N°100

Poitiers: étude chrono-chorématique

Dossier Chrono-chorématique urbaine

Avertissement
Cette étude de cas s’inscrit dans le cadre du dossier thématique «Chrono-chorématique urbaine». Pour la démarche d’ensemble, voir l’article «E pluribus urbibus una: modéliser les trajectoires de villes». Pour le mode d’emploi, voir l’article «Une frise-modèle du temps long urbain».

La ville est implantée depuis 2000 ans environ à un point de rupture de charge du Clain, une rivière secondaire du bassin de la Vienne; elle ne s’affranchit de son site naturel qu’à partir du XIXe siècle.

Le vaste promontoire de confluence (250 ha), resserré au sud, descend en pente douce vers l’est. Le cours méandreux du Clain à l’est et celui marécageux de la Boivre à l’ouest sont bordés de falaises abruptes que l’on franchit par d’anciens talwegs.

En retrait de la façade atlantique, la ville, d’abord en marge de l’Empire romain, tire parti de sa position géographique, au centre d’un couloir nord-sud (seuil du Poitou), à partir des royaumes mérovingiens. Cette situation est renforcée, au XVIIIe siècle, avec les routes royales Paris-Bordeaux et Paris-La Rochelle que doublent ensuite le chemin de fer, l’autoroute et le TGV. Longtemps à la tête d’un vaste territoire, elle s’inscrit dans un réseau d’agglomérations régionales et de capitales voisines.

L’oppidum

L’oppidum de Lemonum est cité par César en -51 de notre ère; il pourrait être un centre de pouvoir du peuple Picton, mais les indices archéologiques manquent encore pour le certifier (Favreau, 1985).

Phase A — Une ville ouverte de l’Antiquité

Chef-lieu d’une vaste cité qui englobait les départements actuels de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée, la ville relève du premier réseau urbain gaulois. Elle se développe surtout au Ier siècle de notre ère à partir des règnes d’Auguste et de Tibère. Sa fonction est celle d’un centre politique, relais de l’administration impériale (Favreau, 1985).

Le bâti se déploie largement sur l’ensemble du promontoire, et atteint à la fin du Ier siècle plus de 180 ha (Boissavit-Camus et al., 1992). L’équipement monumental est considérable; sur le haut du plateau, les édifices publics de prestige et les principales activités économiques de service sont répartis sur plus de 1 300 mètres, de part et d’autre de l’axe routier Nord-Sud. Le versant oriental est plus résidentiel. Cinq nécropoles marquent les principales entrées de la ville et les tombes côtoient ici ou là des activités artisanales (Hiernard, 1987).

Phase B — Une cité enclose des premiers temps chrétiens

Une enceinte, construite dans le cadre d’un programme impérial de mise en défense des cités gauloises, englobe près de 43 ha sur le versant oriental, privilégiant un quartier résidentiel et artisanal situé à proximité de la rivière et délaissant les axes routiers et l’ancien secteur public dont les édifices servent de carrière.

On ne sait pas encore si la diminution de la surface urbanisée, qui débute dès la fin du IIe siècle, est due à une superficie surdimensionnée par rapport au nombre d’habitants ou reflète un resserrement du bâti; le processus se poursuit jusqu’au VIe siècle à l’intérieur de la cité aussi (Boissavit-Camus, 2001). Celle-ci abrite le siège des pouvoirs politique et religieux, sans doute une forme d’administration urbaine, et les membres de l’aristocratie locale. L’évêque, qui, en 380, devient aussi un officier impérial, s’installe, non loin d’un axe majeur, dans la partie basse, habitée par des artisans et des notables. Ici, le bâti reste dense sur 10 ha au moins; des bâtiments antiques sont réaménagés, d’autres construits en matériaux périssables. L’Église poitevine et le monastère féminin fondé avant 557 par la reine Radegonde constituent progressivement de grandes propriétés à l’intérieur des murs.

