N°105

Modélisation chrono-chorématique de Limoges pré-industrielle

Dossier Chrono-chorématique urbaine

Avertissement
Cette étude de cas s’inscrit dans le cadre du dossier thématique «Chrono-chorématique urbaine». Pour la démarche d’ensemble, voir l’article «E pluribus urbibus una». Pour le mode d’emploi, voir l’article «Une frise-modèle du temps long urbain».

L’analyse chrono-chorématique de Limoges pré-industrielle [1] couvre une période allant du Ier siècle avant J.-C., date des premiers indices d’occupation de type urbain sur ce site, jusqu’au XVIIIe siècle.

Dans le cadre de cette étude, six phases ont été définies. Elles ont été déterminées à partir de la documentation propre au site étudié avec la volonté de ne pas se laisser enfermer dans des découpages chronologiques traditionnels définis a priori (Djament-Tran, Grataloup, 2011). Par exemple, la rupture entre les phases C (IXe siècle - milieu du XIe siècle) et D (milieu du XIe siècle - milieu du XIIIe siècle) peut être rapprochée des œuvres du chroniqueur Adémar de Chabannes qui donnent une connaissance renouvelée de la topographie historique limougeaude.

Pour chaque phase, le travail de modélisation est réalisé en plusieurs étapes. Il prend comme point de départ des cartes de la topographie historique. Celles-ci sont d’abord schématisées puis modélisées phase par phase. À l’issue de ce travail, est obtenue une figure correspondant au modèle spécifique de Limoges pour la phase considérée (Djament-Tran, Grataloup, 2011).

L’étape suivante consiste à construire des chorotypes (fig. 1), c’est-à-dire des figures adaptées à la frise-modèle — élaborée par l’atelier du CNAU — selon différents critères: le relief et l’hydrographie, les fonctions et les spécialisations ainsi que le rang de la ville dans la hiérarchie urbaine si besoin. Il s’agit ainsi de rendre plus particuliers les modèles généraux des épisodes de cette frise (Djament-Tran, Grataloup, 2011; Atelier du CNAU, 2011).

1. Limoges: des épisodes aux chorotypes
On remarque que tous les épisodes identifiés dans la frise-modèle du CNAU ne sont pas représentés à Limoges

Ensuite, il est possible de confronter le modèle spécifique limougeaud et le chorotype, phase après phase, afin de déterminer en quoi Limoges se distingue de la frise-modèle. Ainsi sont mis en évidence des écarts au modèle qu’il convient ensuite d’expliquer (Djament-Tran, Grataloup, 2011).

Limoges est située sur les premières pentes du Massif central, le long de la rive droite de la Vienne. La ville pré-industrielle occupe à la fois le fond de la vallée de la Vienne et ses versants nord, avec un dénivelé d’environ 80 m entre les berges de la Vienne et le nord de la ville. La topographie naturelle du site est également marquée par une pente plus accentuée au nord-est, isolant un léger promontoire appelé le Puy-Saint-Étienne qui domine ainsi la Vienne assez abruptement.

C’est à partir des dernières décennies du Ier siècle avant J.-C. que les indices d’occupation se densifient sur le site de Limoges (Loustaud, 2000). L’agglomération urbaine apparaît comme une création de cette période. Elle est souvent considérée comme correspondant au type idéal de la ville de fondation romaine au plan orthogonal et à l’équipement monumental classique.

Il est cependant possible d’identifier un héritage préalable à l’occupation de type urbain sous la forme d’un point de franchissement de la Vienne et d’itinéraires protohistoriques utilisant ce dernier (Loustaud, 2000). Si l’existence d’un établissement antérieur à la conquête reste envisageable d’après certains éléments, les traces en sont trop ténues pour y voir une occupation d’une certaine ampleur. De plus, à 25 km environ à l’est de Limoges, le long de la Vienne, est connu un oppidum appelé Villejoubert. L’historiographie indique un abandon de ce site au cours de la dernière décennie avant le tournant de l’ère, coïncidant ainsi avec les premiers éléments indiquant un établissement de type urbain à Limoges. Le schéma classique du transfert de chef-lieu de Villejoubert à Limoges peut ainsi être évoqué.

