’échantillon, l’ECC moyen ne pourra refléter correctement l’image du groupe; on lui préférera dans ce cas l’ECC médian insensible aux valeurs extrêmes. Surtout, cette méthodologie fondée sur l’identification d’espaces permet d’évaluer le rôle de chacun d’eux dans la représentation mentale d’un groupe d’individus.

Bibliographie

ANDRÉ Y. (1989). «Les cartes mentales». In ANDRÉ Y., BAILLY A., FERRAS G., GUÉRIN J.-P., GUMUCHIAN H., Représenter l’espace. Paris: Anthropos, 227 p. ISBN: 2-7178-1627-5

APPLEYARD D. (1970). «Styles and methods of structuring a city». Environment and Behavior, n° 2 (1), p. 100-117. doi: 110.1177/001391657000200106

BACHI R. (1962). «Standard distance measures and related methods for spatial analysis». Papers of the Regional Science Association, n° 10, p. 83-132. doi: 10.1111/j.1435-5597.1962.tb00872.x

BAILLY A. (1977). La Perception de l’espace urbain: les concepts, les méthodes d’étude, leur utilisation dans la recherche géographique. Paris: Sorbonne, thèse de doctorat, 800 p. (consulter)

BAILLY A. (1990). «Paysages et représentations». Mappemonde, n° 3, 3 p.

BELL P.A., GREENE T. C., FISHER J. D., BAUM A. (2001). Environmental Psychology. Fort Worth (Texas): Harcourt College Publishers, 634 p. ISBN: 0-15-508064-4

BILLINGHURST M., WEGHORST S. (1995). « The use of sketch maps to measure cognitive maps of virtual environments ». In Proceedings of virtual reality annual international symposium (VRAIS), p. 40-47. Los Alamitos (Californie): IEEE Computer Society Press, 276 p. ISBN: 0-8186-7295-1

BLADES M. (1990). «The reliability of data collected from sketch maps». Journal of Environmental Psychology, n° 10 (4), p. 327–339. doi: 10.1016/S0272-4944(05)80032-5x

BLASER A., EGENHOFER M. (2000). «A visual tool for querying geographic databases». In Proceedings of the working conference on Advanced visual interface. New York: ACM, p. 211-216. ISBN: 1-58113-252-2

BONNET E. (2004). «Risques industriels: les territoires vulnérables de l’estuaire de la Seine». Mappemonde, n° 76.

CASAKIN H., OMER I. (2008). «What Features and Structural Relationships make the Streets of Tel Aviv City being Legible? An Urban Design Perspective. From Negation to Negotiations – Solving the Puzzles of Development». In MAITI P., dir., Negation to Negotiations – Solving the Puzzles of Development. New Delhi: Pragun Publications, p. 375-391. (consulter)

CAUVIN C. (1984a). Espaces cognitifs et transformations cartographiques. Les conditions de la comparaison des espaces cognitifs: de la carte aux configurations. Exemples de l´espace urbain strasbourgeois. Strasbourg: Université de Strasbourg, thèse de doctorat, 303 p., micro-fiches à Lille n° 85 09 2134. (consulter)

CAUVIN C. (1984b). «Une méthode générale de comparaison cartographique: la régression bidimensionnelle». Travaux et Recherches. ERA 214 (CNRS), vol. 4. 130 p.

CAUVIN C., CHERNAI Z., DANILIDIS K. (1998). « Usagers et représentations cognitives de la ville: exemples à Strasbourg ». In REYMOND H., CAUVIN C., KLEINSCHMA-GER R., dir., L’Espace géographique des villes: pour une synergie multistrates. Paris: Anthropos, coll. «Villes», p. 301-348. ISBN: 2-7178-3704-3

EWING G.O. (1981). «On the sensitivity of conclusions about the bases of cognitive distance». Professional Geographer, n° 33 (3), p. 311-314. doi: 10.1111/j.0033-0124.1981.00311.x

FAUTEUX M. (1977). «Représentation de la ville». Cahiers de géographie du Québec, vol. 21, n° 52, p. 83-103.

FORBUS K., USHER J., CHAPMAN V. (2003). «Qualitative spatial reasoning about sketch maps». Proceedings of the Fifteenth Annual Conference on Innovative Applications of Artificial Intelligence. Acapulco, Mexico, 8 p. (consulter)

GALE N.D. (1982). «Some applications of computer cartography to the study of cognitive configurations». Professional Geographer, n° 34 (3), p. 313-321. doi: 10.1111/j.0033-0124.1982.00313.x

HIRTLE S. C., MASCOLO M. F. (1986). «The effect of semantic clustering on the memory of spatial locations». Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory and Cognition, n° 12 (2), p. 182-189. doi: 10.1037/0278-7393.12.2.182

HORAN M. (1999). «What Students See: Sketch Maps as Tools for Assessing Knowledge of Libraries». The Journal of Academic Librarianship, vol. 25, n° 3, p. 187-201.

KITCHIN R.M. (1996). « Methodological Convergence in Cognitive Mapping Research: Investigating Configurational Knowledge». Journal of Environmental Psychology, n° 16 (3), p. 163-185.