La période est marquée par la diffusion du christianisme et son institutionnalisation, mais l’espace ne se christianise que lentement: les premiers édifices chrétiens sont construits à la fin du IVe siècle et au Ve siècle. Avant le VIIIe siècle, en dehors du groupe épiscopal, six édifices sont attestés pour l’ensemble de la ville (Boissavit-Camus, 1998). Ce parc monumental, que l’on considère avec l’enceinte comme la nouvelle parure urbaine, est sans doute sous-estimé car on perçoit mal l’ampleur des fondations laïques.

Dans la périphérie (suburbium), aucun ancien îlot antique ne semble conservé, peut-être en raison de la taille de la cité. La construction d’une basilique sur le tombeau d’Hilaire, le fondateur de l’Église poitevine vers 350-352, prolonge à ses marges la principale nécropole antique. La desserte du culte de ce saint, sans doute organisée par l’un des successeurs d’Hilaire, et celle des pèlerins, par une communauté de clercs dès le VIe siècle, engendrent un nouveau noyau urbain, distinct de la cité.

La plupart des nécropoles antiques disparaissent au profit de nouveaux petits cimetières situés aux pieds de l’enceinte, parfois associés à une basilique; ils traduisent une occupation funéraire diffuse et une gestion de la mort encore privée, familiale, communautaire ou clientéliste. La présence de quatre lieux d’inhumations, brièvement utilisés, dans la cité est encore inexpliquée (faible densité du tissu urbain, épidémie, attraction de la cathédrale, présence de communautés étrangères?). Avec l’imbrication croissante des tombes, de l’habitat et des activités dans le secteur de Saint-Hilaire, ces cimetières témoignent d’une nouvelle attitude envers les défunts.

Phase C — Une ville multiple et polynucléaire

Au début du XIIe siècle, Poitiers est renommée pour ses princes, son clergé et ses écoles, sa forte population et ses nombreuses tours qu’évoquent encore les tours-porches des églises romanes. On ne connaît pas de conflits notables entre les puissances qui se partagent son territoire, probablement parce que, dès le VIIIe siècle, la ville est aussi la capitale du duché d’Aquitaine, une principauté importante. Cette dynastie se stabilise au IXe siècle (Favreau, 1985), et le château, siège politique, militaire et de l’administration, se fixe au sommet du promontoire, dans un secteur réinvesti à partir du VIIe siècle (Boissavit-Camus 2001). Dès le Xe siècle, à l’instar des grandes fondations impériales, le complexe monumental château/collégiale contrôle l’une des principales portes et la rue marchande — la Grande Rue.

Les processus amorcés s’amplifient, mais apparaît une nouvelle vision de l’entité urbaine. Dans les textes, les termes de cité (civitas) et de faubourg (suburbium) distinguent encore, aux IXe et Xe siècles, la cité de sa périphérie comme deux entités; en 1062, l’expression «toute la ville» (tota villa) suggère une perception plus homogène (Favreau, 1978). Au XIIe siècle, la ville rassemble des espaces au tissu urbain sans doute déjà dense et organisé, avec rues et carrefours, une périphérie proche avec des bourgs franchisés à peupler encore peu lotis et une périphérie plus lointaine (banleugam, Favreau, 1978). La construction de ponts facilite la circulation entre le promontoire et les plateaux. À l’extérieur des murs, la dispersion des églises, des établissements religieux, des marchés et des foires dessine aussi une large étendue urbaine englobant le promontoire, ses deux vallées et les cueilles (hauteurs des plateaux environnants).

La création des bourgs extérieurs suggère un accroissement de la population (Favreau, 1985), au sein des anciens noyaux de Saint-Hilaire et de Sainte-Radegonde et autour des nouveaux établissements de Saint-Cyprien et de Montierneuf. Les plus anciens sont fortifiés au cours du Xe siècle (castellum sancti Hilarii, castrum sancti Radegundis) afin de protéger les basiliques saintes et les quartiers développés alentour. Le castrum sancti Hilarii englobe ainsi église, habitations des chanoines, maisons, tours, terres et vignes. Sa construction traduit aussi la puissance de l’abbaye qui domine un vaste territoire, jouit d’immunités judiciaires et fiscales, confirmées en 768 et étendues en 834 aux hommes qui le servent, à ses églises et à ses futurs domaines (Favreau, 1978). Pour autant ce nouveau castrum n’a pas concurrencé la cité, sans doute en raison d’un pouvoir politique local fort, les comtes-ducs étant aussi les abbés laïcs de Saint-Hilaire.