Phase A, la ville ouverte (Ier siècle av. J.-C. – IIIe siècle)

Topographie historique

Chef-lieu de la cité des Lémovices, peuple apparaissant pour la première fois dans la documentation sous la plume de César dans la Guerre des Gaules, l’agglomération urbaine remplit la fonction de relais de l’administration impériale, sous la dénomination d’Augustoritum, toponyme signifiant «le gué d’Auguste». L’espace urbain occupe alors la partie basse de la vallée, le long de la Vienne.

Les tronçons de voies mis au jour ainsi que les orientations des constructions antiques connues ont conduit à la restitution d’un plan de voirie orthogonal (Loustaud, 2000). Différents éléments de la parure urbaine classique ont également été reconnus: théâtre, amphithéâtre, thermes, forum ainsi qu’un pont de pierre sur la Vienne (Desbordes, Loustaud, 2009). Un important itinéraire nord/sud reliant Bourges et Poitiers à Toulouse empruntait ce pont. Les édifices monumentaux civils de l’agglomération étaient majoritairement répartis le long de ce trajet formant une véritable scénographie urbaine (Loustaud, 2000). Au nord-ouest de l’agglomération, cet itinéraire croisait un autre axe majeur reliant Saintes et Bordeaux à Clermont et Lyon. Ces grands axes ont peu varié au cours du temps et les destinations des voies de communication sont les mêmes de la carte de Peutinger à la carte de Cassini.

Modèle spécifique, chorotype et confrontation

2. Phase A, modèle spécifique et chorotype

La ville est appuyée contre le cours d’eau; des habitations, terrasses et aménagements ont ainsi été identifiés en bordure même de la Vienne (Desbordes, Loustaud, 1991; Loustaud, 1984). Cependant, la rivière forme une limite que, dans l’état actuel des connaissances, l’agglomération ne semble pas franchir. Le modèle spécifique de Limoges pour cette phase est par conséquent rendu dissymétrique par son rapport au cours d’eau.

Lorsque l’on compare ce modèle spécifique au chorotype de la ville ouverte le long d’un cours d’eau (fig. 2), on peut constater que les deux modèles sont globalement concordants. Les principales différences observables peuvent être en grande partie attribuées à des effets de sources. C’est le cas par exemple pour le déficit en équipement religieux ou la méconnaissance du tissu économique.

Phase B, la ville réduite (IVe siècle – VIIIe siècle)

Topographie historique

La documentation, moins abondante, ne permet de saisir que difficilement le paysage urbain, situation commune à la majorité des villes pour cette période. Une grande partie des éléments connus relève de la topographie religieuse et funéraire, concentrée principalement au nord du site. Plusieurs abbayes et lieux dévolus à des activités funéraires sont désormais attestés même si leur date de fondation précise reste obscure. Parmi ces éléments de la topographie chrétienne, on peut citer l’établissement établi sur le tombeau de saint Martial et consacré à sa desserte.

Saint Martial est réputé avoir été le premier évêque de Limoges; son action se situerait entre les Ie et le IVe siècles en fonction de la tradition retenue. Dès le VIe siècle, plusieurs mentions de desserte du tombeau et de gardiens de la basilique sont connues, notamment chez Grégoire de Tours (Gloria Confessorum, 29). Mais il n’existe pas de certitudes concernant le statut de la communauté avant le milieu du IXe siècle. Cependant, si l’on en croit des documents datant de la première moitié du XIe siècle, la communauté était organisée sous la forme d’une congrégation de chanoines avant que ne soit adoptée la règle bénédictine en 848.

Un phénomène de déprise urbaine est documenté par l’archéologie entre la fin du IIIe siècle et le début du IVe siècle. Ainsi, la majorité des sites d’habitat semble dès lors abandonnée, tandis que les édifices monumentaux ne sont plus entrenus (Loustaud, 1997). L’effacement de la vie municipale classique paraît être un phénomène progressif s’étalant sur une période difficile à cerner. L’état actuel de la documentation ne permet pas de percevoir de dynamique périphérie/centre dans le phénomène de déprise urbaine comme cela a été perçu pour Tours ou Angers.