KITCHIN R., JACOBSON R. (1997). «Techniques to collect and analyse the cognitive map knowledge of persons with visual impairment or blindness: Issues of validity». Journal of Visual Impairment et Blindness, p. 360-376. (consulter)

KITCHIN R., BLADES M. (2002). The Cognition of Geographic Space. Londres, New York: I.B. Tauris, 241 p. ISBN: 978-1-86064-704-8

KITCHIN R., FOTHERINGHAM A.S. (1997). «Aggregation issues in cognitive mapping». Professional Geographer, vol. 49, n° 3, p. 269-280. doi: 10.1111/0033-0124.00076

LYNCH K. (1998). L’Image de la cité. Paris: Dunod. ISBN: 2-10-003716-1

MACEACHREN A. (1991). «The role of maps in spatial knowledge acquisition». Cartographic Journal, n° 28 (2), p. 152–162.
doi: 10.1179/000870491787859223

MATEI S.A., BALL-ROKEACH S.J., QIU J.L. (2001). «Fear and misperception of Los Angeles urban space: A spatial-statistical study of communication-shaped mental maps». Communication Research, n° 28 (4), p. 429-463. doi: 10.1177/009365001028004004

MATTHEWS M.H. (1984). «Cognitive maps - A comparison of graphic and iconic techniques». Area, vol. 16 (1), p. 33-40.

NEWCOMBE N. (1985). «Methods for the study of spatial representation». In COHEN R., dir., The Development of spatial cognition. Hillsdale, NJ: Lawrence Erlbaum Associates, p. 277-300. ISBN: 0-89859-543-6

OKAMOTO K., OKUNUKI K.I., TAKAI T. (2005). «Sketch map analysis using GIS buffer operation». In FREKSA C. et al., dir. Spatial Cognition IV. Berlin, New York: Springer, coll. «Lecture Notes in Computer Science», p. 227-244. ISBN: 978-3-54025-048-7

POCOCK D.C.D. (1976). «Some characteristics of mental maps: an empirical study». Transactions of the Institute of British Geographers, New Series, vol. 1, n° 4, p. 493-512. doi: 10.2307/621905

PUMAIN D., SAINT-JULIEN T. (2010). Analyse spatiale. Les localisations. Paris: Armand Colin, coll. «Cursus. Série Géographie», 190 p. ISBN: 978-2-200-25462-9

RAMADIER T., BRONNER A.C. (2006). «Knowledge of the environment and spatial cognition: JRS as a technique for improving comparisons between social groups». Environment and Planning B: Planning and Design, vol. 33, n° 2, p. 285-299. doi: 10.1068/b3248

ROBINSON W.S. (1951). «A method for chronologically ordering archaeological deposits». American Antiquity, vol. 16, p. 293-301.

ROULIER F. (2006). «Cognition spatiale et invasion biologique en forêt de Compiègne: analyses à l’aide d’un SIG». Mappemonde, n° 84.

ROULIER F. (2009). «Une méthode pour agréger les localisations cognitives: les moyennes sur listes chaînées de points». Cybergeo, article n° 476.

SAARINEN T.F., MCCABE C.L. (1995). «World patterns of geographic literacy based on sketch map quality». Professional Geographer, n° 47, p. 196-204. doi: 10.1111/j.0033-0124.1995.00196.x

SUDAS I. (2012). «Cognitive maps of Europe: geographical knowledge of geography Turkish students authors». European Journal of Geography, vol. 3, n° 1, p. 41-56. (consulter)

TOBLER W. (1994). «Bidimensional regression». Geographical Analysis, vol. 26, n° 3, p. 187-212.
doi: 10.1111/j.1538-4632.1994.tb00320.x

http://www.mapwindow.org/
D'autres moyens peuvent être employés pour collecter les connaissances spatiales d'un individu. La MDS (MultiDimensional Scaling, analyse multidimensionnelle des proximités) est une méthode statistique qui, appliquée à un tableau de distances estimées entre lieux, permet de reconstituer la carte mentale correspondante. De même, les tâches de modélisation de l'espace permettent à un sujet de reconstituer ses connaissances spatiales par la construction d'une maquette à l'aide d'objets figurant des bâtiments, des réseaux, etc. (Ramadier, Bronner, 2006).
J'adresse à cet égard mes remerciements aux étudiants de la promotion 2010-2011 pour leur participation à ce test.
Il s'agit dans ce cas d'un ajustement de points images (localisations subjectives) sur leurs homologues d'un référentiel géographique (localisations objectives). La régression bidimensionnelle applique une rotation, une translation et une mise à l'échelle des points images pour un ajustement «au plus prêt» sur le référentiel.
Référentiel NTF Lambert II étendu.
Du point X minimum, Y minimum au point X maximum, Y maximum.
La collecte des données a été réalisée à l'occasion d'un cours de cartographie.
Le plugin MapWindow n'exporte pas pour l'instant les résultats de chaque tracé avant le calcul des valeurs centrales. Nous renvoyons par ailleurs le lecteur aux travaux de Waldo Tobler (1994) et de Colette Cauvin (1984b, 2002) pour une présentation de la régression bidimensionnelle.