La famille comtale et son entourage, l’évêque et son chapitre fondent de nouveaux établissements (abbayes et chapitres) à l’intérieur de la cité, le long de l’enceinte et non loin du complexe épiscopal, et, à l’extérieur, le long des axes routiers, dans la vallée du Clain aux sorties vers Bourges/Limoges et Tours. Avec les établissements fondés au VIe siècle, ce sont des seigneurs ecclésiastiques importants qui possédent de grands enclos urbains.

L’économie est marquée par les investissement dans la pierre et le commerce de produits de luxe, dont témoignent quelques vestiges architecturaux et sources écrites.

Entre le Xe siècle et le milieu du XIIe siècle, d’anciens édifices cultuels sont transformés et de nouveaux sont construits pour la desserte paroissiale. Si la plupart des cimetières sont situés à proximité de l’église, le rapprochement topographique semble avoir été relativement lent: dans la cité, les premières tombes retrouvées près de l’église Notre-Dame-la-Grande, fondée vers 920, sont datées par 14C entre le début du XIe siècle et le premier quart du XIIe siècle.

Phase D — Une ville réunie puis une ville de la Contre-Réforme

Avec la réunion du comté à la couronne en 1204, Poitiers redevient une simple capitale régionale, sauf pendant la guerre de Cent Ans où elle est capitale judiciaire du royaume de Bourges. Populeuse avec ses 29 paroisses, ses nombreux établissements religieux, ses gens de lois et une université classée juste après celle de Paris dans l’Atlas de Mercator (1595), elle reste renommée jusque vers 1630. Sous le long principat de Jean de Berry, de nombreux chantiers renouvellent le paysage architectural. Jusque vers le milieu du XVIIe siècle, la ville conserve un certain dynamisme économique, on observe ensuite un net recul démographique; au XVIIIe siècle, elle passe du 15e au 30e rang des villes françaises (Favreau, 1985; Andrault, 2003).

Une nouvelle enceinte est construite par les Plantagenêt vers 1161, englobant tout le promontoire, avec ses bourgs, ses marchés et ses établissements religieux. Le mur, dont la défense est renforcée par les cours d’eau, mesure 6,5 km. Le contrôle de l’entrée nord est déplacé au début du XIIIe siècle à la confluence, avec une forteresse militaire dont, au XVe siècle, Jean de Berry fit sa résidence, au détriment du château désormais dévolu à l’administration comtale. À l’intérieur, l’ancien dédoublement persiste car le tissu urbain reste compact. Il déborde progressivement l’enceinte du Bas-Empire, formant une auréole, au nord vers l’abbaye de Montierneuf, et au sud vers le Marché Vieux (actuelle place du Mal Leclerc).

L’entité communale émerge vers 1138; à la suite de la construction de l’enceinte, les habitants assurent la défense de la ville et obtiennent une charte communale vers 1170, confirmée par Aliénor d’Aquitaine en 1199 (Favreau et al., 2002). L’échevinage se fixe en dehors de l’ancienne cité, entre le Marché Vieux et le Marché Neuf (actuelle place de la Liberté), dans les nouveaux quartiers.

À proximité, on trouve le Minage, l’hôtel de la prévôté, les Grandes Boucheries, divers marchés spécialisés et les Halles et de nouveaux établissements religieux vers le Vieux Marché. Les nouvelles paroisses, les nombreux marchés et la construction d’hôtels bourgeois aux XVe et XVIe siècles (Favreau, 1985) témoignent du dynamisme démographique et économique du sommet du promontoire qui après une interruption de près de 1000 ans retrouve une position économique et politique centrale. La désaffectation de la première enceinte libère, de part et d’autre du mur, des espaces où s’installent les couvents des ordres mendiants et de nouveaux bourgs, au cours des XIIIe et XIVe siècles. Les rôles d’imposition de la fin du Moyen Âge situent d’ailleurs les quartiers aisés sur le haut du plateau et les plus modestes dans les bas quartiers où, si un port et un marché subsistent en bas de la Grande Rue, ce secteur perd de son poids économique. La vocation économique des vallées se renforce avec l’installation de nombreux moulins et la transformation des marais de la Boivre en étangs par les moines de Saint-Hilaire. Au XVIe siècle, la ville est une ville consommatrice de masse, en particulier de produits de luxe (Favreau, 1985). Le versant est dominé par les religieux, mais on ne peut, toutefois, parler de spécialisation totale, en raison de la présence de quartiers relativement peuplés, comme le quartier juif (vers l’actuelle rue Arsène-Orillard) s’étalant le long des rues.