À l’emplacement du Puy-Saint-Étienne, où le talus est le plus marqué, une zone, au nord-est de l’agglomération antique, est mise en défense, isolée du carrefour et à l’écart des axes routiers.

Le tracé de cette enceinte, attestée par les sources écrites à la fin du VIe siècle, demeure inconnu. En effet, bien que différentes théories aient été avancées, aucune n’a, à ce jour, été confirmée par l’archéologie (Loustaud, 1997; Denis, 2002).

Dans cet espace, sont connus la cathédrale, mentionnée pour la première fois au Ve siècle ainsi qu’un baptistère mis au jour par l’archéologie et daté dans son premier état de la fin du IVe siècle ou du début du Ve siècle (Denis, 2009).

Un titre comtal est connu, dès la fin du VIe siècle, d’après Grégoire de Tours. Il apparaît également dans plusieurs Vitae des VIIe et VIIIe siècles mais on ignore sa traduction spatiale, probablement dans la Cité auprès du groupe épiscopal.

Modèle spécifique, chorotype et confrontation

3. Phase B, modèle spécifique et chorotype

Limoges, chef-lieu civil et ecclésiastique régional, ne présente pas alors de spécialisation; la topographie naturelle, représentée par le cours d’eau et le talus isolant le Puy-Saint-Étienne, est encore le seul élément pris en compte dans l’élaboration du chorotype.

Le modèle spécifique de cette phase (fig. 3) se distingue particulièrement par l’écart au carrefour du principal pôle d’occupation, ce qui donne une configuration particulière à la desserte viaire. Cet écart peut être imputé à la fois à la pérennité du tracé des grandes voies qui semble ne pas changer par rapport à la phase précédente et à la mise en défense de l’éminence du Puy-Saint-Étienne. Les autres divergences, concernant notamment le tissu économique ou la densité d’occupation, relèvent certainement une fois encore d’un déficit de connaissances et d’un effet de sources en l’absence d’informations archéologiques suffisamment nombreuses.

Phase C, la ville multiple (IXe siècle – milieu du XIe siècle)

Topographie historique

Les principaux éléments de la topographie historique apparus au cours de la phase précédente sont toujours présents, notamment les établissements religieux. Les effets de sources sont encore très prégnants et entraînent une sur-représentation des élites par rapport au reste de la population toujours en grande partie invisible.

Entre les IXe et XIe siècles, les sources attestent de nouveaux établissements religieux avec, pour certains, des fonctions paroissiales clairement affirmées dès le premier tiers du XIe siècle.

Plusieurs enceintes sont également édifiées dans l’espace de l’agglomération limougeaude pré-industrielle.

Après l’adoption de la règle bénédictine en 848, l’établissement religieux consacré à saint Martial est fortifié (Barrière, 1984). À environ 300 m à l’ouest de ce monastère, un peu plus haut sur le versant, est édifiée, au cours du Xe siècle, une motte vicomtale, à laquelle, d’après l’archéologie, une basse-cour est associée au nord (Dussot, Berbuto, 1996). Les vicomtes de Limoges apparaissent dans la documentation à partir de la fin du IXe siècle. Ils sont vassaux des comtes de Poitiers, mais également de l’abbé de Saint-Martial pour les terres sur lesquelles est édifiée la motte.

À une date inconnue précisément, les deux entités formées par le castrum sancti Martialis et par l’ensemble vicomtal furent réunies en un seul pôle, connu sous la dénomination de Château (Barrière, 1984).

En parallèle, au Xe siècle, les sources écrites font état d’une reconstruction de l’enceinte de la Cité, autour du Puy-Saint-Étienne. Son tracé, encore mal connu, reste source de débats. Quelle que soit l’hypothèse retenue, à l’intérieur de cette enceinte, les édifices épiscopaux et canoniaux sont concentrés au sud de la cathédrale.

