N°100

Aix-en-Provence: étude chrono-chorématique

Dossier Chrono-chorématique urbaine

Avertissement
Cette étude de cas s’inscrit dans le cadre du dossier thématique «Chrono-chorématique urbaine». Pour la démarche d’ensemble, voir l’article «E pluribus urbibus una: modéliser les trajectoires de villes». Pour le mode d’emploi, voir l’article «Une frise-modèle du temps long urbain».

La présentation de l’histoire de l’espace urbain d’Aix-en-Provence respecte le protocole des présentations d’études de cas. Les informations résumées par un document principal indiqué dans la première colonne («carte») sont schématisées dans la colonne suivante. Inversement le modèle général de l’épisode qui sert de référent est repris dans la dernière colonne («épisode»). Compte tenu des types de villes dans lesquels on peut ranger Aix-en-Provence, tant par la topographie (ville de pied de montagne) que par la fonction dans le réseau urbain (colonie romaine dans la première phase), l’avant-dernière colonne («chorotype(s)») présente une combinaison de chorotypes qui rend plus particulier le modèle général de l’épisode. Cependant, les schémas (deuxième colonne) et les combinaisons de chorotypes (quatrième colonne) ne coïncident pas totalement. Il faut tenir compte des contraintes transhistoriques de site et de situation, ainsi que des héritages des épisodes antérieurs (sauf évidemment lors de la première phase) pour passer de l’un à l’autre. Ainsi la forme d’Aix-en-Provence «s’écrase-t-elle» au nord contre les contreforts de la montagne Sainte-Victoire dès la période augustéenne. Puis elle s’étire vers le sud, en raison de l’attraction de la métropole phocéenne dès la fin du Moyen Âge. Si on lit de gauche à droite, on a donc une généralisation: Aix-en-Provence devient une ville comme une autre dans l’épisode pris en compte. Si on lit de droite à gauche, on participe à une spécification: Aix-en-Provence prend progressivement ses traits uniques, tout en restant bien de son époque.

La trajectoire d’Aix-en-Provence est retracée selon huit phases successives. La confrontation de la colonne des chorotypes avec la frise des modèles généraux montre un rythme spatio-temporel quasi similaire (huit épisodes de chorotypes entre l’Antiquité et le XXe siècle), mais le travail de schématisation et de simplification a nécessité de regrouper plusieurs phases représentées par les cartes initiales, en particulier les phases D et E.

La lecture cumulée rend compte des permanences comme l’axe routier reliant la vallée du Rhône à l’Italie (via Aurelia), puis l’axe Paris/Marseille à partir du XIXe siècle. Elle rend également compte de l’émergence de phénomènes généraux comme la christianisation de l’espace, le poids de l’enceinte urbaine dans l’identité urbaine médiévale ou encore la spécification des espaces économiques ou sociaux avec l’arrivée du chemin de fer.

Des contingences locales interviennent également dans la chronologie telle que, dans la phase A, l’existence de l’agglomération gauloise salyenne d’Entremont et la probable nécessité de la contrôler, ou encore, pour le même épisode, le rôle de la source d’eau chaude dans l’implantation de la ville, source sans doute réputée avant même la fondation de la ville en 122 avant notre ère (Nin et al., 1994). Cette phase A ressortit d’un autre modèle que celui de la frise théorique car Aix-en-Provence est une colonie romaine pourvue d’une enceinte dès le Haut-Empire.

Pour autant, la phase B rejoint l’épisode 3 de la frise théorique même si l’on ne sait pas encore quelle est l’ampleur de la mise en défense: le mur du Haut-Empire a-t-il été réparé en dépit de la grande superficie qu’il englobe ou une nouvelle fortification de périmètre plus réduit a-t-elle été aménagée (Guyon et al.,1998)? Toujours est-il que l’on observe une forte rétraction de l’espace qui s’opère ici à l’intérieur de l’enceinte antique et une lente christianisation de l’espace urbain qui maintient les espaces funéraires à l’extérieur de l’enceinte antique. Le complexe épiscopal pourrait avoir été déplacé, autour de 500 av. J.-C., de la porte occidentale — là où se situera plus tard Notre-Dame de la Seds — vers l’ancien forum (Heijmans, Guyon, 2006).

À la phase C, le chorotype diffère de nouveau de l’épisode théorique pour se rapporter au modèle de ville double, connu en d’autres villes (Tours et Poitiers). Il met en exergue la complexité des liens entre les pouvoirs territoriaux et les dominations qu’il suppose sur la ville et ses habitants, par la juxtaposition de deux agglomérations pourvues de leur propre enceinte; l’une relevant de l’évêque et l’autre du comte (Nin et al., 1994). La situation complexe du politique se retrouve aussi dans l’absence de hiérarchisation des routes menant vers d’autres localités provençales; cette absence de hiérarchisation des sorties/entrées de ville témoigne aussi du poids des relations qui s’exercent d’abord à l’échelle régionale.

Résidence d’hiver des comtes de Provence, la ville devient ville d’État en 1471, sous le roi René, avec l’implantation d’une résidence royale et l’institution d’une chambre des comptes. En 1481, lors de la réunion du comté de Provence à la France, la fonction judiciaire est maintenue et cette fonction s’accentue à la phase F avec la formation, au sud de la ville, d’un quartier réservé aux gens de robe (Nin et al., 1994).