La ville, mise sous tutelle en 1675, passe sous l’emprise de gouverneurs royaux sans grandes ambitions et sans le soutien financier de la bourgeoisie locale qui supporte mal la nouvelle fiscalité royale. Poitiers devient un bastion de la Contre-Réforme catholique. Le quart sud-est du promontoire, l’espace entre la ville et Saint-Hilaire et le rebord occidental du plateau étant encore peu bâtis, les terrains sont récupérés au XVIIe siècle pour de nouveaux établissements religieux, dont plusieurs ordres féminins. L’implantation des Jésuites et des Ursulines renforce la place de l’enseignement (Andrault, 2003).

Au début du XVIIIe siècle, la ville présente une organisation spatiale proche de la plupart des villes, avec une couronne périphérique de grands couvents, à ceci près que, du fait de l’ampleur de l’enceinte, les couvents y sont à l’intérieur. Du point de vue économique et social, elle semble en deçà des villes de son rang, sans embellissements ni développement économique, vivant de ses fonctions administratives, judiciaires et de la présence religieuse; pour Colbert, c’est l’archétype de la ville non industrieuse et fainéante (Favreau, 1985).

Phase E — Une ville administrative et militaire (1770 – 1945)

Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, Poitiers devient une ville de garnisons. De nouvelles préoccupations urbanistiques (hygiène, ordre, espace et lumière) auxquelles ne répondent plus le tissu et le bâti médiéval, sont portées par quelques personnalités comme l’intendant Blossac. En 1790, la ville devient simple chef-lieu du département. Aux administrations municipales et de l’État, il faut ajouter la cour d’appel et un enseignement, privé et public, secondaire et supérieur, notable (Favreau, 1985).

Elle reste l’une des villes les plus peuplées du Centre-Ouest, mais sa population croît moins vite que dans le reste de la France, atteignant 41 500 habitants en 1911, et encore grâce à la présence des militaires (Favreau, 1985). Les faubourgs et écarts se développent plus vite que le centre ancien, mais la ville déborde très progressivement le promontoire. Après 1870, les deux casernes, construites en 1785 en centre-ville, sont déplacées sur les plateaux environnants, engendrant de nouveaux quartiers.

Au XVIIIe siècle, les travaux d’aménagement de la route royale, reliant Paris à Bordeaux et à La Rochelle, se heurtent à l’étroitesse des rues de la vieille ville et au verrou constitué par les fortifications situées à la confluence. La destruction des remparts urbains permet la création d’un boulevard périphérique contournant le promontoire (Favreau, 1985). La route royale passe à l’ouest, dans l’ancienne vallée de la Boivre. Le chemin de fer double cet axe à partir de 1851.

Sur le promontoire, le bâti relie définitivement les deux anciens noyaux de Saint-Hilaire et de l’ancienne cité, mais ce n’est qu’en 1864-1868 qu’est réalisée, autour de l’ancienne place du Vieux Marché, une opération urbanistique de type haussmannien, avec déplacement du centre politique et administratif et construction de bâtiments de sociabilité (théâtre, cafés). Une perspective est-ouest aligne les édifices de l’hôtel de ville et de la préfecture avec la gare en contrebas. Quelques opérations de lotissement privées sont aussi réalisées au sud, vers le bourg de Saint-Hilaire. Le quartier commerçant reste localisé entre cette nouvelle place et le vieux centre médiéval, mais un autre se développe aux alentours de la gare (Favreau, 1985).