Modèle spécifique, chorotype et confrontation

4. Phase C, modèle spécifique et chorotype

La topographie naturelle n’est plus le seul élément pris en compte dans la conception du chorotype. L’importance acquise par le culte de saint Martial induit une spécialisation de l’agglomération limougeaude: il s’agit désormais d’une ville de pèlerinage (fig. 4).

En effet, le culte du saint est amplement mis en valeur par les membres de la communauté martialienne, tout particulièrement Adémar de Chabannes. Cela aboutit à la reconnaissance, lors d’un concile réuni à Limoges en 1031, du statut apostolique de saint Martial, considéré désormais comme un compagnon du Christ. Ainsi, le pôle le plus important de l’agglomération n’est plus la Cité autour de la cathédrale mais le pôle du Château, rassemblant la motte vicomtale et le monastère Saint-Martial, profitant de la manne économique représentée par le pèlerinage et le développement du monastère.

Ce pôle, comme celui de la Cité, reste cependant encore à l’écart du carrefour des axes principaux, dont les tracés ne semblent pas avoir connu de transformation significative depuis la phase A. Cette caractéristique détermine la principale différence existant entre le modèle spécifique et le chorotype qui reste pour cette phase l’écart au carrefour et la configuration viaire particulière qui en découle pour relier les différents pôles d’occupation aux voies des grands itinéraires.

Phase D, la ville bipolaire (milieu du XIe siècle – milieu du XIIIe siècle)

Topographie historique

La topographie religieuse continue à s’enrichir, qu’il s’agisse d’établissements nouvellement fondés ou apparus dans la documentation pour la première fois.

Des attestations nouvelles de foires, marchés et boutiques donnent également une connaissance accrue du tissu économique apparemment plus dense dans l’espace du Château que dans celui de la Cité. Des activités artisanales, notamment polluantes comme la tannerie, sont également connues dans le secteur qualifié d’entre-deux-villes, entre les pôles du Château et de la Cité, à proximité d’un petit cours d’eau.

La topographie limougeaude est à nouveau marquée par la mise en place de fortifications urbaines. Ainsi une nouvelle enceinte est édifiée, remplaçant les fortifications antérieures de la motte vicomtale et du castrum sancti Martialis (Barrière, 1984). Son édification donne lieu à l’émergence dans la documentation de ce qui deviendra un consulat urbain dans le cadre de conflits opposant l’abbé de Saint-Martial aux bourgeois du Château pour le financement de cette nouvelle enceinte. Enclavée dans la fortification, la motte vicomtale perd toute fonction défensive; son emplacement est d’ailleurs loti au cours du XIIIe siècle.

Parallèlement, une nouvelle enceinte est édifiée à l’emplacement de la Cité; celle-ci s’étend désormais jusqu’à la Vienne, en direction du Naveix, un port au bois flotté mentionné au XIIe siècle en contrebas du Puy-Saint-Étienne. Cette enceinte protège également l’accès à un nouveau pont, le pont Saint-Étienne, édifié au XIIIe siècle au pied de la Cité (Denis, 2002).

Limoges relève alors du pouvoir Plantagenêt et se trouve prise, à la fin du XIIe siècle, dans les conflits opposant Henri le Jeune à son père Henri II. Ainsi en 1182-1183, la Cité et le Château soutiennent des partis différents cristallisant par là même leur concurrence politique et économique.

Modèle spécifique, chorotype et confrontation

5. Phase D, modèle spécifique et chorotype

Les éléments pris en compte pour la conception du chorotype (fig. 5) sont les mêmes que précédemment, à savoir la topographie naturelle et la spécialisation en tant que ville de pèlerinage grâce au culte de saint Martial. Cependant, les chorotypes ne sont pas identiques en raison de l’expansion du pôle du Château qui s’accompagna de la récupération du carrefour au sein de sa nouvelle enceinte. Ces caractéristiques rendent le modèle spécifique et le chorotype plus proches pour cette phase que pour les phases précédentes.