Aix-en-Provence échappe largement à l’industrialisation tirée localement par l’activité portuaire marseillaise. La phase G montre néanmoins des traits de la ville de la période industrielle. Certes, la voie ferrée est modeste et ne tire pas outre mesure la ville vers le sud, sans produire de quartier industriel dans la vallée de l’Arc. Mais la fonction étatique, forte d’un ample héritage de l’Ancien Régime (la ville des États de Provence), ponctue le paysage urbain de quelques importants bâtiments (Nin et al., 1994). La ville ne connaît pas, cependant, l’extension qu’ont connue beaucoup d’agglomérations de même rang au XIXe siècle.

Avec le tout automobile (phase H), les choses changent de vitesse et de taille. La ville s’étend et, en fait, est progressivement incluse dans une grande conurbation marseillaise. Si la voie ferrée Paris-Nice l’avait ignorée, ce n’est plus le cas de l’autoroute du Soleil, qui représente dorénavant une barrière solide au Sud, alors que la contrainte du relief bloque toujours l’extension au nord-est. La diffusion en direction du centre marseillais est accentuée par l’établissement de la gare TGV. De plus en plus, Aix-en-Provence est plutôt à considérer comme un quartier embourgeoisé d’une vaste agglomération que comme une ville autonome.

L’épisode 1 de la frise théorique n’est pas présent dans la trajectoire d’Aix-en-Provence, malgré la présence de l’agglomération d’Entremont à 4 km au nord. C’est qu’il faudrait, sans doute, intégrer les chronologies du Midi de la France avec l’implantation des comptoirs grecs et la conquête de la Transalpine. Aix-en-Provence est, en effet, fondée en 122 avant notre ère et non au moment de la Conquête par César. Les lacunes de l’information ne permettent guère encore de comprendre l’impact de cette première urbanisation sur le développement de l’espace urbain, même si l’appellation de «la ville où sont les eaux sextiennes (Aquae Sextiae)» suppose des aménagements autour des sources.

À l’exception des phases A et B, la confrontation entre les chorotypes et la frise générale montre enfin le développement d’une ville en deçà des modèles généraux. Est-ce dû au biais introduit par la modélisation qui cumule les potentialités? Est-ce le reflet d’un essor urbain, longtemps étouffé par une fragmentation importante du Sud-Est de la France en de multiples cités? Pour Aix-en-Provence, pourrait-on aussi s’interroger sur l’impact de la proximité de Marseille, comptoir grec dont la fondation remonte au Ve siècle avant notre ère? Car celle-ci demeure la grande ville, par sa démographie, son économie et son rayonnement spirituel (que l’on pense à l’importance d’une abbaye comme Saint-Victor), et ce malgré le statut politique supérieur d’Aix-en-Provence durant le Bas-Empire et le Moyen Âge.

Sources

GUYON J., NIN N., RIVET L., SAULNIER S. (1998). Atlas topographique des villes de Gaule méridionale. 1. Aix-en-Provence. Montpellier: Association de la revue archéologique de Narbonnaise, coll. «Revue archéologique de Narbonnaise. Suppléments 30», 313 p.

NIN N., GUYON J., RIVET L., CNAU (1994). Aix-en-Provence. Paris: Association pour les fouilles archéologiques nationales, col. «Documents d’évaluation du patrimoine archéologique des villes de France», 187 p., 16 plans. ISBN: 2-906796-17-4
IGN (2008). Aix-en-Provence, cartes 1/80 000e et 1/25 000e. Géoportail. Phases G et H.

Bibliographie

La bibliographie générale se rapportant à l’ensemble du dossier «Chrono-chorématique urbaine» est accessible et téléchargeable ici.

Ce débat s’est enrichi récemment d’une nouvelle question: celle des modalités d’intégration des tours dans la «ville durable». Dévoreuse d’énergie, d’air et de lumière pour les uns, la tour est pour les autres, un modèle à suivre face à l’extension urbaine et à l’utilisation de l’automobile, d’autant plus que des tours «Haute Qualité Environnementale» voient maintenant le jour.
Emporis propose deux bases de données en libre-accès, de nature différente. La première recense les 200 plus hauts gratte-ciel du monde: bien entendu, la hauteur minimale (237 m en 2009) et maximale dans la base ne cesse d’évoluer à mesure que les records sont battus: il n’est donc pas possible d’analyser tous les gratte-ciel ou tous ceux qui dépasseraient une hauteur choisie. La seconde base de données fournit le nombre de grands immeubles pour les 20 premières villes «actives» (c’est-à-dire dans laquelle des gratte-ciel sont construits) de chaque pays. Cette base est donc également incomplète puisqu’il y a au Brésil ou aux États-Unis plus de 20 villes qui comptent des immeubles de haute taille.
Les termes en anglais sont high-rise building et skyscraper et les définitions sont données sur le site Emporis.
Cette image qui affirme la puissance et la «fécondité» des entreprises, voire le pouvoir individuel des entrepreneurs (Jian, 2007), associée à la forme particulière des constructions permet bien évidemment à certains, invoquant une dimension psychanalytique, de souligner l’aspect phallique des gratte-ciel (McNeil, 2005).
L’absence étonnante de Londres s’explique par la hauteur minimale de 237 m (One World Plaza, New York, 1989) dans cette base recensant les 200 plus hauts gratte-ciel en 2009. One Canada Square, la plus haute tour du Royaume-Uni, n’a «que» 235 m de haut.
La diffusion, et la répartition des grands immeubles, est intéressante dans la mesure où elle permet de souligner la diffusion mondiale de ce modèle architectural occidental (McNeil 2005) même si c’est sous des formes plus modestes.
Trantor, ville planète imaginée par Isaac Asimov (1920-1992)
Coruscant, la planète-cité du cycle cinématographique de la Guerre des étoiles de Georges Lucas.
Ou presque: c’est bien entendu l’objet du roman.