Avant la Révolution, les enclos religieux gelaient une grande superficie, empêchant le désenclavement du centre ancien. Le Pont-Neuf, construit en 1776, butait ainsi sur l’enclos de la puissante abbaye Sainte-Croix. Ce sera le premier dépecé pour ouvrir la rue Jean-Jaurès. Le conflit à propos de la destruction du baptistère Saint-Jean est aussi révélateur des débuts de la patrimonialisation, qui ne concerne encore que les monuments.

Si le quartier de la gare concentre quelques activités, les boulevards ne fixent guère le siège d’établissements industriels. De façon générale, la ville s’industrialise peu (Favreau, 1985). La population se compose surtout de fonctionnaires, de militaires, d’une petite noblesse terrienne et d’une population modeste constituée de domestiques et de saisonniers qui habitent en ville, mais louent leurs services dans les communes voisines, encore très rurales. Certaines femmes travaillent à domicile. La sectorisation sociale est peu marquée, même si l’on retrouve la population plus aisée sur les hauteurs ou dans les nouveaux quartiers du centre-ville, et la population plus modeste sur les pentes, dans les faubourgs ou autour du quartier de la gare (Favreau, 1985).

La laïcisation de l’espace urbain touche aussi l’organisation religieuse et les édifices de culte: les 24 paroisses sont réduites à 6 à la Révolution. Trois nouveaux cimetières municipaux marquent les principales sorties et la limite urbaine.

Phase F — Une capitale régionale (de 1945 - à nos jours)

Poitiers devient capitale régionale en 1972. Les activités urbaines restent dominées par les fonctions tertiaires et de service de centre administratif, d’enseignement et de santé. La fonction militaire s’efface progressivement.

L’agglomération a désormais absorbé l’ensemble des communes environnantes et la rurbanisation des communes rurales un peu plus éloignées s’est accentuée depuis une trentaine d’années. La communauté d’agglomération de Poitiers (CAP) rassemblait 130 710 habitants en 2006 (Royoux et al., 2009). L’espace urbain, de 25 000 ha en 2008, reste dissymétrique, en raison de la localisation des grands axes de circulation (TGV, autoroute, aéroport) à l’ouest, et peut-être d’une désaffection du secteur de la gare après les bombardements de 1945.

La position sur l’axe Paris/Sud-Ouest et Espagne demeure un facteur favorable, mais n’affecte plus directement l’organisation spatiale, ce qui n’est pas le cas de la transversale Limoges/Nantes. La ville reste un passage obligé pour les liaisons est-ouest, en particulier pour le désenclavement du Limousin, avec la future liaison TGV Limoges/Poitiers.

À partir des années 1960, l’extension urbaine touche l’ensemble des plateaux environnants, et un transfert de la population s’opère vers les nouveaux quartiers au détriment du centre-ville. De nouvelles percées, comme la pénétrante et les rocades extérieures desservent peu à peu les nouveaux quartiers, et désengorgent le centre-ville, facilitant les liaisons entre les grands axes routiers.

Après 1978, la mairie socialiste pratique une politique volontariste de mixité sociale, alternant immeubles et zones pavillonnaires, insérant sites culturels et sportifs dans les quartiers périphériques. La ville ne présente toujours pas de sectorisation sociale très marquée, même si les populations aisées sont plus présentes dans le secteur sud du promontoire, urbanisé au XIXe siècle et très récemment sur le quartier de Chilvert au sein de Poitiers-Sud et le long des coteaux en amont et en aval des cours d’eau. La ZUP des Couronneries, commencée en 1965 présente une population assez mélangée, marquée par le renouvellement des arrivants.

À l’exception des sièges de pouvoir, administrations, établissements de santé et d’enseignement — dont l’université en 1971 — sont peu à peu déplacés vers la périphérie. Ce mouvement reste d’actualité avec le projet de cité judiciaire. Désormais la partie poitevine de l’université de Poitiers compte trois sites: le Centre-ville (5 000 étudiants), le Campus (16 000 étudiants), le Futuroscope (1 000 étudiants) (Royoux et al., 2009).