La présence militaire disparaît puisque la motte vicomtale, désormais enclavée dans les nouvelles fortifications, a perdu toute valeur défensive.

Phase E, la ville double (XIIIe siècle – milieu du XVIe siècle)

Topographie historique

La topographie est peu différente de celle de la phase précédente; encore une fois l’héritage reprend une grande partie des éléments antérieurs. Toutefois, la résidence vicomtale perd de son importance politique locale; en effet, à partir de la fin du XIIIe siècle, le titre vicomtal passe à la famille des ducs de Bretagne avant de tomber entre les mains de la famille royale. Les vicomtes sont alors moins présents même si des oppositions subsistent, concernant principalement la question de la perception des droits de justice sur le Château, les opposants à Saint-Martial ou aux représentants du consulat du Château.

La topographie limougeaude est également marquée par l’installation de trois couvents mendiants qui, tous, sont implantés en dehors des deux principaux pôles d’occupation (Barrière, 1984).

À partir du XIIIe siècle, les sources écrites permettent de percevoir clairement l’émergence et la montée en puissance du fait politique local. Une première maison commune du consulat du Château est connue à proximité immédiate des anciens cloîtres de Saint-Martial. Au XIIIe siècle, une nouvelle maison de ville est aménagée presque au centre du Château. Dans la Cité, au XIIIe siècle émerge également un consulat et un conseil de prud’hommes dont on ne connaît précisément ni la localisation, ni le fonctionnement certainement très proche de celui du Château. La justice de la Cité revient cependant à l’évêque dont on connaît plusieurs traductions spatiales, officialités et prisons à proximité de la cathédrale (Denis, 2002).

Les oppositions entre Cité et Château demeurent récurrentes. À la suite du traité de Brétigny (1360), le Limousin repasse aux mains des Anglais; dans ce cadre, les deux pôles prennent des partis opposés ce qui aboutit, notamment, au sac de la Cité par le Prince Noir en 1370 qui marqua durablement les esprits.

Modèle spécifique, chorotypes et confrontation

Pour cette phase, le modèle spécifique (fig. 6) peut être rapproché de deux chorotypes et donc de deux modèles issus de la frise-modèle mise au point par l’atelier du CNAU (2011). Il s’agit de l’épisode de la ville multiple, déjà utilisé pour les deux phases précédentes, et de celui de la ville réunie.

6. Phase E, modèle spécifique et chorotype

Le modèle spécifique présente, en effet, de nombreuses caractéristiques du modèle de la ville réunie, telles que la densification du tissu économique, principalement dans le Château, dans l’entre-deux-villes et le long des voies ainsi que la mise en place des couvents mendiants. Cependant, la comparaison avec l’épisode de la ville réunie s’avère délicate car cet épisode est également marqué par l’édification des enceintes de réunion et par l’émergence du fait politique local (Atelier du CNAU, 2011).

Or, à Limoges, non seulement aucune enceinte de réunion n’est édifiée, ce qui n’est pas nécessairement discriminant en soi, mais c’est surtout l’émergence de deux communautés politiques, de deux pouvoirs communaux distincts et dans une certaine mesure concurrentiels, avec deux pôles d’occupation différents, qui empêche de vraiment mobiliser cet épisode pour l’analyse de la trajectoire urbaine de Limoges. Il paraît difficile de parler de ville réunie alors même qu’aucune réunion n’a lieu et que deux identités distinctes émergent.

Il semble donc plus approprié de rapprocher le modèle spécifique de cette phase du modèle de la ville multiple, la multipolarité restant un des caractères centraux de la topographie limougeaude. Les principales divergences entre modèle spécifique et chorotype tiennent alors à la présence de caractéristiques de l’épisode de la ville réunie dans le modèle spécifique.

Phase F, la ville royale (XVIe siècle – XVIIIe siècle)

Topographie historique

Comme dans la grande majorité des agglomérations, les enceintes s’effacent progressivement de la topographie; leur tracé est alors repris par des boulevards à la fois autour de la Cité et du Château (Barrière, 1984).