La patrimonialisation s’étend maintenant à tout l’ancien centre, la ville comprend de nombreux monuments médiévaux et Renaissance, mais aussi un bâti civil ancien, souvent masqué par les enduits ou aux façades refaites lors des plans d’alignement successifs. Le centre-ville a conservé une forte vocation culturelle et touristique grâce à un équipement culturel renouvelé (Conservatoire régional de musique, maison de la Culture, Musée, Espaces Pierre-Mendès-France, Médiathèque, Théâtre auditorium de Poitiers, complexe cinématographique).

Les zones commerciales et économiques se sont développées d’abord le long de l’axe routier Paris/Bordeaux puis auprès des rocades desservant les nouveaux quartiers. Après une polarisation vers la sortie nord de l’autoroute, un recentrage s’est effectué, ces dernières années, vers l’entrée sud. Il témoigne du net développement de ce côté de la ville, mais reflète aussi sans doute la position septentrionale de la ville dans le réseau urbain régional. Malgré la disparition des commerces de bouche et l’existence de grandes aires commerciales extérieures, la zone commerçante du centre-ville se maintient, renforcé par la création récente d’une galerie marchande.

La municipalité encourage un développement économique diffus, avec de petites zones d’activité insérées au sein de l’habitat. La faible industrialisation passée de la ville et l’absence de grandes friches industrielles à requalifier pourraient s’avérer un atout, d’autant que le développement d’un «axe» économique, entre Poitiers et Châtellerault, n’a pas eu l’attractivité escomptée, malgré la présence du Futuroscope — 5 000 emplois créés depuis 1987 — (Royoux et al., 2009).

Conclusion

Le site naturel, bien que fortement marqué, n’a pas constitué une véritable contrainte dans la mesure où le promontoire se déploie sur une assez large superficie. Mais il a créé une dissymétrie, qui a été maintenue par le choix d’utiliser la vallée de la Boivre et le plateau qui la surplombe, comme couloir affecté aux grands axes de circulation.

La trajectoire urbaine de Poitiers est celle d’une ville intérieure moyenne, qui correspond bien à celle d’un chef-lieu administratif territorial. L’absence d’industrialisation forte et sans doute une tradition de compromis social, peut-être liée à la présence d’une élite intellectuelle ancienne, pourraient expliquer l’absence de forts contrastes sociaux. Pour autant, on ne saurait parler d’une trajectoire linéaire: la ville a occupé un rang élevé pendant le Moyen Âge. Elle fut tantôt très consommatrice d’espaces, tantôt très économe de son espace. Des remises en cause étaient et demeurent possibles, comme ses fonctions militaires.

La vision diachronique de cet exercice affaiblit l’image, somme toute récente, d’une ville sous-développée du point de vue économique, même si la compréhension de l’histoire économique et sociale de Poitiers reste à établir sur la durée. La trajectoire urbaine mériterait enfin d’être étudiée au regard du rôle de la ville dans la formation du réseau urbain régional.

Sources

BOISSAVIT-CAMUS B., FABIOUX M., LE MASNE DE CHARMONT N. (1992). «Poitiers (Vienne)». In Villes et agglomérations urbaines antiques du Sud-Ouest de la Gaule, Histoire et archéologie. Actes du 2e colloque Aquitania, Bordeaux, 13-15 septembre 1990. Bordeaux: Aquitania, p. 131. Phase A.

BOISSAVIT-CAMUS B. (2003). «Poitiers». In HOOPS J., BECK H., Reallexikon der Germanischen Altertumskunde. Berlin, New York: Walter de Gruyter. Phase C.

FAVREAU R., dir. (1985). Histoire de Poitiers. Toulouse: Privat, col. «Univers de la France et des pays francophones», 434 p. ISBN: 2-7089-8208-7. Phase D.

ANDRAULT J.-P. (2003). Poitiers à l’âge baroque 1594-1652. Une capitale de province et son corps de ville. Poitiers: Société des antiquaires de l’Ouest, 2 vol., coll. «Mémoires de la société des antiquaires de l’Ouest», 5e série, tomes IX-X. Phase E.

Image GOOGLE EARTH TM, Poitiers. Phase F.

Bibliographie

La bibliographie générale se rapportant à l’ensemble du dossier «Chrono-chorématique urbaine» est accessible et téléchargeable ici.