Différents mouvements de la contre-réforme s’installent dans les divers pôles de Limoges, mais sont particulièrement nombreux dans la Cité (Denis, 2002). En parallèle, la partie sud de la Cité, dans laquelle étaient auparavant concentrés les édifices épiscopaux et canoniaux, est le cadre d’importants transferts de terrains orchestrés par l’évêque. Celui-ci crée, en effet, un vaste domaine où est reconstruit le palais épiscopal et où sont installés de grands jardins qui oblitèrent une part importante de l’ancienne Cité.

Dans l’espace de l’ancien Château, des éléments de l’administration royale font leur apparition: un présidial, une maison des Trésoriers, un hôtel de l’Intendance et un hôtel des Monnaies (Barrière, 1984). Simultanément, le monastère de Saint-Martial perd beaucoup de son influence et de son rayonnement au point d’être sécularisé au cours du deuxième quart du XVIe siècle. Sous l’impulsion du consulat du Château, un collège est mis en place, confié ensuite aux Jésuites.

L’espace situé à l’extérieur des deux pôles est le cadre de différents événements: l’installation d’un hôpital général à partir de 1661 remplaçant les structures d’accueil antérieures, le développement des premières manufactures de textiles et du travail du kaolin à proximité de la Vienne, la création d’une maison de force pour accueillir la population mendiante et l’utilisation, progressivement unique, du cimetière des Arènes au détriment des autres lieux d’inhumation avant que tous ne soient définitivement rejetés en dehors de l’agglomération.

Modèle spécifique, chorotype et confrontation

7. Phase F, modèle spécifique et chorotype

La conception du chorotype ne prend plus en compte que la topographie naturelle du site. En effet, la spécialisation de Limoges en tant que ville de pèlerinage s’efface en raison de l’essoufflement du culte de saint Martial; de plus, la production industrielle, notamment porcelainière, encore à ses débuts, n’a pas encore d’influence forte sur l’agglomération.

Pour cette phase (fig. 7), le modèle spécifique et le chorotype sont finalement très proches. La principale spécificité limougeaude reste la persistance de la multipolarité; les deux municipalités ne furent, en effet, réunies qu’en 1792.

Cette multipolarité induit de plus certaines particularités telles que le maintien d’établissements religieux hors des espaces délimités par les boulevards. Cette caractéristique est également liée à la topographie propre au site et aux héritages. Le modèle spécifique se démarque également du chorotype par l’absence d’un axe royal ou de tout grand aménagement viaire restructurant l’ensemble de l’agglomération.

Conclusion

La confrontation des modèles spécifiques et des chorotypes permet de mettre en évidence des écarts par rapport au modèle. Il est ensuite possible de déterminer les éléments spécifiques du site pouvant expliquer ces écarts qui constituent les particularités de la trajectoire urbaine de Limoges.

À Limoges, à l’exception de la phase A, les modèles spécifiques et les chorotypes différent de façon substantielle. Deux éléments sont particulièrement prégnants dans ces divergences: d’une part, l’écart au carrefour des pôles d’occupation pour les phases B et C, ce qui a pour conséquence une configuration particulière des voies; et, d’autre part, une multipolarité marquant très fortement et de manière pérenne la topographie. Celle-ci peut être reliée à la fois à la configuration naturelle du site, au poids des héritages transmis phase après phase et aux conditions sociales et politiques locales. Les oppositions marquées entre la Cité et le Château ont par exemple joué un rôle essentiel dans cette multipolarité. Les deux municipalités ne furent réunies que tardivement et leur réunion ne fut pas matérialisée par une grande enceinte commune comme c’est généralement le cas pour les époques antérieures.

Les chorotypes limougeauds se démarquent également par leurs rapports au cours d’eau. En effet, à l’exception de la phase A, où la ville s’appuie sur la Vienne, au cours des autres phases de l’étude, le gros de l’agglomération reste en retrait du pont principal, le pont Saint-Martial, même si un pôle est toujours maintenu à son débouché. La Vienne, non navigable à hauteur de Limoges, ne joue pas un rôle prépondérant dans la trajectoire urbaine.

Pour conclure, il est intéressant de remarquer que les modèles spécifiques, quelles que soient les phases considérées, restent en-deçà des modèles généraux. Il est possible de voir là une caractéristique de Limoges, liée peut-être à une spécialisation faible ou qui eut peu d’impact économique. Le pèlerinage en l’honneur de saint Martial ne peut ainsi être rapproché du pèlerinage de saint Martin de Tours malgré l’octroi de l’apostolicité à l’évangélisateur du Limousin dans le deuxième quart du XIe siècle. Cependant, comme cela a été avancé au cours de l’étude de cas d’Aix-en-Provence, il est également possible qu’il s’agisse là d’un biais de la modélisation qui, cumulant les potentialités, entraîne une sur-représentativité des modèles théoriques (Boissavit-Camus, Guilloteau, Grataloup, 2011).

On remarque que tous les épisodes identifiés dans la frise-modèle du CNAU ne sont pas représentés à Limoges

Bibliographie

ATELIER DU CNAU (2010). «Une frise-modèle du temps long urbain». Mappemonde, n° 100.

BARRIÈRE B. (1984). Atlas historique des villes de France. Limoges. Paris: CNRS, 4 p. ISBN: 2-222-03485-X

BOISSAVIT-CAMUS B., GUILLOTEAU C., GRATALOUP C. (2011). «Aix-en-Provence: étude chrono-chorématique». Mappemonde, n° 100, 7 p.

DENIS J. (2002). Étude documentaire et topographique de la Haute-Cité de Limoges. Limoges: rapport dactylographié, bureau d’étude Hadès, 2 vol.

DENIS J. (2009). «La datation du baptistère de Limoges (Haute-Vienne)». In PARIS-POULAIN D., NARDI-COMBESCURE S., ISTRIA D. (dir.), Les premiers temps chrétiens dans le territoire de la France actuelle. Hagiographie, épigraphie et archéologie, éd. Dominique Paris-Poulain, Daniel Istria et Sara Nardi Combescure, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, 252p. ISBN: 978-2-7535-0854-5

DESBORDES M., LOUSTAUD J.-P. (1991). Limoges antique. Paris: Imprimerie nationale, Ministère de la culture, de la communication, des grands travaux et du bicentenaire, direction du patrimoine, sous-direction de l’archéologie, 108 p. ISBN: 2-11-081109-9

DESBORDES M., LOUSTAUD J.-P. (2009). «Augustoritum/Limoges: à la recherche du gué fondateur de la ville antique et des carrefours suburbains». Travaux d’Archéologie Limousine, n° 29, p. 31-54.

DJAMENT-TRAN G., GRATALOUP C. (2011). «E pluribus urbibus unam, modéliser les trajectoires de villes de France par la chrono-chorématique». Mappemonde, n°100, 13 p.

DUSSOT D., BERBUTO M. (1996). Limoges, place de la Motte (1995-1996): évolution d'un quartier urbain. Document final de synthèse, rapport dactylographié, SRA Limousin, 3 vol.

LOUSTAUD J.-P. (1984). «La voirie d’Augustoritum». Travaux d’Archéologie Limousine, 5, p. 57-75.

LOUSTAUD J.-P. (1997). «Le castrum de Limoges: jalons pour une nouvelle approche». Travaux d’Archéologie Limousine, 17, p. 19-37.

LOUSTAUD J.-P. (2000). «Limoges antique». Travaux d’Archéologie Limousine, supplément 5 p.

PEROUAS L., dir. (1989). Histoire de Limoges. Toulouse: Privat, coll. «Univers de la France et des pays francophones», 317 p. ISBN: 2-7089-8264-8

Cet article a été présenté lors de la rencontre des jeunes chercheurs à Tours en décembre 2010 organisée par le GdR 3359 MoDyS (http://modys.univ-tours.fr)